Envolée, la magie Maggie: De Block, adorée au début, brûlée ensuite
Depuis qu’elle s’occupe de santé au gouvernement, la bonne docteure De Block est prise en grippe. Ou comment s’être mis à brûler ce qu’on a un peu vite adoré.
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L’idylle a pris racine de façon improbable un jour de décembre 2011, à l’occasion d’une première entrée dans un gouvernement par la petite porte d’un secrétariat d’Etat à forte visibilité. Asile, migration, intégration sociale, lutte contre la pauvreté : Maggie est servie. Maggie qui ? Maggie De Block, 49 ans, médecin généraliste de profession, libérale flamande et déjà dix années passées à user ses fonds de culotte sur les bancs du Parlement. Ni vue ni connue, en tout cas des Wallons et des Bruxellois. Mais madame la secrétaire d’Etat a pour elle un physique atypique, impossible à louper. Et puis un petit nom charmant, Maggie. Elle ne rate pas non plus son entrée en matière lorsqu’elle déclare tout de go s’accorder un mois de silence, le temps de se familiariser avec des dossiers d’une grande complexité. S’approprier le droit de se taire au nez et à la barbe de l’agitation médiatique séduit l’opinion, lassée des gesticulations si courues dans le biotope politique. L’histoire commence bien.
Son franc-parler, une rudesse dans le propos se retournent contre elle. Car ils ne sont plus de circonstance.
Briefée, Maggie De Block s’applique à mater la crise de l’asile. Met de l’ordre dans le département et regarde beaucoup à la dépense, ce qui n’est jamais pour déplaire au citoyen-contribuable-électeur quand il s’agit des deniers publics à consacrer à tous ces gens venus d’ailleurs. Les acteurs de terrain se montrent nettement moins emballés, dénoncent en elle un réel manque d’humanité là où elle n’y voit qu’une salutaire fermeté. Qu’importe cette image de dame de fer si elle lui permet d’émerger entre les ministres. Car voilà Maggie qui monte, qui monte, qui monte, au fil des baromètres de popularité. Qui occupe une place sans cesse plus grande dans le coeur des Bruxellois et des Wallons, jusqu’à y supplanter les ténors. Elle prétend ne pas comprendre cet agréable élan de sympathie mais confie tout de même avoir sa petite idée : » Ces sondages ? Je ne savais même pas qu’ils existaient. Ce n’est pas un secret, le département dans lequel vous travaillez y est pour beaucoup. Je crois que les gens qui votent pour moi dans les sondages apprécient mon travail, dans des domaines très délicats qui étaient restés en crise pendant de longues années. Ils voient aussi que j’ai travaillé et que j’ai réalisé des choses, que je ne les ai pas simplement annoncées. » Elle ne doit pas être la seule dans le cas mais elle, c’est différent, voilà tout.
Reine des sondages
L’heureuse surprise de l’équipe fédérale dirigée par le socialiste Elio Di Rupo passe d’objet de curiosité amusée au stade du phénomène qui intrigue. Les médias francophones partent à la rencontre de cette inconnue au bataillon, cherchent à comprendre les ressorts d’une popularité qui se moque de la frontière linguistique. Elle dit ne pas trop apprécier l’exposition à la lumière, ne pas trop goûter aux interviews mais elle reçoit les caméras de RTL-TVi et de la RTBF pour de sympathiques visites à domicile. En toute simplicité, en femme toujours soignée et coquette. L’occasion est belle de faire plus ample connaissance. De prendre une leçon revigorante de parler vrai, de langage simple et parfois simpliste mais qui passe pour franc et honnête, surtout exprimé dans un français qui n’a rien de châtié. Tout en Maggie De Block respire l’authenticité, le naturel, le bon sens. On devine bien que sous son air bonhomme ne se cache pas qu’une tendre. Qu’il y a aussi du bulldozer en elle, un côté brut de décoffrage. Dehaene, sors de ce corps…
Et le courant passe, un cercle vertueux s’enclenche : les portraits plutôt flatteurs stimulent une visibilité qui appelle d’autres portraits plutôt bienveillants qui la rendent encore plus populaire. La coqueluche des sondages confirme dans les urnes tout le bien qu’on dit d’elle : 131 000 voix de préférence captées aux élections de mai 2014 et la palme de la femme politique la plus populaire du pays, après un titre de » femme de l’année 2013 » décerné par les lecteurs de La Libre. Cela en fait du monde qui tombe sous le charme.
Maggie fait sensation. Elle ne peut que prendre du galon. Aux Affaires sociales et à la Santé de préférence, la toubib en rêve depuis toujours. Poste adjugé en octobre 2014 sous le pavillon de la suédoise (N-VA – MR – CD&V – Open VLD). Un journaliste mal avisé a le mauvais goût de douter de la compatibilité entre l’obésité et le fait d’être ministre de la Santé. L’attaque sous la ceinture est aussitôt désavouée par 74 % de sondés sur cette question. Maggie De Block assume son surpoids et ce pied de nez à la dictature des apparences est apprécié.
Surtout ne pas changer une formule qui gagne. La bonne élève s’attache à mettre de l’ordre dans son nouveau département, regarde toujours autant à la dépense, prend soin de cultiver son profil d’experte en santé qui fuit les vaines polémiques. L’immense domaine dont elle a la charge exige suffisamment de réformes à engager et de chantiers à ouvrir pour s’abstenir de parler pour ne rien dire. Surtout que la ministre a soif d’action. La posture fait toujours illusion. Au printemps 2016, Maggie De Block profite d’un énième sondage pour rafler la plus haute marche des trois podiums régionaux. Qui dit mieux ? » Personne n’est resté populaire aussi longtemps en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles « , avoue-t-elle sans fausse modestie sur son site personnel.
On n’est jamais mieux trahi ni désavoué que par les siens. Au sacre succède rapidement la première claque. Invités par Le Journal du médecin à apprécier leur ministre, 1 500 acteurs de la santé se lâchent, sans pitié : 4/10 en moyenne, bonjour la cote d’exclusion. De Block au rapport. Accusée de réformer ici trop vite et là pas assez rapidement. De se rendre complice d’économies d’une ampleur jamais atteinte qui font très mal aux patients et ce, ô sacrilège, en dépit de ses promesses. De mépriser les soignants mais de rouler pour l’industrie du médicament à coups de conventions secrètes quand ce n’est pas pour les intérêts de la Flandre. Généralistes, spécialistes, infirmiers, pharmaciens, gestionnaires d’hôpitaux, étudiants en médecine, mutuelles : la docteure De Block se prend une tornade blanche en pleine face. Ça ne plane plus trop pour elle. L’étoile pâlit. Ce n’est plus Maggie-la-gentille qui ne faisait de mal à personne si ce n’est à des réfugiés et des migrants dont le sort n’émouvait finalement pas grand-monde. C’est à présent » Maggie » en version Margaret Thatcher de sinistre mémoire qui, par une approche à l’anglo-saxonne et une logique de boulier-compteur, se mettrait à nuire gravement au bien le plus précieux de l’homme : sa santé. Péché capital pour un médecin.
