L’exécutif MR-Les Engagés égrène une série de mesures dans l’enseignement supérieur. L’une d’entre elles est urgente: raccourcir la durée des études. © GETTY IMAGES

Enseignement supérieur: les cinq chantiers incontournables de la rentrée

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Certitudes et inconnues… L’exécutif MR-Les Engagés égrène une série de mesures. Cinq d’entre elles, au moins, sont urgentes.

Un pari ambitieux. Ce que contient la Déclaration de politique communautaire (DPC) sur l’enseignement supérieur est d’envergure. Le programme MR-Les Engagés répond, en tout cas, à des attentes répétées des hautes écoles et des universités. De l’argent frais, moins de charge administrative, plus d’autonomie, notamment dans l’affectation de leurs budgets, une révision du décret Paysage… L’enseignement supérieur, compétence des libéraux sous la précédente législature, devrait donc connaître des jours moins chamboulés que l’enseignement obligatoire. Tour d’horizon des chantiers incontournables.

Chantier n°1: revoir le décret Paysage

Une urgence! C’est ce terme qui fuse, partout, en cette rentrée académique. Un «impératif», selon le Conseil des rectrices et des recteurs francophones (Cref). Du côté politique, le MR en avait fait une condition d’entrée dans l’exécutif de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) et chez Les Engagés, on était en phase. A présent au pouvoir ensemble, les deux partis souhaitent donc rapidement abolir les modifications votées impétueusement par le PS et Ecolo, avec le soutien du PTB.

Comment? En «maintenant un enseignement qui récompense le travail et donne un droit à l’échec mais ne permet pas que ce soit la pêche aux canards», résume Georges-Louis Bouchez, interrogé par RTL-TVI. Plusieurs pistes sont déjà esquissées. Un: la version «Glatigny», telle qu’elle fut votée en 2021 et qui corrigeait le texte de Jean-Claude Marcourt (PS). Deux: un «Glatigny bis», adapté en fonction des consultations et des recommandations remontant du terrain depuis l’application du décret en septembre 2022. Trois: un autre décret inspiré du système «Bologne», en vigueur en 2004, soit avant le décret «Marcourt». Celui-ci limitait la possibilité d’anticiper des crédits (l’étalon de mesure représentant des cours) de l’année supérieure en cas d’échec. Sur papier, le principe était simple: l’étudiant progressait par année d’études et non par «pack» de crédits cumulés. Il devait réussir un minimum de 48 crédits sur 60 pour entamer l’année supérieure, avec un programme nettement alourdi de 72 crédits. Mais il ne s’agissait pas d’un droit: le jury facultaire demeurait souverain. Lorsqu’il estimait que des cours essentiels n’étaient pas réussis, il pouvait modifier cette règle.

Sur le fond, il y a une même volonté: resserrer les conditions de réussite.

Sur le fond, il y a une même volonté, celle de resserrer les conditions de réussite, synthétisée dans la DPC: «Lutter contre l’allongement des études et le décrochage, offrir plus de clarté dans les critères de réussite et mieux accompagner l’étudiant dans son parcours.» Cet objectif part des effets pervers du décret Marcourt: des étudiants déstructurés, jonglant entre plusieurs années, une durée des études plus longue, des abandons plus tardifs, une hausse des coûts, des conflits d’horaire ou encore une augmentation de la charge administrative pour les personnels enseignant et administratif. A l’usage, selon les avis unanimes, le texte ne tenait plus la route. Et à peine nommée, en 2020, Valérie Glatigny (MR) entend le corriger. En substance, cela donne ceci: un délai maximal pour obtenir son cursus, soit cinq ans pour terminer son bachelier et quatre ans pour finir son master. Avec deux ans maximum pour réussir sa première bac et sa première master. S’il ne parvient pas à respecter ces délais, l’étudiant devient non finançable, c’est-à-dire que l’université ou la haute école ne reçoit plus de subsides pour financer son parcours et peut alors refuser une réinscription.

En bref, il s’agit de mieux baliser la ligne de départ et le passage du bac au master, et de raccourcir la durée des études. Le futur décret, prévu pour la rentrée 2026, ne devrait pas s’éloigner de cette intention. Il devrait également générer des économies non douloureuses; en raccourcissant la durée des cursus, on allège de facto les finances publiques puisque pour la FWB, le coût annuel d’un étudiant est de 6.300 à 7.800 euros.

