Pénurie: manque d’attractivité salariale, de considération, conditions de travail difficiles, jeunes recrues «maltraitées»… Depuis des années, le métier peine à recruter et à garder ses enseignants. © GETTY

Pénurie d’enseignants: «Pas un de mes élèves ne veut être prof»

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Manque d’attractivité salariale, de considération, conditions de travail difficiles, jeunes recrues «maltraitées»… Depuis des années, le métier peine à recruter et à garder ses enseignants.

«Travailler plus»: cette logique se retrouve au cœur de la Déclaration de politique communautaire (DPC). Ainsi en est-il du contrat à durée indéterminée proposé aux jeunes entrants, moyennant deux heures de prestations supplémentaires hebdomadaires. Ou encore du barème 501, dont seuls les professeurs qui enseignent en secondaire supérieur devraient dorénavant bénéficier –les autres, titulaires d’un master en sciences de l’éducation mais qui officient en primaire et en secondaire inférieur devraient prester des tâches supplémentaires pour conserver leur bonus (entre 350 et 400 euros net mensuels).

Pour les syndicats, il ne s’agit pas d’une «broutille mais de mépris». En proposant de travailler plus, les politiques semblent partir d’un présupposé refusé par la profession: les enseignants disposeraient d’une réserve de temps disponible. Un discours, cependant, auquel ils sont rompus, tant leur activité fait l’objet de critiques et de suspicions. «Oui, on bosse et on est mal payés!», lâche Stéphane, professeur en école technique. Du moins, «peu, vu le travail que ça demande et le temps passé à faire de la discipline». «Pas un de mes élèves ne veut être prof. Ils voient les conditions dans lesquelles nous travaillons», poursuit une autre enseignante en mathématiques. «Une image négative du métier leur est renvoyée par les pouvoirs publics, les médias, les élèves, les parents», note Xavier Dumay, professeur en science de l’éducation à l’UCLouvain. Les profs n’ont ainsi guère apprécié le traitement que leur a réservé l’exécutif Azur. Une attitude qu’on note un peu partout, en Europe, où des ministres se sont mis l’école à dos, en dénonçant «ceux qui ne sont pas prêts à davantage s’engager ou à faire plus d’efforts» (en France) ou «leur paresse» (en Allemagne).

Ce sont d’abord les conditions d’exercice du métier. Elles inquiètent, notamment les étudiants en filières pédagogiques particulièrement préoccupés par les difficultés rencontrées avec les élèves et la gestion de leur comportement, et qui savent qu’ils seront les premiers envoyés dans les zones les plus difficiles. «Etre parmi les plus critiqués et les plus exposés au burnout, ce n’est pas très motivant», ajoute la prof de maths.

Le coût d’entrée dans le métier est en effet lourd: intérims à la chaîne, semaines creuses, instabilité, solitude (40% affirment n’avoir reçu aucun accompagnement), manque d’autonomie financière à un âge où d’autres sont indépendants détournent les nouveaux entrants. Les taux d’abandon sont élevés puisque, après un an de carrière, 20% des enseignants quittent la profession; après cinq ans, ils sont un peu plus d’un tiers.

Un métier plus exigeant, plus complexe

«Si l’on ne s’attaque pas très sérieusement au problème, on risque un scénario de pénurie similaire à celui des infirmières», alerte Xavier Dumay. Faut-il rendre les salaires plus attractifs? D’après les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), seuls l’Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg rémunèrent mieux leurs enseignants que la Belgique. Or, en Allemagne, par exemple, cela ne suffit pas à attirer des candidats ni à les retenir.

La profession est en outre jugée peu attractive, notamment en raison du manque de perspectives d’évolution de carrière. Cette question pèse partout dans une époque où le monde du travail gagne en flexibilité pour de nombreux autres diplômés de l’enseignement supérieur. «Quand vous choisissez de devenir enseignant, vous optez pour une carrière plane et cela influence le choix d’un jeune», ajoute Xavier Dumay.

Les établissements accueillent aussi des publics plus divers. Le sentiment général, émergeant des enquêtes Pisa, est que le climat scolaire s’est dégradé ces quinze dernières années. Les classes sont plus hétérogènes et le métier plus exigeant, avec des pressions plus fortes des parents. Ainsi les profs consacrent 20% de leur temps à maintenir la discipline. Celle-ci se révèle d’ailleurs le premier facteur de stress.

Le climat se dégradant, les enseignants déjà en poste adoptent une position conservatrice, une résistance au changement, de crainte que de nouvelles réformes fragilisent encore leur situation. Or, les besoins éducatifs évoluent, et très rapidement, ce qui nourrit en retour le sentiment d’une valorisation sociale plus faible.

Bureaucratisation

Ils se croient donc mal aimés et ce n’est pas toujours faux. C’est même une réalité statistique. A chaque enquête Talis, et ce depuis des années, ils sont à peine 5% à se sentir reconnus à leur juste valeur. Mais ils ne sont que 26% en moyenne dans l’OCDE, ce qui tend à montrer que, partout, le rôle social des professeurs est percuté par ces nouvelles exigences. En Finlande et en Irlande, préservées par la pénurie, les profs ont surtout une formation de qualité, bénéficiant des avancées de la recherche en pédagogie et d’une solide formation continue. «Le métier est intellectuellement stimulant, note Xavier Dumay. La recherche en éducation est également plus présente tout au long de la carrière.»

Les systèmes scolaires qui résistent le mieux à la crise des recrutements ont aussi en commun de penser le métier « au niveau de l’établissement, plus que de l’enseignant». L’équipe, outre qu’elle génère un dynamisme collectif, permet aussi de répartir les charges de chacun. «Il faut remplir document sur document, assister à réunion sur réunion, reporter tout ce que l’on fait dans les plans de pilotage, et cela nous empêche d’être efficaces en classe… On observe un contrôle et une bureaucratisation qui n’existaient pas avant», ajoute Alain Koeune, directeur du collège Notre-Dame de Bellevue à Dinant. In fine, cette forte augmentation de leur charge administrative, qui en retour influence la pénibilité, mine donc l’attractivité du métier.

Que faire pour redorer leur image? Il n’existe que peu de conseils à prodiguer à Valérie Glatigny, résumés par Xavier Dumay: ne pas supprimer la nomination, mais adapter le statut, trop rigide, en restreignant les droits des plus anciens pour offrir un meilleur accueil aux nouveaux venus; supprimer l’acquisition de l’ancienneté au sein d’un seul PO face à l’existence de plusieurs réseaux d’enseignement; stabiliser, mieux former et payer davantage les profs de seconde carrière, puisqu’il faudra de plus en plus compter sur eux.

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