Supprimer la nomination des profs au profit d’un CDI? L’idée des Engagés qui crispe déjà le monde enseignant

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Dans le cadre de leur tournée de consultations de la société civile, Georges-Louis Bouchez (MR) et Maxime Prévot (Les Engagés) ont rencontré les acteurs de l’enseignement, ceux de l’obligatoire et ceux du supérieur, à qui ils ont répété ce qui se trouvait inscrit dans leurs programmes. Et ça commence fort.

Ainsi dans celui des Engagés: revaloriser le salaire mais, surtout, revoir la nomination des enseignants, l’assouplir, la moderniser, voire y renoncer au profit d’«un statut non nommé sous CDI». Le MR n’est pas contre et ça inquiète les syndicats, qui ont immédiatement riposté. Pour eux, c’est non, pas touche à la nomination. «Est-ce réellement le bon moment pour le faire? Ce statut a été imaginé à la veille de la Seconde Guerre mondiale dans le but de protéger les enseignants de la dérive des gouvernants», déclare d’emblée Luc Toussaint de la CGSP-Enseignement.

Pour les libéraux et les centristes, ce statut empêcherait la mobilité des professeurs, bloquerait l’entrée des jeunes dans la profession et rendrait difficile l’écartement d’enseignants défaillants. Alors indéboulonnable le professeur nommé? Non, mais. Indéplaçable? Souvent, sans doute. Plus absent? Oui, mais. Décryptage en 5 questions.

1. Le professeur nommé est-il vraiment indéboulonnable?

Il en faut beaucoup pour qu’un enseignant nommé soit licencié. Ils sont, jusqu’ici, quasiment intouchables. Une procédure disciplinaire existe mais elle est longue et lourde. Plainte, examen des faits, enquête, procédure disciplinaire, sanction, recours… Elle n’est dès lors utilisée qu’en dernier ressort. Sur le plan pédagogique, le décret sur l’évaluation des enseignants, voté sous cette législature finissante, pourrait aboutir à un licenciement, mais «dans de très rares cas», selon l’ancienne ministre Caroline Désir (PS). Dès la rentrée 2026, seulement si les pouvoirs organisateurs (PO, soit les employeurs des profs et des directeurs) –ce sont eux qui mèneront l’évaluation– auront été formés à l’exercice. La procédure ne pourra être enclenchée qu’en cas de carence manifeste et répétée d’un enseignant et si ce dernier refuse l’aide personnelle qui lui est proposée. Une procédure également longue et lourde, donc. Elle comporte, elle aussi, une série d’étapes: des successions d’auditions, deux droits de recours, éventuellement assortis d’un nouvel accompagnement individualisé.

En clair, la Fédération Wallonie-Bruxelles combine un statut d’emploi hyperprotégé pour les enseignants nommés et une entrée dans la carrière marquée par une insécurité et une instabilité d’emploi.

2. Etre nommé encourage-t-il l’immobilisme?

Pour être nommé, il faut accumuler un capital d’heures dans un même PO. L’ancienneté acquise ne prévaut que dans un seul et unique PO. Celle acquise dans un PO n’est donc pas valable dans un autre. Si l’enseignant le quitte, il retombe à zéro. Ce qui peut inciter des professeurs à être les plus stables possible au sein d’un même PO et à n’envisager les postes disponibles que dans un périmètre parfois restreint. Dans l’enseignement libre, par exemple, un PO, c’est parfois deux écoles, voire… une seule.

La carrière se résume, en somme, à ceci: galérer pendant plusieurs années, obtenir le graal qu’est la nomination et puis, plus rien, sauf pour ceux qui souhaitent devenir directeurs ou inspecteurs. Ou à demander à être «détaché» ou «chargé de mission» ailleurs. Un nommé peut en effet travailler au sein d’une asbl, d’une association culturelle, de l’administration… Les statistiques montrent ainsi qu’un professeur sur cinq n’est pas en classe pour différentes raisons: maladie, détachement pédagogique…

3. Les jeunes enseignants sont-ils sacrifiés au profit des nommés?

Ceux qu’on appelle les enseignants temporaires doivent d’abord gagner des «points» dans les classements pour devenir temporaires «prioritaires», puis enfin décrocher leur nomination. Les plus chanceux d’entre eux trouvent un poste à l’année. Les autres enchaînent les charges de cours révélées quelques jours, voire 24 heures avant la rentrée, de longs déplacements d’un établissement à l’autre pour compléter un horaire, deux jours ici, un jour là, la case chômage quand on ne vous appelle pas. En octobre 2023, ces enseignants temporaires représentaient 25,9% des temps pleins dans l’enseignement obligatoire. Et ceux-là héritent d’horaires plus inconfortables et enseignent dans les zones les plus difficiles, délaissées par les professeurs les plus chevronnés.

Quel que soit le réseau d’enseignement, les avantages associés à la nomination se répercutent donc négativement sur les jeunes qui entrent en fonction.

Un enseignant nommé est logiquement plus âgé et donc plus usé

Luc Toussaint

4. Plus absents?

C’est la question qui fâche. L’absentéisme des enseignants nommés est-il supérieur à celui qui ne le sont pas? Il semble que oui. Ainsi, au cours de l’année 2021-2022, la majorité des jours d’absence sont le fait des plus âgés. Le taux des 50-65 ans dépassait 12% alors que celui des 20-29 ans atteignait 4%. Les 50-65 ans représentaient à eux seuls 47% des jours de maladie comptabilisés. Autre indicateur: entre septembre 2018 et septembre 2022, le taux d’absence pour maladie des enseignants du maternelle et du primaire est passé de 4,6% à 6%. Il est du même ordre en secondaire. Un bémol, cependant. «Ce n’est pas tant le fait d’être nommé qui joue mais la pénibilité du travail. Un enseignant nommé est logiquement plus âgé et donc plus usé», note Luc Toussaint. Ce taux, en outre, n’est pas plus élevé qu’ailleurs. Ainsi, parmi les fonctionnaires fédéraux, il s’élève à 6,6% en 2022.

5. Un impact sur la pénurie d’enseignants?

Aujourd’hui, 20% des jeunes quittent la profession dès la première année et 35 % le feraient dans les cinq premières années d’enseignement. Ce taux d’abandon tient à la baisse de motivation mais, surtout, les inégalités en matière de stabilisation à l’entrée en fonction sont un véritable obstacle. Notre système éducatif ne parvient pas à retenir ses jeunes recrues. Or, «supprimer la nomination risque d’aggraver encore la pénurie, craint Luc Toussaint. On sait très bien qu’un CDI offre une protection moins grande.»

D’autres, en revanche, estiment qu’un CDI permettrait une stabilisation plus précoce. Ce qui se pratique en Angleterre, par exemple. Mais partout ailleurs, les débutants sont stabilisés plus tôt. En France, où le taux de sortie est faible, la majorité des enseignants sont engagés comme fonctionnaires. Enfin, en Flandre, les jeunes enseignants sont également nommés plus rapidement.

A ce stade, rien n’est encore décidé. «Ce n’est que quand on aura la déclaration de politique communautaire que l’on pourra soit négocier, soit combattre», conclut Luc Toussaint.

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