Bien sûr, elle ne reste pas sans réaction, crie à la désinformation, oppose sa vérité des chiffres, rectifie dans le style qui est le sien : elle n’économise pas, elle nettoie, nuance… Peine perdue, tout ce qu’elle entreprend vire à la polémique, jusqu’à sa réforme du dépistage du cancer du sein. Là, elle accuse le coup face à ce qu’elle taxe de mauvaise foi crasse. » Je suis fâchée. Vous savez, tout ce qui a été mis en avant par les opposants au projet est faux « , assure-t-elle à L’Echo en mars 2018. Et de confier la spirale infernale qui l’enserre : » Ça a commencé par un pamphlet contre moi. Et puis, les réseaux sociaux se sont emballés. C’est devenu tellement violent, je me suis retrouvée seule à devoir le défendre. Toute seule. On m’a attaquée. C’est normal, j’ai la responsabilité politique. Mais qu’on laisse dire que je veux des choses mauvaises pour la santé des femmes wallonnes, ça je ne peux pas accepter. »
D’hyperpopulaire à bouc émissaire
Sa disgrâce auprès des blouses blanches finit par se savoir, fait contagion, vire au désamour de l’opinion qui l’éjecte des podiums lors des sondages, puis tourne au cinglant désaveu des électeurs : près de 100 000 voix perdues au scrutin de mai 2019. Maggie dévisse. Sa chute libre n’a d’égale que la fulgurance d’une ascension qui reposait sur on ne sait finalement trop quoi, si ce n’est sur une bonne part d’apparence et d’irrationnel. Encore que le personnage hors norme garde de beaux restes au sein du peloton, en conservant 39 % d’opinions favorables à la veille de la crise sanitaire. Et de la descente aux enfers.
Il ne manquait qu’un virus pour achever la besogne. Comme tout le monde, la ministre de la Santé en affaires courantes ne l’a pas vu venir mais ce manque de vista ne lui est pas pardonné. Pas plus qu’on ne lui passe le fait d’avoir minimisé le danger, tardé à réagir, d’être tantôt maladroite, tantôt désinvolte ou alors incohérente. La ministre-docteure est étrillée pour ne pas se montrer à la hauteur. Rendue responsable de la pénurie criante de masques, de la destruction incompréhensible de masques, des commandes défaillantes de masques, d’un manque de respirateurs, de tests, de réactifs, de gants, de blouses protectrices. Bref, de tout ce que le monde médical a été privé par les coupes claires qu’elle s’est obstinée à cautionner dans le budget de la santé. Elle n’est pas seule à encaisser les coups mais elle est toute désignée pour les prendre de plein fouet. Les pros de la santé l’attendaient depuis longtemps au tournant et maintenant qu’ils sont les héros malgré eux de la crise, ils déballent. » Pour nous, Maggie De Block rimera toujours avec économies, économies, économies. Même ici, nous sommes en guerre contre un ennemi commun et nous n’avons pas l’impression que le général est au front avec nous « , lance férocement au plus fort de la tourmente un responsable du syndicalisme médical.
video480360YouTubeSondage « Les Belges jugent la crise »https://www.youtube.com/1.0Le Vif344https://www.youtube.com/user/leviffocus
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Stoïque sous les critiques, la ministre affiche toujours le même visage. Son franc-parler, une rudesse dans le propos jadis appréciés se retournent contre elle. Car ils ne sont plus de circonstance. Traiter un expert de » drama queen » sur Twitter, inviter les toubibs à cesser de pleurnicher face à l’adversité, ces écarts de langage ont valeur de dérapages. Il y a une dose d’injustice dans le » Maggie bashing « , commente au Vif/L’Express Dave Sinardet, politologue (VUB – Saint-Louis) : » Je ne comprends pas bien cet acharnement, surtout perceptible du côté francophone où Maggie De Block est devenue le symbole de la crise sanitaire , commente-t-il. Les critiques y sont démesurées, politisées, émises par des acteurs qui se situent plus à gauche. Alors qu’en Flandre, elle conserve un capital de sympathie et de popularité. » Pas sûr qu’il suffira à lui éviter le couperet à l’heure de rendre des comptes.
Sa tête n’est pas encore ouvertement réclamée, à de rares exceptions près, mais c’est tout comme. Le souhait de ne plus la revoir est perceptible. Elle connaît trop bien la règle du jeu, elle a l’élégance ou l’intelligence de prendre les devants. D’envisager la manière dont on l’amènera à tirer sa révérence, à moins que ce ne soit une façon désespérée de conjurer le mauvais sort. » Je ne pense pas qu’on me demandera encore d’être ministre. » Il est minuit, docteure Maggie.
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