Des étudiants occupent un bâtiment sur le campus du Solbosch, à l’ULB, pour dénoncer le "génocide en cours à Gaza".
BELGA PHOTO LOU LAMPAERT
© BELGA

Pourquoi le conflit Israël-Hamas s’invite sur les campus belges: «Dénoncer la guerre à Gaza, ce n’est pas être antisémite»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Initié outre-Atlantique, le mouvement en soutien à la Palestine a désormais gagné les campus belges. Des centaines de jeunes occupent des bâtiments universitaires pour dénoncer le conflit à Gaza et réclamer la fin des partenariats académiques avec des institutions israéliennes. Des actes de protestation qui font écho à d’autres luttes étudiantes symboliques.

Les étudiants de l’UGent ont été les premiers à se mobiliser. La contestation a ensuite essaimé dans la capitale, respectivement à la VUB et à l’ULB. Aujourd’hui, le mouvement de soutien à la Palestine a fait tache d’huile dans (presque) tous les établissements universitaires du pays. De Liège à Anvers, des dizaines de locaux sont occupés, jour et nuit, sans discontinuer.

A l’instar des jeunes Américains, Français, Australiens ou Néerlandais, les étudiants belges entendent d’abord dénoncer la guerre menée par Israël dans la bande de Gaza. Mais également réclamer un boycott des universités israéliennes ou, à tout le moins, la fin des collaborations académiques avec les institutions qui participent à «l’oppression systématique» du peuple palestinien. «Le mouvement belge s’inscrit dans la mouvance internationale, avec certaines revendications communes à tous les étudiants du globe, analyse Renaud Maes, sociologue et professeur à l’UMons et à l’UCLouvain. Mais on observe aussi des déclinaisons locales de cette mobilisation, comme l’opposition à la venue d’Elie Barnavi (NDLR : ancien ambassadeur d’Israël en France) à l’ULB.»

Une «instrumentalisation politique»?

S’il est massif, le mouvement n’en est pas pour autant inédit dans l’histoire des luttes étudiantes. «Voir une mobilisation s’étendre de la sorte à tous les campus belges, ce n’est pas vraiment une nouveauté, assure Renaud Maes. En 2008-2009, la campagne pour la régularisation des sans papiers avait conduit à une occupation durable de bâtiments universitaires aux quatre coins du pays. Et à l’époque, déjà, de nombreuses voix avaient dénoncé une ‘instrumentalisation politique’ des campus, sans pour autant mettre à mal le mouvement.» La contestation actuelle fait également écho, dans une moindre mesure, aux mouvements pacifistes de 1968 (contre la guerre au Vietnam, notamment) initiés aux Etats-Unis avant de se répandre comme une traînée de poudre dans des tas d’universités à travers le monde, Belgique compris.

Par sa forme – occupation de locaux, installations de campements, sit-in – la mobilisation propalestinienne s’inscrit également dans la lignée des mouvements étudiants depuis environ quinze ans. «Ce répertoire d’actions collectives a été popularisé par la révolution égyptienne de janvier 2011, portée par la jeunesse, avec l’occupation quotidienne de la place Tahrir au Caire pendant des jours, contextualise le sociologue Geoffrey Pleyers, chercheur au FNRS à l’UCLouvain. S’en est suivi le mouvement espagnol des Indignés, en mai 2011, avec l’occupation de la Puerta del Sol à Madrid. Sans oublier le mouvement ‘Occupy Wall Street’, à New York, en octobre 2011. » Les actions «Nuit Debout», organisées en France (mais aussi en Belgique) en 2016, ont ensuite suivi le même schéma.

Temple de la liberté d’expression

Ce type d’actions est privilégié par la «disponibilité biographique» des jeunes, soit leur absence relative de contraintes, précise Geoffrey Pleyers. «Il est plus facile de dormir dans une tente quand on est étudiant que quand on a 35 ans, un travail et un crédit à payer», résume le président de l’Association internationale de sociologie.

Contrairement aux campus américains ou français, les mouvements propalestiniens basés dans les universités belges échappent pour l’heure à la répression. Une absence d’intervention policière jugée capitale par les deux experts, pour qui les campus doivent être considérés comme des temples de la liberté d’expression et du processus démocratique. «Une université doit pouvoir permettre la protestation, le débat et la confrontation d’idées, plaide Geoffrey Pleyers. Ne pas pouvoir y déplorer le massacre de 35.000 personnes, à mes yeux, est un vrai problème.» Et d’insister : «Bien sûr, le racisme n’a pas sa place dans l’espace public. Mais dénoncer la guerre à Gaza, ce n’est pas être antisémite

Une démobilisation à l’approche des examens ?

Pour Renaud Maes, la mobilisation actuelle ne justifie pas d’intervention policière : «On est bien loin des mouvements de violence de mai 68. Entre les affrontements policiers de l’époque et l’occupation pacifique de locaux, il y a un pas.» En cas de débordements ou de violations de la loi, par exemple d’incitation à la haine, la prise de mesures sera inéluctable, reconnaît le sociologue. «Mais pour l’heure, aucun facteur ne prouve que le mouvement est en train de dégénérer en ce sens, quoi qu’on pense de la manière dont les revendications sont exprimées.»

«Il y a une règle universelle dans les mouvements étudiants: plus la période des examens et des vacances approche, plus la contestation s’essouffle»

Renaud Maes

Sociologue, professeur à l’UMons et à l’UCLouvain

La poursuite de la mobilisation dépendra donc du «self control» des étudiants et de l’absence de récupération du mouvement par des groupes radicaux ou violents, prédit Renaud Maes. Mais aussi de la détermination des jeunes malgré les échéances à venir. «Il y a une règle universelle dans les mouvements étudiants: plus la période des examens et des vacances approche, plus la contestation s’essouffle, assure le sociologue. Mais il faudra également suivre l’évolution du conflit. Si la situation à Gaza empire, le mouvement pourrait se poursuivre.»

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire