Des formations spécifiques à la médecine de guerre pourrait bientôt être intégrée au cursus de médecine des universités belges. © Getty Images

Les étudiants en médecine bientôt formés aux situations de guerre? «Il faut s’adapter aux changements géopolitiques»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

A la demande de la Défense et du SPF Santé, les universités francophones réfléchissent à la manière de mieux former leurs étudiants en médecine aux situations de guerre. L’objectif est de développer une approche coordonnée et adaptée aux conflits modernes.

«On n’est pas encore en temps de guerre, mais on n’est plus en temps de paix non plus». Fin février, le chef de la Défense, Frederik Vansina, mettait en garde la population face aux changements de paradigme géopolitique. Depuis, les initiatives pour se préparer à l’éventualité d’un conflit sur le sol européen se multiplient en Belgique. Alors que Theo Francken plaide pour un retour du service militaire et que le Centre de Crise planche sur un «plan de résilience global», les universités pourraient également contribuer à l’effort collectif.

Début 2025, dans un courrier conjoint, la Défense et le SPF Santé ont en effet appelé les facultés de médecine du pays à adapter la formation de leurs étudiants aux situations de conflit. Une demande qui était d’ailleurs à l’ordre du jour du Collège des doyens francophones, mi-février. «Nous nous sommes mis d’accord, unanimement, sur la nécessité d’adapter nos apprentissages aux changements géopolitiques actuels», confirme Edouard Louis, président du Collège et doyen de la faculté de médecine de l’ULiège.

A l’arrière-plan

Alors qu’une réunion est prévue fin mars entre les doyens de médecine francophones et les représentants de la Défense et du SPF Santé pour étudier les modalités pratiques de ces adaptations, Edouard Louis estime que la question doit devenir une priorité. «La médecine de guerre est un peu passée à l’arrière-plan des préoccupations au fil des années, contextualise le doyen. Aujourd’hui, dans le tronc commun de la formation médicale, l’accent est surtout mis sur les problèmes de santé publique et les maladies chroniques, comme les cancers ou les maladies cardiovasculaires. C’est la priorité, car c’est là que se situe la majorité de la demande. Mais le monde évolue, et ces changements de contexte nécessitent également une adaptation de notre part.»

Actuellement, certains étudiants sont déjà formés aux situations de conflit. Les masters de spécialisation en médecine d’urgence, dispensés à l’UCLouvain, l’ULB et l’ULiège préparent par exemple les futurs docteurs à la prise en charge des blessés par balles ou des victimes d’attentat. L’ULB et l’ULiège co-organisent également une formation en «Gestion multidisciplinaire des situations d’exception», pour préparer les médecins et les infirmières aux situations d’urgence collective et de catastrophe. Enfin, les bases de la médecine de guerre sont également dispensées spontanément dans différents cursus. «Dans le cadre de mon cours de chirurgie en Master 1, je consacre un chapitre complet au « damage control surgery », c’est-à-dire à la prise en charge chirurgicale des gros traumatisés de guerre, indique Pierre Wauthy, doyen de la faculté de médecine de l’ULB. Cela fait quatre ou cinq ans que j’ai développé ce chapitre, en réponse aux attentats de Bruxelles qui m’ont rappelé qu’on n’a pas besoin d’être dans une situation de guerre pour devoir traiter des traumatisés de guerre

La Défense en renfort

Mais si ce genre de formations existent déjà en Belgique, «rien n’est organisé de façon structurée à l’échelle du pays», rappelle Pierre Wauthy. L’objectif est donc de développer une approche interuniversitaire coordonnée, à tout le moins en Fédération Wallonie-Bruxelles. «Ca n’aurait aucun sens qu’un étudiant de l’UCLouvain ou de l’UMons réponde de manière différente à une situation de crise collective», insiste Jean-Michel Dogné, doyen de la faculté de médecine de l’UNamur.

L’idée est également d’impliquer les services de santé de la Défense dans cette formation. «Leur expertise doit être mise au service de nos étudiants, estime Pierre Wauthy. La médecine de guerre comprend de nombreux volets, comme le tri des patients, la prise en charge des hémorragies ou la chirurgie orthopédique. C’est toute une philosophie de soins qui est quasiment absente de la médecine civile ou routinière. D’où l’importance de capitaliser sur l’expérience de la Composante Médicale de la Défense.» La formation des futurs médecins doit également être adaptée aux conflits modernes. Les stratégies militaires ont en effet fortement évolué depuis la Seconde Guerre mondiale. «Il faudra prendre en compte les nouvelles armes de guerre, comme les bactéries chimiques, les radiations ou les drones, insiste Edouard Louis. Les réponses à tous ces traumatismes doivent évidemment être intégrées aux apprentissages.»

Une «vision holistique»

La formation aux situations de guerre doit également s’adresser à l’ensemble du corps médical, plaide Jean-Michel Dogné. «Il faut développer une vision holistique des soins, comme à l’époque du Covid, estime le professeur en sciences pharmaceutiques. Au-delà des médecins, les futurs infirmiers, kinés ou pharmaciens doivent également être impliqués, voire même les étudiants en sciences biomédicales. L’idée, c’est de transcender l’aspect médico-médical et d’identifier comment les autres acteurs de première ligne peuvent jouer un rôle. Leur présence ne sera jamais de trop en cas de conflit.»

Si les doyens n’en sont encore qu’au stade de la réflexion actuellement, de premiers ajustements pourraient déjà voir le jour d’ici la prochaine rentrée académique. «On s’adaptera dès que possible», assure Edouard Louis. Une ambition également émise par les universités néerlandophones. «Nous ne pouvons plus attendre plus longtemps, estimait Filip Lardon, doyen de la faculté de médecine de l’université d’Anvers sur les ondes de Radio 1, mercredi. Si nous commençons maintenant, nous ne verrons les résultats que dans six ans, lorsque les médecins seront diplômés.» Si les changements structurels de programme ne pourront se concrétiser qu’à moyen terme, la mise sur pied de bloc de formations spécifiques, par exemple, est tout à fait envisageable à court-terme, précise encore le doyen de la faculté de médecine de l’ULiège, qui assure que «la réflexion en est au même stade des deux côtés de la frontière linguistique».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire