Pourquoi les femmes sont plus diplômées que les hommes (mais n’en tirent pas profit)
En 2023, plus de 57% des femmes âgées de 25 à 34 ans étaient titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 42% des hommes. Un niveau d’instruction qui ne suffit pas à résorber les inégalités de genre toujours prégnantes sur le marché du travail.
«Elles dominent la première mi-temps, mais perdent le match.» Cette métaphore sportive résume grossièrement le parcours académique et professionnel des femmes en Belgique. Pourtant plus performantes que les hommes à chaque étape de leur parcours scolaire, elles finissent par se heurter au plafond de verre et aux inégalités salariales dans le monde professionnel. Un schéma qui tend à perdurer malgré un écart de diplomation qui ne cesse de se creuser.
Selon les données de Statbel, l’Office belge de statistique, 57,3% des femmes âgées de 24 à 35 ans étaient diplômées de l’enseignement supérieur en 2023, contre seulement 42,6% des hommes. Un pourcentage masculin qui reste inférieur à l’objectif de 45% fixé par les Nations unies en 2017, que les femmes dépassent largement depuis 2004. Ces vingt dernières années, le fossé entre le niveau d’instruction des hommes et des femmes continue d’ailleurs de s’amplifier. De 5,9 points de pourcentage en 2000, l’écart est passé à 11,9 en 2011, pour atteindre 14,7 en 2023. Une différence d’autant plus marquée en Wallonie (50,7% de femmes diplômées pour 32,3% d’hommes), qu’en Flandre (58,3% contre 45%) ou à Bruxelles (67,2% contre 55,6%).
Toujours plus nombreuses à l’unif’
Si les femmes sont plus diplômées, c’est d’abord parce qu’elles sont toujours plus nombreuses sur les bancs des universités et des hautes écoles. Entre 1986-1987 et 2016-2017, la population féminine y a plus que doublé (+136 %) alors que la population masculine a (seulement) augmenté de 66 %, relève l’ARES (Académie de Recherche et d’Enseignement supérieur). En 2022 (dernières statistiques disponibles), plus de 128.000 étudiantes étaient inscrites dans un établissement d’enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles, contre 96.000 étudiants. «La massification progressive de l’enseignement secondaire, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, puis de l’enseignement supérieur au début des années 1980 a surtout profité aux femmes», observe Sandrine Lothaire, docteure en sociologie de l’éducation à l’UMONS. «Ce phénomène n’est pas propre à la Belgique, note Síle O’Dorchai, directrice scientifique de la direction ‘Recherche et évaluation’ à l’IWEPS . La proportion de femmes dans le supérieur est désormais plus importante que celle des hommes dans les 27 pays de l’Union européenne.»
Cette arrivée massive de la gent féminine dans l’enseignement supérieur va logiquement de pair avec les évolutions sociétales. Le diplôme, longtemps considéré comme superflu lorsque les femmes étaient cantonnées au rôle d’épouse ou de mère, est progressivement devenu incontournable pour leur émancipation et leur autonomie financière, note Hugues Draelants, professeur en sociologie de l’éducation à l’UCLouvain.
Une différence d’attitude, plus que d’aptitudes
La proportion plus importante des femmes dans l’enseignement supérieur s’explique également par leurs performances antérieures. «Les filles ont des meilleurs résultats que les garçons à chaque étape de leur scolarité et sont moins touchées par l’échec et le décrochage scolaires, rappelle Hugues Draelants. Elles ont donc mécaniquement tendance à poursuivre plus longtemps leurs études. Il y a une forme d’évidence à rester sur les rails tant qu’on réussit.» Plus représentées dans l’enseignement secondaire général (54%) qu’en professionnel ou en technique de transition, les jeunes femmes sont également mieux armées pour la réussite dans le supérieur.
L’attitude féminine plus «scolaire», loin d’être innée, est plutôt véhiculée par des clichés, eux-mêmes entretenus par la pression familiale et le corps enseignant.
Mais, fondamentalement, comment expliquer la domination féminine sur les bancs de l’école ? Sur le plan neurobiologique, rien ne semble prouver leur supériorité. «L’explication réside plutôt dans des modèles de socialisation différenciée entre les filles et les garçons, avance Hugues Draelants. Les filles sont éduquées à une forme de soumission – ou du moins d’acceptabilité – des règles. Le système scolaire étant très codifié, les jeunes filles semblent plus à même à se conformer au schéma et à répondre positivement aux attentes des enseignants.» De leur côté, les garçons s’approprient «un modèle masculin véhiculant le non-respect de l’autorité, du travail scolaire et de la réussite dans le cadre institutionnel, souligne l’OCDE dans un rapport sur l’égalité des sexes dans l’éducation. Pour eux, il n’est tout simplement pas ‘cool’ de réussir à l’école.» L’attitude féminine plus «scolaire», loin d’être innée, est plutôt véhiculée par des clichés, eux-mêmes entretenus par la pression familiale et le corps enseignant. «Les recherches ont montré que les attentes et réactions des professeurs, le contact avec les pairs, la confrontation aux contenus des programmes et des manuels scolaires contribuent à renforcer des stéréotypes liés au sexe», relève l’UFAPEC (Union francophone des associations de parents de l’enseignement catholique) dans un rapport de 2009.
Un «gaspillage» de compétences?
Malgré cette ultra-domination féminine dans le monde académique, la tendance s’inverse une fois les portes du monde professionnel franchies. «Le sexe dominant à l’école reste le sexe dominé dans la vie», résume la sociologue française Marie Duru-Bellat. En 2022, selon Statbel, les femmes gagnaient en effet toujours 5% de moins que les hommes et étaient encore sous-représentées dans les postes à haute responsabilité. Des inégalités qui s’expliquent d’abord par l’orientation choisie dans l’enseignement supérieur. «Les jeunes femmes sont surreprésentées dans les filières moins valorisées sur le marché de l’emploi et moins bien rémunérées, voire saturées, telles que les sciences humaines ou sociales, note Sandrine Lothaire. Les hommes, au contraire, s’orientent davantage vers des secteurs plus pourvoyeurs d’emploi et considérés comme plus prestigieux, comme les sciences dures, l’ingénierie ou l’informatique.»
Un choix d’orientation souvent dicté par des stéréotypes, les jeunes filles manquant encore de modèles dans certaines professions. «Les filles, malgré leur taux de réussite plus élevé, ont parfois tendance à douter de leurs compétences scolaires et à ne pas oser s’orienter vers des filières jugées plus ambitieuses, pointe également Hugues Draelants. Au contraire des garçons, qui font plus facilement fi de leurs échecs antérieurs.» Inconsciemment, les jeunes femmes peuvent également opter pour des filières qui débouchent sur des postes avec une meilleure articulation vie privée – vie professionnelle, par conformisme ou par anticipation en vue de leur vie familiale future.
Mais le choix de filière n’explique pas tout. A diplôme égal, les femmes continuent de se heurter au plafond de verre, rappelle Sandrine Lothaire. «Même si cela évolue, les recruteurs ont encore tendance à privilégier un homme plutôt qu’une femme pour les postes à haute responsabilité, par crainte d’absences liées à une éventuelle grossesse ou aux responsabilités familiales.» Les femmes restent en effet plus susceptibles d’opter pour une réduction du temps de travail ou un crédit-temps pour s’occuper de leur famille, entretenant par conséquent les inégalités de salaire et de pension.
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