L’Arizona promet d’abaisser l’obligation scolaire à trois ans, contre cinq actuellement. © Getty Images

L’école bientôt obligatoire dès 3 ans: pourquoi l’addition pourrait être salée pour la Fédération Wallonie-Bruxelles

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

L’Arizona veut abaisser l’obligation scolaire à trois ans. Une mesure saluée par les familles et les associations de parents, à condition que les moyens matériels et humains suivent. Reste à savoir comment la Fédération Wallonie-Bruxelles pourra financer une telle réforme.

Un big-bang institutionnel. En 1988, la troisième réforme de l’Etat transformait en profondeur le système éducatif belge, en attribuant aux Communautés l’ensemble des compétences liées l’enseignement. Toutes? Non! Trois irréductibles matières résistent encore et toujours à cette communautarisation: le régime des pensions des enseignants, la délivrance des diplômes et l’obligation scolaire.

Ce dernier point figure d’ailleurs au cœur de l’accord de gouvernement fédéral. A la page 76, curieusement encastrée entre les projets de célébration du bicentenaire de la Belgique et le développement d’une carte d’identité virtuelle, surgit ainsi la promesse de l’Arizona d’abaisser cette obligation à l’âge de 3 ans, contre 5 actuellement.

Si elle apparaît pour la première fois couchée noire sur blanc dans un accord de coalition fédérale, l’idée n’en est pour autant pas neuve. En 2017 déjà, le Groupe Central chargé de formuler les orientations pour le Pacte d’Excellence en soulignait tous les bienfaits. Des vertus à nouveau mises en lumière par l’exécutif MR-Engagés dans sa Déclaration de Politique Communautaire en juillet dernier, et par la ministre de l’Enseignement en personne, mardi matin. Interrogée à ce propos en Commission, Valérie Glatigny (MR) a ainsi rappelé que cette mesure représentait une «avancée majeure» pour le système éducatif belge, permettant la «diminution des inégalités sociales» et «l’augmentation des chances de réussite pour tous», notamment grâce à la familiarisation précoce avec la langue d’enseignement.

94% des enfants de 3 ans scolarisés

Dans les faits, la toute grande majorité des enfants de trois ans sont aujourd’hui inscrits en maternelle. Selon le cabinet de la ministre Glatigny, le taux de scolarisation à cet âge s’élevait à 94% en Fédération Wallonie-Bruxelles en janvier 2023. Rien qu’en Wallonie, il avoisinait même les 98%. «Mais être inscrit dans une école et la fréquenter quotidiennement, ce n’est pas la même chose», rappelle Bernard Delvaux, sociologue de l’éducation et collaborateur scientifique à l’UCLouvain. Les (demi-)jours d’absence n’étant comptabilisés par les établissements qu’à partir de l’âge de cinq ans, la FWB ne dispose pas de données précises sur la fréquentation scolaire des enfants en bas âge. Difficile, donc, d’évaluer le nombre d’élèves potentiellement impactés par la réforme, et les conséquences financières qui en découlent.

Pourant, la mesure ne pourra s’avérer bénéfique qu’à condition d’être assortie d’un encadrement adapté, tant sur le plan humain que matériel, insistent les parents et les familles. «Il faut d’une part s’assurer que le nombre d’enfants par classe reste limité, avec des puériculteurs et des enseignants suffisamment formés et nombreux, et d’autre part que les bâtiments et les espaces de vie soient adaptés à cette fréquentation plus importante», insiste Merlin Gevers, chargé d’études à la Ligue des Familles.

Bref, la mesure engendrera inévitablement des coûts supplémentaires pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, «tant en matière d’encadrement, que de dotations et subventions de fonctionnement aux écoles», concède Valérie Glatigny, qui affirme avoir sollicité une estimation chiffrée auprès de son administration.

Réviser la «clé-élèves»?

Mais où les entités fédérées vont-elles puiser ces fonds? Alors que dans la DPC, le MR et les Engagés plaidaient pour une réforme des mécanismes de financement des Communautés, et plus particulièrement du dispositif de la «clé-élèves» (1), la coalition Azur rétropédale aujourd’hui, potentiellement freinée par son partenariat avec les nationalistes flamands au fédéral. «Selon les dernières analyses de mon administration, réviser la clé-élèves en y intégrant les nouveaux élèves en âge de l’obligation scolaire n’est pas souhaité ni souhaitable pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, contrairement à ce qu’on pourrait penser, justifie Valérie Glatigny. En effet, la baisse du taux de natalité depuis quelques années est plus forte en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre, si bien que la part globale de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans la clé-élèves diminuerait plus rapidement que prévu au cours des prochaines années.» Si l’aide ne vient pas du fédéral, de nouvelles économies en interne semblent dès lors inévitables pour assurer la pérennité de la mesure.

Au-delà de son financement, la réforme pose également question en termes de praticabilité. L’UFAPEC (Union Francophone des Associations de Parents de l’Enseignement Catholique), en faveur de la mesure, s’inquiète toutefois de son caractère unilatéral. «A trois ans, les enfants sont vraiment très petits et ont des besoins différents, rappelle le secrétaire général Bernard Hubien. Certains ne supporteront pas de rester toute une journée à l’école et nécessiteront une sieste plus longue que d’autres. Plutôt qu’une obligation de fréquentation à plein temps, nous plaidons pour une obligation d’inscription et de fréquentation fixée à 182 demi-jours minimum par an, qui respecte davantage les besoins chronobiologiques de l’enfant et offre plus de latitude dans l’organisation familiale.»

«Ce n’est pas magique»

Les familles s’opposent également aux sanctions démesurées en cas de non-respect de la mesure. «Rien ne sert de faire la « chasse aux parents réfractaires »», insiste Bernard Hubien, qui souhaite davantage d’accompagnement et de sensibilisation aux bienfaits de la scolarisation précoce. Or, la loi fédérale relative à l’obligation scolaire prévoit des amendes en cas de récidive, voire des peines d’emprisonnement, s’indigne Merlin Gevers. «Dans les faits, aucun juge ne prononce évidemment ces peines, mais certains parents en reçoivent la menace par courrier, ce qui peut s’avérer contre-productif. Si la loi est révisée, il faut alors également revoir et moderniser ces sanctions sévères, voire carrément désuètes.»

Enfin, les associations insistent sur la nécessité de coupler l’abaissement de l’obligation scolaire à davantage de mixité sociale. «Plus on a de mixité, plus les effets de cette réforme seront positifs pour la suite du parcours scolaire», note Merlin Gevers. «Il ne suffit pas d’obliger les enfants à fréquenter l’école plus tôt pour que les inégalités disparaissent subitement, confirme Bernard Delvaux. Ce n’est pas magique. Cela passe également par une amélioration de l’accueil par les enseignants, par la non-stigmatisation de certains groupes… Or, le système actuel donne encore trop de place à la ségrégation

A noter que le calendrier de mise en œuvre de la mesure n’a pas encore été établi. «Il est prématuré de parler d’échéances alors que le nouveau gouvernement fédéral a été mis en place le 3 février dernier», justifie la ministre Glatigny, qui assure toutefois que des «contacts (in)formels avec les Communautés» ont déjà été pris à ce sujet durant les dernières semaines des négociations fédérales.

(1)  La clé-élèves est le coefficient de répartition des élèves de 5 à 17 ans inscrits dans l’enseignement officiel entre les deux communautés du pays. Cette clé sert de base pour l’allocation des recettes TVA venant du fédéral, qui sont la principale source de financement de la FWB.

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