L’exécutif prévoit pour l’étudiant l’obligation d’un « bilan de compétences ». © BELGA

Chantier n°2: un test obligatoire pour l’enseignement supérieur

Pour y parvenir et gagner en efficacité, l’exécutif prévoit pour l’étudiant l’obligation d’un «bilan de compétences», lui permettant d’évaluer son niveau et ses lacunes par rapport aux exigences de chaque filière et ce, à l’entame de son cursus. Ce test diagnostic ne bloquera pas l’étudiant, mais son «parcours de première année sera adapté en fonction des faiblesses éventuelles grâce, par exemple, à des activités de remédiation». Jusqu’ici, seule la Flandre impose un test d’aptitudes et un programme de remédiation obligatoires.

L’idée d’une évaluation obligatoire est plutôt bien accueillie au sein des hautes écoles et des universités. Parce que sans un test obligatoire et un accompagnement individuel contraignant, le risque est de voir des étudiants s’entêter alors qu’ils n’ont pas les outils, les compétences et les prérequis pour se lancer dans une filière. Et à l’arrivée, de se retrouver avec des propositions d’aide à la réussite fréquentées… par ceux qui n’en ont pas besoin. Ce que dénoncent depuis des années les établissements supérieurs.

D’autres arguments nourrissent ceux qui se montrent défavorables à un test obligatoire. L’expérience de l’examen d’entrée en médecine ou en médecine vétérinaire, avant qu’il ne soit éliminatoire, a prouvé que lorsqu’un test non contraignant indique à l’étudiant qu’il ne maîtrise pas les prérequis, celui-ci ignore le résultat et persévère jusqu’à l’échec. L’expérience flamande livre, en revanche, d’autres éléments. Certes, pour les métiers à vocation, ces épreuves ne fonctionnent pas, mais au sein d’autres filières, près de 30% des étudiants modifient leur choix lorsqu’ils se rendent compte qu’ils ne possèdent pas les prérequis.

«Il faudrait mieux tenir compte des conditions socioéconomiques de la population accueillie par chaque institution.»

Chantier n°3: trouver de l’argent frais

L’enseignement supérieur bénéficie actuellement d’une dotation stable, indépendamment du nombre d’étudiants. Il est question, ici, du financement en enveloppe fermée, mis en place en 1998. Concrètement, les hautes écoles et les universités doivent se partager un montant fixe (hors indexation) en fonction de leur nombre d’inscrits. Or, l’enseignement supérieur, en particulier l’université, fait face à une massification dans les inscriptions: entre les années académiques 2006-2007 et 2021-2022, le nombre d’étudiants à l’université est passé de 68.758 à 112.749, tandis que leurs subsides n’ont crû que de 18%. Ce qui réduit de facto les dépenses par étudiant, puisque l’enveloppe doit être partagée entre un nombre sans cesse plus élevé d’inscrits, et entraîne des conditions d’encadrement de plus en plus détériorées. On compte, en moyenne, 44 étudiants pour un enseignant.

Une équation infernale, que l’exécutif promet de résoudre en sortant du système de l’enveloppe fermée. Comment? La DPC évoque un «mécanisme qui pourra intégrer un critère de performance en matière de lutte contre l’allongement des études». Selon le texte, le taux de participation aux examens «constitue un critère à examiner pour valoriser l’investissement des établissements en la matière». Sans livrer davantage de détails.

Depuis longtemps, les universités et hautes écoles demandaient la fin de ce mécanisme. Pour autant, elles avancent des réflexions, des conditions. Ainsi, Annemie Schaus, rectrice de l’ULB, estime que le financement par étudiant doit être objectivé et revu à la hausse pour correspondre à la réalité. «A l’ULB, un tiers des étudiants relèvent de l’aide sociale. Il faudrait, par exemple, mieux tenir compte des conditions socioéconomiques de la population étudiante accueillie par chaque institution.»

Une sorte de financement différencié et complémentaire. Ce scénario n’est pas nouveau et n’a jamais abouti. La piste a déjà été explorée par des chercheurs de l’UMons, l’ULiège et l’UCLouvain Saint-Louis-Bruxelles, à la demande de Jean-Claude Marcourt. L’étude a ciblé cinq catégories d’étudiants «fragiles». Premier groupe «à risque» (d’échec ou d’abandon): les étudiants inscrits pour la première fois en supérieur. Ensuite, les étudiants issus de catégories socioprofessionnelles défavorisées; ceux qui ont redoublé en secondaire; ceux qui ont suivi une filière qualifiante. Enfin, ceux qui sortent d’écoles secondaires de niveau socioéconomique faible. Certains sont évidemment plus à risque que d’autres. Ainsi en 1re bac, l’étudiant originaire d’une école de niveau 1 à 5 (sur une échelle de 20) a un taux de réussite de 20%, contre 60% pour celui d’une école de niveau 16 à 20. On dépenserait donc plus pour le premier que pour le second, par exemple. L’ensemble de ces critères, combinés les uns aux autres, permet de calculer le montant supplémentaire distribué aux établissements.

44

étudiants pour un enseignant, tel est le ratio actuel dans l’enseignement supérieur.

Chantier n°4: faire contribuer davantage les étudiants non résidents

L’accord de gouvernement mentionne une «contribution plus juste des étudiants non résidents» européens. En 2020, ils représentaient 11,5% des effectifs, dont 74% originaires de France. Selon le Cref, ils captent 13% du financement de la FWB. Ce qui correspond au financement d’une grosse université. Il y a donc de l’argent à récupérer. De fait, les universités y voient, notamment, une bouffée d’oxygène.

Ce mécanisme de compensation est, lui aussi, évoqué depuis des années. La FWB a régulièrement tenté de trouver une issue à l’échelon européen, en proposant la création d’un fonds de mutualisation entre pays (c’est-à-dire, en gros, partager les frais), destiné aux Etats membres qui doivent absorber un taux élevé d’étudiants non résidents. En vain. En effet, hormis la Belgique, seuls l’Autriche, confrontée à un afflux d’étudiants allemands, et les Pays-Bas, encaissant un flux de jeunes Belges, Français, Allemands, vivent une arrivée massive… et pèsent donc bien peu.

Un autre modèle semble tenir la route car «plus réaliste», selon Georges-Louis Bouchez. Développé par deux professeurs de l’UCLouvain, Vincent Yzerbyt et Vincent Vandenberghe, le principe serait d’augmenter le minerval de tous les étudiants (1.600 euros, par exemple) mais de «neutraliser» cette hausse par l’octroi d’une bourse universelle d’un montant identique uniquement aux étudiants «éligibles», c’est-à-dire ceux qui possèdent un lien avec la Belgique francophone par leur nationalité, leur résidence, leur détention d’un diplôme secondaire ou le travail de leurs parents. «En procédant de cette manière, on respecte le droit européen qui autorise un Etat à réserver à ses seuls ressortissants le bénéfice de prestations sociales, de bourses et de prêts d’étude. Autant le droit est clair sur l’interdiction de différencier le minerval entre Européens, autant il permet de différencier toute prestation sociale», expliquent les professeurs.

Une espèce d’opération zéro, qu’étudie sérieusement l’Ares (Académie de recherche et d’enseignement supérieur), à la demande de l’ex-ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny (MR). L’avis était attendu pour le printemps de 2024.

Les libéraux et les centristes ont décidé que les nouvelles filières doivent être déposées «avec retenue».

Chantier n°5: rationaliser l’offre de l’enseignement supérieur

La question avait crispé la précédente majorité. Souhaitant rationaliser l’offre de l’enseignement supérieur, Valérie Glatigny avait refusé d’octroyer une habilitation à l’UMons et à l’UNamur qui voulaient ouvrir un master en médecine. A l’arrivée, une crise politique, opposant PS et Ecolo au MR, et un compromis: d’accord pour ces deux cursus, en échange d’une réforme durcissant les conditions d’octroi d’habilitations. De fait, le parcours est désormais plus difficile. Le nouveau décret verrouille ainsi l’attribution effrénée de nouveaux diplômes aux universités et hautes écoles en instaurant, par exemple, un système «+1/-1». Pour ouvrir une nouvelle filière, il faudra en fermer une.

Au cours de cette année, cette question devrait, en tout cas, occuper les hautes écoles et les universités. Les libéraux et les centristes ont en effet décidé que les nouvelles filières doivent être déposées «avec retenue». Dans le même esprit, pour la rentrée 2025, les établissements doivent «proposer des mesures de rationalisation de leur offre d’enseignements». Des arbitrages complexes en vue, notamment pour ceux engagés dans des alliances (des codiplômations, par exemple) avec d’autres établissements européens et internationaux, où ces restrictions n’existent pas.

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