
Préparations, corrections: quel est le temps de travail réel des profs?

Quelle est la part du travail «invisible» des profs? La question sera discutée au sein d’un groupe de travail mis en place par Valérie Glatigny. Les syndicats espèrent, eux, briser les fantasmes.
C’est un passage de la Déclaration de politique communautaire (DPC) qui ne passe pas auprès des principaux concernés. Il prévoit «l’évaluation et, le cas échéant, l’ajustement des différences de charge de travail entre les enseignants de disciplines différentes». En d’autres termes, il s’agit d’examiner le temps de travail des profs et, si de grandes inégalités apparaissent, «des mécanismes d’adaptation seront proposés». Pour les représentants syndicaux, le texte contient plusieurs «lignes rouges» qui ne peuvent être franchies. Selon eux, sont particulièrement visés les profs de gym et d’arts plastiques, comme s’ils en faisaient «moins». «Quelle injure!, estime Roland Lahaye, secrétaire général de la CSC-Enseignement. Ils devront faire plus d’heures de cours, sans savoir s’ils ne s’impliquent pas dans d’autres projets ou activités scolaires.»
La proposition est donc déjà condamnée. Elle n’en rappelle pas moins la persistance, dans une partie de l’opinion, d’un présupposé refusé par la profession: les enseignants, ou du moins une partie d’entre eux, disposeraient d’une réserve de temps disponible –et peut-être même trop. Un discours auquel ils sont rompus, tant leur activité fait l’objet de critiques et de suspicions.
«Tout le monde estime savoir ce qu’est le métier d’enseignant, car tout le monde en connaît ou en a connu un, alors même qu’une large partie du travail est invisible. Ce qui alimente les représentations très partielles de leur activité», synthétise Roland Lahaye.
Le décret résume cette complexité de définition. Il renseigne la rubrique «travail en classe» de cette façon: «26 périodes de 50 minutes par semaine» en maternelle, «24 périodes de 50 minutes par semaine» en primaire, «22 périodes de 50 minutes par semaine» dans le secondaire inférieur, «20 périodes de 50 minutes par semaine» dans le secondaire supérieur. Hormis ces prestations obligatoires devant les élèves, il fait mention de «travail pour la classe», de «service à l’école et aux élèves», de «formation en cours de carrière» et de «travail collaboratif». En bref, toutes ces tâches qui font tourner une classe et une école: préparer les cours, corriger les devoirs, assister aux conseils de classe et aux réunions entre collègues, répondre aux parents, mettre en place des projets pédagogiques, participer aux sorties scolaires… Un bloc de missions non quantifiées. «Je prépare mes cours seul. Je n’ai bénéficié d’aucune aide pour les bâtir et c’est assommant! J’ai trois niveaux et autant de programmes à monter. Et ce, sans compter les élèves en difficulté que nous ne sommes pas formés à accompagner, témoigne Benoît, 29 ans, qui enseigne depuis trois ans le français à des classes de 4e, 5e et 6e secondaires. Durant mes deux premières années, je n’avais pas de soirées, pas de week-ends.» Quand il preste ses 16 heures (soit ses 20 périodes de 50 minutes), le jeune homme estime qu’il a en réalité travaillé près de 45 heures. En début de carrière, une heure de cours peut en effet prendre jusqu’à deux heures de préparation. «Depuis cette année, je commence enfin à sortir la tête de l’eau.»
«On ne corrige pas une dissertation aussi vite qu’un contrôle de maths.»
Benoît
Prof de français.
De cette «boîte noire» du temps de travail hors de la classe découle l’éternelle question du «temps de travail effectif» des professeurs, qui n’a jamais été objectivé jusqu’ici en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). «Mais quand nous interrogeons nos affiliés, on est largement au-delà des 38 heures de travail hebdomadaires», affirme Masanka Tshimanga, du syndicat SLFP-Enseignant. Selon une étude de la Vrije Universiteit Brussel (VUB) de 2024 réalisée sur un panel de 9.600 enseignants flamands, tout compris, la durée hebdomadaire moyenne de travail des profs s’élève à 39 heures sur une base annuelle (46 heures hebdomadaires, en moyenne, en période de cours et 17 heures hebdomadaires, en moyenne, durant les congés). «L’idée selon laquelle les enseignants ont beaucoup de temps libre est battue en brèche par ces chiffres», commente la représentante SLFP-Enseignement. «Depuis longtemps, nous demandons qu’une étude objective sur le temps de travail réel des enseignants francophones soit menée, ajoute Roland Lahaye, de la CSC-Enseignement. Il est essentiel que ce temps hors classe soit rendu visible. En effet, ce serait une étape vers une reconnaissance du métier à sa juste mesure.»
