Soutien aux enseignants, développement de compétences, évaluation: que prévoit le décret?

L’agence Belga a pu mettre la main sur l’avant-projet de décret relatif au soutien, au développement des compétences professionnelles et à l’évaluation des personnels de l’enseignement. Constituant une des pièces visant, à côté d’autres découlant du pacte d’excellence, à améliorer la qualité de l’enseignement, le texte est censé être approuvé en première lecture par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles d’ici la fin de l’année.

Craint par une partie du personnel qui s’est encore exprimé ce jeudi, le texte a évolué de manière à se concentrer sur le sens à donner au travail collectif et individuel de l’enseignant. Balisée et attachée à la reconnaissance du droit du personnel, l’évaluation visera elle, au bout d’un long processus de soutien et de développement, à apporter une réponse aux « carences manifestes et répétées » d’une minorité d’éléments, telles que le refus de s’engager dans des formations.

Portée par la ministre de l’Enseignement Caroline Désir, l’ambition du gouvernement consiste à offrir un cadre formel au travail collaboratif et à la formation inhérents à la charge. Il s’agit notamment de ne pas laisser en plan les jeunes enseignants.  Le texte propose deux mécanismes: un mécanisme de « soutien » et de « développement des compétences professionnelles », d’une part, un mécanisme d’évaluation, d’autre part, qui ne pourra être activé qu’après que toutes les étapes du mécanisme précédent auront été mises en oeuvre. 

Le premier mécanisme, au coeur du dispositif à venir, démarrera par un « entretien de développement professionnel« . Ce dialogue ouvert sera notamment l’occasion pour les membres du personnel de faire le point sur leurs pratiques, d’échanger au sujet d’éventuelles difficultés ou de mener une réflexion sur des besoins de formation, dans la perspective du développement des compétences professionnelles. Cet entretien concernera tous les enseignants, annuellement si possible (et obligatoirement pour les jeunes enseignants, pendant 5 ans); et au minimum une fois tous les trois ans. L’entretien se clôturera par un feed-back et pourra déboucher sur la mise en place d’un « plan de développement des compétences professionnelles », un PDCP dans le jargon.

Le PDCP pourra être mis en place à la demande de l’enseignant ou à l’initiative de la direction. Il le sera systématiquement pour les membres du personnel dans leur première année d’exercice. Le plan équivaudra à une sorte de contrat passé entre l’enseignant et le directeur autour d’objectifs limités qui pourront être rencontrés grâce aux moyens mis à disposition (formation, soutien). Il est à noter que le directeur assumera seul le pilotage de ce processus, dans le cadre de la mission qui lui incombe et moyennant le suivi préalable d’une formation obligatoire. Cela signifie que sa tâche sera précisément balisée: pas question pour le directeur de se concentrer sur la maîtrise par l’enseignant de connaissances spécifiques à la matière, qui peut relever d’autres procédures telles que l’Inspection. Le directeur se concentrera lui sur des « dimensions pédagogiques transversales« , « la participation à des projets collectifs », « la posture de l’enseignant« , etc. S’il sera seul à en assumer le pilotage, le directeur pourra toutefois déléguer la tenue d’entretiens et la « préparation » du PDCP.

Cependant, ce rôle de délégué sera strictement limité, le projet lui refusant, à la demande des organisations syndicales, toute compétence de décision. Son rôle est clairement et strictement délimité à des tâches qui ne peuvent emporter aucune contrainte ou conséquence négative pour le membre du personnel. Seule une catégorie très spécifique d’enseignants pourra se voir octroyer la délégation: enseignants expérimentés (au moins 15 ans d’ancienneté), directeurs adjoints ou chefs de travaux d’atelier dans l’enseignement qualifiant. Il n’entre pas dans les intentions du gouvernement de permettre des évaluations par des pairs, comme cela a pu avoir été dit.  Un entretien de clôture ponctuera le PDCP au plus tôt six mois, et au plus tard deux ans après sa mise en place. Il débouchera soit sur un feed-back positif soit sur un « rapport motivé » du directeur au pouvoir organisateur et entraînera, le cas échéant, le démarrage du « mécanisme d’évaluation », cette fois, par le pouvoir organisateur.

Pour en arriver là, le directeur devra avoir constaté une « mauvaise volonté manifeste » ou des « carences manifestes et répétées ». L’exemple qui revient le plus souvent est le refus répété de suivre des formations.  Ce mécanisme d’évaluation ne pourra porter que sur les objectifs du PDCP et l’enseignant devra avoir été mis en capacité de les atteindre (formations, soutien) Les services d’Inspection pourront être mobilisés par le pouvoir organisateur s’il estime que son expertise pédagogique ou disciplinaire peut s’avérer utile. La ministre insiste dans le texte sur l’attachement porté à la protection des « droits individuels » du travailleur et au fait de ne pouvoir, le cas échéant, lui reprocher qu’un manquement à des objectifs qu’il aurait dû rencontrer individuellement. 

