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L’enfer des groupes WhatsApp de parents d’élèves : « Elle a commencé à insulter les autres pour une histoire de poux »

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Désormais, chaque classe, ou presque, a son groupe WhatsApp. Les discussions, parfois utiles, peuvent aussi se transformer en défouloirs.

Cela lui est arrivé comme à tant d’autres, ce moment où Stéphane (1) a intégré un groupe de discussion WhatsApp bien particulier: celui des parents d’élèves. Pour certains, cela commence dès la crèche. Dans son cas, ce fut lors des premières semaines confinées, en 2020. «Le plus petit venait d’entamer sa scolarité et, d’un coup, il devait quitter ses copains. Ce groupe a permis de créer une communauté autour de l’école et nous étions ravis qu’il garde des interactions avec ses camarades.»

Pauline, qui habite Bruxelles, loue, elle, le côté pratique de l’idée. Si sa fille oublie un devoir, il lui suffit d’appeler à l’aide pour qu’une bonne âme lui envoie illico une photo de l’exercice à faire. Revers de la médaille: la verbosité et la frénésie des messages qui peuvent arriver tard le soir et les week-ends. «Je reçois une dizaine de notifications par jour. C’est devenu peu à peu envahissant, soupire la quadragénaire, dont la fille de 10 ans est en classe de 5e primaire. Hélas, on y trouve aussi toutes ces sollicitations anecdotiques, du style “Pairi Daiza ou Walibi, cette année?” ou encore “Y a bien piscine demain?”.»

WhatsApp, le nouveau bureau des réclamations

Stéphane a deux enfants, le cadet en maternelle, l’aîné en primaire, et donc deux conversations WhatsApp à gérer. Et parfois, il s’agace. «Les messages du type: “Bonjour, quelles sont les leçons à faire pour demain, mon fils a oublié son journal de classe?” avec dix parents qui répondent et quinze autres qui réagissent avec des émojis, honnêtement, ça rime à quoi?»

Ces dernières années, ces boucles WhatsApp ont peu à peu remplacé le traditionnel «quart d’heure papote» devant les grilles de l’école, au cours duquel certains parents avaient l’habitude d’échanger des infos et des potins. Le vrai tournant date du premier confinement, quand les familles, assignées à résidence, ont été obligées de recourir aux outils numériques pour maintenir le contact avec l’enseignant ou échanger entre elles. Outils particulièrement utiles dans les établissements primaires qui ne bénéficient pas de plateformes numériques de travail dédiées. Mais qui se transforment volontiers en bureaux des réclamations. La parole y est d’autant plus libérée que les conversations échappent le plus souvent au regard des enseignants. L’an dernier, Pauline a ainsi été témoin d’échanges très virulents sur le compte WhatsApp de parents de la classe de sa fille. «Il y a eu des poux. Les parents ont averti sur le groupe, mais une mère est devenue hystérique en quelques jours. Elle a commencé à pratiquement insulter les autres parents, en leur reprochant de ne pas traiter leur enfant!»

Pas toujours à bon escient

Les enseignants, eux, tenus dans l’ignorance de ce qui s’y dit, se méfient de ces groupes. «Récemment, plusieurs parents ont commencé à se plaindre de l’instituteur attribué à leurs enfants à la rentrée prochaine, et qui, selon leurs dires, pratiquait une discipline de fer ou pouvait se montrer sarcastique avec ses élèves. Certains soutenaient même que le PO (NDLR: pouvoir organisateur) disposait d’un dossier sur l’enseignant, raconte Stéphane. C’était quasiment la détresse. Des affirmations ne reposant que sur des rumeurs, non vérifiées. L’angoisse d’un seul parent se propage sur tous.»

Directeur d’une école primaire officielle à Bruxelles, Thierry estime que les parents n’utilisent pas la messagerie instantanée à bon escient. «Comment devenir un élève autonome et investi si l’on n’est plus acteur de ses oublis? Les enfants sont déresponsabilisés car les parents sont toujours dans la compensation.»

A la prochaine rentrée scolaire, je refuserai de faire partie du moindre groupe WhatsApp de parents.

Il arrive aussi que de petits incidents s’y transforment en affaire d’Etat. Selon ce chef d’établissement, l’usage renforcé des outils numériques depuis la crise sanitaire a inévitablement déplacé les conflits sur ce terrain. Des outils à cause desquels «des parents très impliqués ou simplement rasoir peuvent entraîner les autres toute l’année».

Ces groupes peuvent parfois être un défouloir ou un lieu de stigmatisation de certains élèves, comme ce petit garçon de 8 ans au tempérament turbulent qui a malmené un camarade. «Sur la boucle WhatsApp, la mère de l’élève en question a proposé de répertorier tous ses heurts, témoigne Stéphane. Elle nous demandait de questionner nos enfants: avaient-ils été témoins ou avaient-ils eu écho de scènes ou étaient-ils eux-mêmes “victimes”?» La mère recherchait d’autres témoignages de parents concernés dans le but, sans doute, de monter un dossier. Derrière elle, peu de parents ont approuvé ou renchéri, mais «tout cela engendre un climat désagréable et malsain». Stéphane, qui voit dans ces propos un appel à la délation, s’en est ouvert à l’intéressée. «J’ai clairement expliqué que je n’en parlerais pas à nos enfants. Cette mère aurait dû avoir comme premier réflexe d’en discuter avec la direction et les parents de l’enfant.»

Après deux ans de ce régime, Pauline, de son côté, a opté pour une solution radicale: «J’ai décidé qu’à la prochaine rentrée scolaire, je refuserai de faire partie du moindre groupe WhatsApp de parents.» Même si elle avoue sa crainte de passer à côté d’une information cruciale. Ou de ne tenir sa promesse que quelques semaines. «Partir ou rester… Il n’y a pas de solution idéale.»

(1) A la demande des témoins, les prénoms ont été modifiés.

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