Le harcèlement scolaire en trois idées reçues
Qui sont les harcelés, qui sont les harceleurs? Des enfants comme les autres, placés dans des contextes particuliers.
Longtemps sous-estimés ou minimisés, le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement – son extension sur les réseaux sociaux – ont des effets ravageurs sur les jeunes qui les subissent. Pour permettre aux écoles de mieux appréhender ces situations délicates et de s’outiller correctement afin d’intervenir de manière adéquate, la Fédération Wallonie-Bruxelles vient de se doter d’un plan de prévention visant à améliorer le climat scolaire.
Les manifestations d’agressivité à l’école sont en effet beaucoup plus répandues qu’on l’imagine. Selon l’Unesco, un enfant sur trois est victime de violence ou de harcèlement scolaire, un sur dix de cyberintimidation. De nombreuses idées reçues entourent encore le phénomène, notamment sur le profil des jeunes victimes, de leurs harceleurs et du type d’établissements où les faits se produisent.
1. Les enfants harcelés présentent des caractéristiques particulières
Selon l’Unicef, les enfants les plus vulnérables ont plus de risques de subir un harcèlement. Ce sont souvent ceux issus de communautés marginalisées ou de familles pauvres, présentant une identité de genre différente ou un handicap, ou encore des migrants et des réfugiés. Ce n’est pas forcément faux, mais on aurait tort de penser que seuls certains enfants sont visés et d’autres épargnés en raison de leurs origines et du milieu social et familial dans lequel ils évoluent. Tout comme il est faux d’affirmer que les enfants harcelés présentent généralement des caractéristiques physiques particulières (corpulence, couleur de cheveux, habillement, etc.).
Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les élèves scolarisés dans les établissements défavorisés sont effectivement plus susceptibles d’être malmenés par leurs pairs. Mais un large sondage Ifop mené en France en 2021 démontre aussi que toutes les classes sociales sont à présent touchées, bien que le harcèlement diminue de façon linéaire avec le niveau de revenus: il toucherait 49% des Français de catégorie pauvre contre 32% des hauts revenus. Il existe donc bien un écart mais qui n’est pas aussi tranché qu’on pourrait le croire.
Les facteurs de risque seraient davantage liés à l’isolement social de l’enfant à l’école et à sa faible confiance en soi, ainsi qu’à des difficultés émotionnelles. Des facteurs eux-mêmes aggravés par le harcèlement, souligne Benoît Galand, chercheur et professeur en sciences de l’éducation à l’UCLouvain.
Il faut une juste mesure qui cautionne ce que ressent l’enfant.
2. Le harceleur est un petit tyran populaire ou issu d’un certain milieu
L’image est largement véhiculée par la fiction: le harceleur est généralement incarné par le populaire capitaine de l’équipe de foot du bahut ou le chef de gang. Le harcelé, lui, est le garçon chétif et/ou studieux, qui ne compte qu’un ou deux amis qui lui ressemblent et qui fréquente le club d’échecs. Rien à voir avec la réalité.
La psychopraticienne Emmanuelle Piret, spécialiste des situations de souffrance en milieu scolaire et autrice de plusieurs ouvrages sur la question, rappelle qu’il est rare qu’un harceleur agisse seul contre plusieurs élèves. La pression sociale, analyse-t-elle sur FranceInfo, est considérable et les harceleurs sont souvent en recherche de popularité. «Le harcèlement peut concerner n’importe quel gamin, autant pour le harcelé que pour le harceleur. Les cas observés concernent autant les enfants dits “bien élevés” que ceux délaissés par leurs parents […] En défendant leurs camarades, les enfants ont tout à perdre et rien à gagner.»
Constater que son enfant est considéré comme un harceleur est une épreuve préoccupante pour les parents, pointe le psychopédagogue Bruno Humbeeck, qui signe Le Harcèlement scolaire: guide pour les parents (Odile Jacob, 2023). D’autant que les études montrent que les prévisions pour le futur de l’auteur sont plus sombres que pour celui qui subit le harcèlement. «Ce développement difficile prévisible s’explique par le fait que, tant sur le plan de la réussite de sa vie affective que celui de son efficacité professionnelle, l’intelligence émotionnelle interpersonnelle (NDLR: empathie) et intrapersonnelle (NDLR: maîtriser ses réactions émotionnelles et pouvoir les adapter) correspondent aux compétences les plus sollicitées.»
Or, décrit le chercheur en sociopédagogie familiale et scolaire et professeur à l’UMons, ces deux types d’intelligences se développent au cours de la première socialisation, au sein du cercle familial, mais surtout au cours de la seconde, lors de la confrontation au groupe de pairs lors de son entrée à l’école. Il arrive également qu’un enfant ne soit pas conscient d’être un harceleur.
3. «Ça passera»
Minimiser les faits est une réaction encore fréquemment observée chez les adultes, que ce soit dans le cercle familial ou dans le milieu scolaire. Une autre attitude consiste à estimer que l’enfant est trop sensible ou qu’il manque d’humour. Ou encore que cette mauvaise expérience l’endurcira, lui apprendra à se défendre, que ça fait partie de la vie… «C’est une erreur absolue de considérer que l’enfant, d’une façon ou d’une autre, est capable de réagir. Le drame, c’est de minimiser ou de maximiser les faits, met en garde Bruno Humbeeck. Il faut avoir une juste mesure qui cautionne ce que ressent l’enfant. Ses émotions ne peuvent pas être contestées. S’il explique qu’il est triste parce qu’on se moque de lui et qu’on lui répond que ce n’est pas de la moquerie mais de l’humour, on lui signifie que c’est lui qui est trop sensible, qu’il est le problème. Or, c’est le récepteur qui détermine si on est dans le sarcasme, l’ironie ou la moquerie et dans quelle mesure il a été affecté, pas l’émetteur.»
D’autant qu’il y a peu de chances que le harceleur finisse par se lasser et que la situation prenne fin s’il sent qu’il bénéficie d’une certaine impunité.
Retrouvez notre podcast «Harcèlement scolaire: comment réagir en tant que parent» sur les plateformes d’écoute et sur levif.be/podcast
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