A l’instar de la précédente, la procédure découlant du mécanisme d’évaluation sera également balisée et étalée dans le temps. L’enseignant devra avoir été entendu préalablement par le pouvoir organisateur, avec la possibilité d’être assisté (représentant syndical…) Le verdict sera une mention « favorable » ou « défavorable » dûment motivée. Un mécanisme d’information préalable à l’organisation syndicale dont il relève sera prévue si l’enseignant est lui-même délégué syndical. Un droit de recours est prévu devant une commission de recours externe dans laquelle siègeront les organisations syndicales. Un membre de l’Inspection pourra y siéger également si au moins un membre de la commission estime utile de demander son expertise pédagogique ou disciplinaire.

Si l’évaluation reste négative, un entretien doit être organisé entre le membre du personnel et le pouvoir organisateur pour mettre en place un « plan d’accompagnement individualisé » (PAI) qui fixera à nouveau un nombre limité d’objectifs à atteindre afin que l’enseignant puisse retrouver une mention favorable. Au minimum trois mois plus tard, et au maximum deux ans après la mise en place du PAI, le pouvoir organisateur délivrera soit une mention favorable soit une mention défavorable entraînant, moyennant motivation, une fin de fonction au sein du PO. Un dernier droit de recours est encore prévu auprès d’une commission externe organisée selon les mêmes modalités que la précédente. Au total, la procédure peut durer plus de quatre années. Le temps d’achever la formation de l’ensemble des directeurs, le dispositif ne démarrera pas avant 2026 même si le décret est censé entrer en application dès 2024.

L’avant-projet de décret est le fruit de mois de concertations officieuses menées avec les PO et les organisations syndicales. Après l’approbation du texte par le gouvernement en première lecture, la concertation va pouvoir prendre un tour formel.

Les syndicats de l’enseignement envisagent de nouvelles actions début 2023

Les représentants syndicaux avaient appelé les enseignants à observer un arrêt de travail d’environ une heure ce jeudi, à partir de 11h30, en signe de solidarité. Ils ont symboliquement remis des cotons-tiges aux ministres parce que, selon eux, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles « reste sourd » aux revendications des personnels de l’enseignement malgré le succès des manifestations organisées cette année.

Ils réclament des avancées sur la taille des classes et la charge de travail, ainsi que de la clarté sur l’avenir de l’enseignement qualifiant. Ils rejettent également la future réforme de l’évaluation des profs et des directions.

Le président de la CGSP Enseignement Joseph Thonon évoque de « toutes petites victoires« , notamment pour le qualifiant avec un périmètre restreint des options fermées, mais aucune avancée majeure. « Le gouvernement dit être à l’écoute, avoir fait des concessions dans le dossier des évaluations, avoir adouci le projet, mais on continue de contester la pression qui sera mise sur le système éducatif. »

Roland Lahaye, secrétaire général de la CSC Enseignement, fait également part d’un manque d’accompagnement de la réforme et d’un problème de communication. « Le gouvernement ne comprend pas pourquoi le mouvement se poursuit parce qu’il a mis en place plusieurs groupes de travail, alors qu’il y a de la grogne et de l’inquiétude parmi les enseignants. Ils attendent des actes pour les rassurer. Les ministres nous ont redonné des garanties sur plusieurs dossiers mais ils entendent mener jusqu’au bout leur texte sur l’évaluation. »

De son côté, la ministre décrit une réunion « constructive » et rappelle avoir accordé beaucoup d’importance à la concertation sociale ces dernières années. « Concernant l’évaluation, on a revu le texte en profondeur, on l’a fait évoluer sur 15 points fondamentaux afin de donner plus de droits aux travailleurs », illustre Caroline Désir. « Le groupe de travail sur la taille des classes s’est lui réuni à plusieurs reprises et a commencé à travailler sur des pistes. Je m’étais engagée à arriver avec des propositions concrètes en juin prochain. »

L’administration travaillera également à une circulaire sur le bien-être des enseignants, qui reprendra les obligations légales et d’autres sujets comme le droit à la déconnexion.

Les syndicats ne se satisfont toutefois pas de ces réponses et envisagent de nouvelles actions. « Le mouvement risque sans doute de continuer dès le début de l’année 2023« , prévient Joseph Thonon

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