Le principe est, en tout cas, inscrit dans le dernier accord sectoriel négocié entre les syndicats, les pouvoirs organisateurs et l’ex-ministre de l’Enseignement, Caroline Désir (PS). Pour l’heure, l’enquête n’est pas encore lancée, ni auprès des enseignants ni des directeurs d’école, mais elle sera bien sur la table de l’un des quatre groupes de travail (celui sur la pénurie) mis en place par le gouvernement et chargés de fixer une série de mesures pour revaloriser le métier d’enseignant, moderniser le statut et lutter contre la pénurie.
Comparer des pommes et des poires: porte ouverte à des différences salariales, selon les syndicats.
Des métiers différents
Mais l’exercice se révèle d’emblée imparfait, relativise-t-on souvent hors des cercles enseignants, y compris au sein de l’administration, puisqu’il repose sur les déclarations des intéressés. Imparfait encore, parce qu’il masque bien des disparités.
«Les syndicats continuent à mettre tous les professeurs sur le même plan, alors que nos métiers sont différents», constate Florence, 46 ans, institutrice depuis 23 ans. Quand des collègues invoquent les heures en sus après l’école, elle les estime «parfois exagérées». «J’ai la même classe depuis dix ans et l’expérience me permet de consacrer moins de temps aux préparations comparé à un débutant», rapporte-t-elle. Elle tient d’ailleurs à nuancer cette charge. «Au sein de mon établissement, tous les enseignants s’appuient sur des manuels. Ce sont d’excellents supports qui nous font gagner un temps important.»
Sur le terrain, tous les enseignants ne seraient ainsi pas logés à la même enseigne. «On ne corrige pas une dissertation aussi vite qu’un contrôle de maths. Enseigner le français en 1re secondaire ne demande pas la même charge de travail qu’en rhéto, mais les élèves sont plus difficiles dans la classe», estime Benoît.
Il faut bien le dire, les chiffres issus d’enquêtes sur le temps de travail des enseignants sont très vraisemblablement sujets à variation. Ainsi, il ressort d’études menées en France par le ministère de l’Education nationale que les écarts les plus significatifs s’observent dans les disciplines. Les littéraires déclarent un temps de travail hors classe plus élevé que les scientifiques, notamment à cause des corrections. Assez logiquement également, les enseignants d’éducation physique et d’arts plastiques ou de musique travaillent moins à domicile que les autres. «Ce débat ne doit absolument pas se résumer à opposer des fonctions et des disciplines aux autres», répond Roland Lahaye. Les syndicats y voient des effets pervers. Comparer des pommes et des poires est, selon eux, une porte ouverte à des différences salariales. Ils redoutent, par exemple, une bonification salariale au mérite. «Cela stigmatisera certaines fonctions et créera un climat délétère au sein des écoles», s’alarme Masanka Tshimanga, qui pointe une «comparaison simpliste» et une «méconnaissance du métier». Une matière pouvant nécessiter moins de préparation mais exiger davantage de disponibilité ou de pénibilité. Ainsi en est-il du prof de gym, ce «planqué» de l’enseignement qui amène peu de travail à la maison, n’a aucune copie à corriger ni examens à préparer. «Ce métier comporte un degré de pénibilité sous-estimé et une charge mentale inquantifiable, rétorque Roland Lahaye. Il faut gérer un espace qui résonne et plus grand qu’une classe avec des élèves assis. Il faut également veiller à la sécurité des élèves.»

Les 38 heures dans l’école?
Sont-ils prêts alors à rester 38 heures dans l’établissement pour visibiliser ce temps invisible? Certains pays européens imposent en effet aux professeurs un temps de présence additionnel au sein de leur établissement. En Flandre, la proposition figure dans le rapport de la commission des sages remis au ministre, en décembre dernier, et mise sur pied pour redéfinir les tâches d’enseignement. L’idée a également effleuré des têtes pensantes du Pacte d’excellence. L’avantage, c’est que ces 38 heures couvriraient tout. A savoir le temps devant les élèves mais aussi les corrections, les préparations, etc. Une fois ces 38 heures prestées, l’enseignant serait libéré. Elle fut aussitôt enterrée. Les syndicats la qualifient de «totalement irréaliste», principalement pour des raisons matérielles. Contrairement à leurs collègues d’autres pays européens, en Grande-Bretagne notamment, les enseignants ne disposent pas de bureau personnel à disposition dans l’établissement où ils travaillent, et les salles des professeurs, quand elles existent, sont le plus souvent trop petites. «Déjà, d’après nous, les enseignants travaillent généralement plus de 40 heures hebdomadaires. Et c’est bien davantage encore pour un enseignant qui a plusieurs classes, pour un enseignant débutant qui court plusieurs implantations… Et puis, quoi? Il va préparer ses cours et corriger ses copies sur un coin de table. C’est n’importe quoi!»
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