Pénurie criante d’enseignants: « Parfois, on engage quelqu’un simplement parce qu’il est bilingue »
A quelques jours de la rentrée scolaire, la pénurie d’enseignants se fait sentir partout en Belgique, que ce soit dans les écoles francophones ou néerlandophones. « Il faut une valorisation réelle du métier d’enseignant ».
Présente depuis de nombreuses années, la pénurie d’enseignants semble encore s’aggraver. « En 2023, nous avions une augmentation d’environ 30 à 40% d’offres emploi dans l’enseignement, par rapport à la même période l’année passée, même s’il faut ajouter que de plus en plus d’écoles utilisent notre plateforme JobEcole. Mais c’est un fait qu’il y a plus d’offres d’emploi», déclare Arnaud Michel, directeur au Département de la communication du Secrétariat général de l’enseignement catholique.
Actiris, l’Office régional bruxellois de l’emploi, dresse le même constat. « Nous notons une hausse très marquée d’offres d’emploi pour l’enseignement, et cela tous métiers confondus, que ce soit pour des postes d’enseignants ou de personnel d’entretien dans les écoles », déclare son porte-parole Romain Adam.
Absences pour maladie
A cela s’ajoute que les absences pour maladie ont aggravé la pénurie d’enseignants en cours d’année scolaire, ressort-il des dernières statistiques citées dans La Libre Belgique. Le taux d’enseignants absents dépassait 11 % en décembre dernier (9,7 % un an plus tôt) et frôlait 10 % en avril (pour moins de 8 % en avril 2022).
En Flandre, la pénurie d’enseignants se fait également sentir. Fin juillet, le VDAB, l’Office flamand de l’emploi , comptait 22,5 % de postes d’enseignants vacants de plus qu’un an auparavant. Leur nombre est passé de 2 600 à 3 200.
Pour tenter de pallier cette pénurie, le Parlement flamand a permis aux écoles l’embauche d’enseignants spécialisés ou experts. Ces professeurs bénéficieront d’un mandat au sein de l’école pour au moins trois ans en échange de leur expertise. Ces enseignants jouiront d’un supplément de salaire, ce qui crée des différences salariales au sein de la profession. En outre, dès la rentrée, la fonction de directeur adjoint sera introduite dans l’enseignement de base pour soulager les directions. Un règlement sera aussi adapté pour permettre l’emploi de davantage de professeurs invités.
La pénurie d’enseignants, un grand défi
« C’est l’un des plus grands défis des années à l’avenir. Il y a évidemment d’autres défis, mais dans la réalité de l’école, c’est le défi auquel nous sommes confrontés. Cette pénurie, qui affecte les directions, mais aussi les parents et les professeurs, sévit forcément au détriment des élèves », déclare Benoit Martin, directeur adjoint au Collège Cardinal Mercier à Braine-l’Alleud.
A quelques jours de la rentrée, le collège francophone bénéficie d’un corps d’enseignement complet pour les humanités, mais la direction n’est jamais à l’abri de surprises. « Hier soir, à un jour ouvrable de la rentrée scolaire, un professeur m’a annoncé qu’il ne rentrait pas ce qui me laisse très peu de temps pour trouver un remplaçant et refaire les horaires », raconte-t-il.
« J’ai de la chance d’avoir tous mes enseignants pour la rentrée, mais si quelqu’un me téléphonait demain pour me dire ‘je me suis cassé la jambe’ je serais vraiment dans l’embarras, car je n’ai pas de possibilités de le remplacer. La situation est tendue », constate également Sophie*, directrice d’une école primaire bruxelloise.
Généralement, la pénurie se fait sentir durant l’année scolaire. « L’an dernier, pendant plusieurs mois, nous n’avons été dans l’impossibilité d’assurer les cours d’anglais au degré inférieur. Quand il s’agit d’un départ soudain, c’est difficile de remplacer la personne », ajoute Benoît Martin.
Une pénurie dramatique
« C’est dans le degré inférieur que la situation est la plus problématique. En langues, en mathématiques, et en sciences, la situation est vraiment dramatique. Les écoles en viennent à engager des personnes qui ne possèdent aucun titre pour enseigner, mais qui par leur métier ont acquis certaines compétences.
Il arrive même qu’elles engagent une personne qui n’a aucune compétence pédagogique, qui n’a jamais enseigné, ou fait d’études de traduction, mais qui est simplement bilingue. C’est très compliqué pour elle, et même pour les élèves parce qu’elle n’a pas de compétences pour enseigner. C’est un pis-aller », déplore Benoit Martin .
A Bruxelles, les écoles doivent engager des personnes qui ne possèdent pas les titres requis. « Je reçois énormément de CV, mais il s’agit souvent de personnes qui ne sont pas instituteurs primaires. Je reçois des CV d’instituteurs maternels ou d’autres personnes qui n’ont pas fait d’études pédagogiques, mais qui ont été engagés l’année passée et qui ont donc acquis une petite expérience dans l’enseignement, car d’année en année, nous engageons des gens qui n’ont pas les titres requis », explique Sophie.
Une déconnexion totale
« Il faut une valorisation réelle du métier d’enseignant. Le monde politique en a conscience, mais il faut œuvrer à la valorisation du métier, non financière, car nos enseignants ne sont pas mal payés. Nous avons parfois l’impression que le politique ne se rend pas toujours compte de l’ampleur du défi », déplore Benoît Martin.
Il cite l’exemple du néerlandais qui sera obligatoire pour tous dès la 3e primaire, une mesure prévue pour l’année 2027-2028 et déjà appliquée à Bruxelles. Aujourd’hui en Wallonie, près d’un tiers des élèves de 6e secondaire quittent l’école secondaire sans avoir eu une seule heure de néerlandais Pour Benoît Martin, cette mesure sera impossible à mettre en œuvre. « Idéologiquement, l’idée me paraît sensée, mais le réel n’est pas là, il y a une déconnexion totale. On n’y arrivera jamais, car, il n’y a pas de professeurs de néerlandais ».
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