Eolien : la relève des communes
Quatre ans après le rejet massif d’une carte éolienne wallonne, la Ville de Genappe lance un projet similaire à l’échelle de son territoire. Pour réconcilier les citoyens avec des projets de parc plus adaptés. Peut-elle inspirer d’autres communes ?
Consensus. Eoliennes. En Wallonie, ces deux mots sont de parfaits antonymes. Pour les promoteurs, la question n’est d’ailleurs pas de savoir si leur projet de parc sera frappé par un recours, mais quand – et dans quel état – il en réchappera. La Région, elle, a maintes fois sous-estimé l’ampleur de cette contestation. Rétroacte douloureux : en juillet 2013, le gouvernement wallon adopte un cadre de référence pour le grand éolien, fixant un objectif de production de 3 800 gigawattheures (GWh) à l’horizon 2020, ainsi qu’une série de normes, plus ou moins contestées. Mais à l’époque, les critiques les plus virulentes portent sur un autre pan de la stratégie wallonne : une cartographie positive de zones de développement éolien, censée identifier les sites susceptibles d’accueillir de futurs parcs.
Mal annoncé, mal ficelé, ce projet de carte soumis à enquête publique, truffé d’erreurs méthodologiques selon des académiques, sera finalement torpillé de toutes parts, fin 2013. Depuis, aucun politique n’a osé retenter une expérience de pareille ampleur. La Wallonie octroie donc des permis sur dérogation, sans lignes directrices, hormis les quelques normes indicatives du cadre éolien. « Au cas par cas », pour reprendre l’expression politiquement correcte. Quitte à passer outre l’avis du collège communal et du fonctionnaire délégué de la Région wallonne. Comme si la coercition devenait, peu à peu, une fatalité dans ce processus défaillant. Au risque de souffler sur les braises encore chaudes de 2013.
Budget maximal : 100 000 euros
Et si l’alternative émanait des communes ? La Ville de Genappe compte réussir là où la Wallonie a échoué il y a quatre ans : établir une cartographie précise du potentiel éolien pour son propre territoire – et quelques kilomètres au-delà – d’une superficie de 90 km². Le cahier des charges, pour lequel une ligne budgétaire maximale de 100 000 euros est réservée, a été voté ce mardi 27 mars au conseil communal, malgré le « non » du groupe Ecolo, dans l’opposition. Il s’agit d’une première en Wallonie, à laquelle un comité citoyen a été associé en amont. Cette cartographie participe à un plan d’action local visant à réduire de 40 % les émissions de CO2 à l’horizon 2030. « Elle va nous permettre d’intégrer des contraintes propres à notre territoire, qui sont déjà le fruit d’une discussion entre la commune, les associations et divers experts », souligne Jean-François Mitsch, auteur de la motion éolienne et conseiller communal indépendant à Genappe.
Plutôt que de subir les projets de parcs déposés par des promoteurs, la commune veut donc reprendre la main, en identifiant les sites potentiels pertinents à ses propres conditions, concertées avec les citoyens, et non sur la base de tractations entre un opérateur et un propriétaire de terrains agricoles. Le bureau d’études sélectionné aura 120 jours pour rendre ses conclusions, en intégrant plusieurs paramètres : une norme de bruit plus restrictive que le seuil wallon, des tailles de mât éventuellement inférieures, les possibilités en zone forestière ou sur d’autres sites pour le moment occupés par des lignes à haute tension… « Nous ne voulons pas développer l’éolien de manière anarchique, commente Gérard Couronné, le bourgmestre de Genappe (MR). Les quatre demandes déposées chez nous portent toujours sur le même site. Je suis persuadé qu’il en existe d’autres sur notre territoire. »
Reste, ensuite, à concrétiser un ou plusieurs projets de parcs éoliens sur les zones concernées. « Cette méthode implique de lancer une initiative publique avec un cahier des charges et une mise en concurrence des promoteurs », précise Jean-François Mitsch, à l’image des concessions pour les parcs en mer. D’emblée, deux questions se posent, si l’intérêt des développeurs de parcs se confirme. Comment compenser les éventuelles pertes de valeur foncière ou immobilière ? Et surtout, que faire en cas de blocage ? La réponse sera éminemment politique. D’après l’élu indépendant, ex-PS, il faudra oser ouvrir le débat sur des expropriations pour cause d’utilité publique, comme les autorités le font déjà pour des lignes à haute tension, des cabines électriques, des bassins d’orage… « L’incidence des projets sera compensée par un contrôle accru et un retour financier plus important au bénéfice de la collectivité », plaide Jean-François Mitsch.
Hormis cette issue plus polémique, le principe de la cartographie pourrait séduire d’autres pouvoirs locaux, lassés par les combats incessants contre certains promoteurs. Sollicitées par Genappe, les communes limitrophes n’ont toutefois pas répondu à l’appel. A Hannut, en province de Liège, le bourgmestre Manu Douette (MR) avait déjà plaidé, en 2016, pour une cartographie à l’échelle supracommunale. « Mais nous n’avons pas été entendus par la Région », indique-t-il. Depuis, la commune s’est donc limitée à fixer des critères plus contraignants que la Wallonie sur son territoire, notamment sur la distance minimale des parcs. « La démarche de Genappe est positive, c’est un pavé dans la mare, poursuit Manu Douette. Nous allons dans le même sens, mais d’une autre façon. »
« Double emploi »
Pour Benjamin Wilkin, secrétaire général de l’Association pour la promotion des énergies renouvelables (Apere), « une cartographie avait beaucoup de sens à l’échelle régionale, mais pas au niveau communal. C’est du double emploi et une perte de temps. D’autant que la contestation reste possible, même dans ces conditions. Les sites pertinents, on les connaît déjà. Ce dont on manque, c’est de projets, pas d’études. » De son côté, Cécile de Schoutheete, chargée de mission chez Inter-Environnement Wallonie, souligne le caractère positif de la démarche de Genappe, faute d’un cadre régional plus clair. « Mais si la planification ne repose que sur des réglementations communales, il y aura des problèmes. » Tant en termes de lisibilité que de sécurité du cadre légal, soumis aux aléas des changements de majorité.
A Genappe, cette étude pourrait être la première étape avant un inventaire pour les autres filières renouvelables, pour la mobilité et les économies d’énergie. Dans une commune farouchement hostile à l’éolien, une cartographie trop stricte pourrait tout autant constituer l’arme de blocage ultime à l’encontre du moindre projet. De quoi compliquer encore davantage la lente progression vers l’ambition wallonne.
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