Caroline Désir a vécu une rentrée scolaire mouvementée, alors que son projet d'évaluation des enseignants est vivement critiqué © Belga

Évaluer les enseignants, une bonne idée? « Installer un climat de terreur ne résoudra pas la situation »

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Dès 2026, les enseignants pourront être évalués, et licenciés si leur évaluation est négative. Pour protester contre cette mesure qui fait partie du Pacte d’excellence, les syndicats déposent un préavis de grève. Régis Dohogne, ancien secrétaire général CSC enseignement, voit trois obstacles majeurs à l’évaluation des enseignants prévue par le décret.

C’est une rentrée scolaire qui se déroule dans un climat tendu. D’un côté de la classe, les syndicats qui représentent les enseignants ont déposé un préavis de grève. De l’autre, la ministre de l’Education Caroline Désir (PS) en appelle à la sérénité sur les ondes de Bel RTL. « On a travaillé pendant 30 mois sur ce dossier. On a répondu le mieux possible aux demandes des syndicats pour pouvoir protéger les droits du personnel ».

Au centre de la classe, une ligne rouge sépare le gouvernement des syndicats : celle de l’évaluation des enseignants. Interrogé dans Matin Première, le président de la Fédération Wallonie-Bruxelles Pierre-Yves Jeholet (MR) a défendu la mesure. « Aujourd’hui, dans tous les métiers, on est évalué. Je ne vois pas pourquoi les enseignants ne le seraient pas, alors que ça contribue aussi à la qualité de l’école ».

Évaluation des enseignants: ce qui fâche

Dans le viseur des syndicats, le décret sur le développement des compétences et l’évaluation des enseignants, voté le 19 juillet dernier. Un texte en deux volets : le premier (prévu pour 2024) visant à fournir des compétences professionnelles aux professeurs, en particulier les plus jeunes. Et le second (prévu pour 2026) – celui qui fait le plus débat – sur l’évaluation qui suivra des lacunes dans l’acquisition de ces compétences.

« J’en ai vu passer, des gourous au ministère de l’Education qui voulaient changer les choses »

Régis Dohogne, ancien secrétaire général CSC enseignement

Dans son exposé général à la Chambre du 5 juillet dernier, Caroline Désir précise que « dans le mécanisme d’évaluation, c’est le pouvoir organisateur qui est aux commandes ». En résumé, l’enseignant soumis à une procédure d’évaluation sera suivi pendant plusieurs mois. Objectif ? Qu’il acquière à nouveau les compétences suffisantes pour enseigner. Sous peine « d’une fin de fonction au sein du pouvoir organisateur ». Comprenez : un licenciement. Même si la ministre de l’Education assure que les droits des membres du personnel seront « au moins aussi élevés que dans les dispositions statutaires actuelles de l’enseignement ».

« C’est ce qui manque à l’heure actuelle dans le projet de la Fédération Wallonie-Bruxelles »

Régis Dohogne suit ce qui se passe dans l’enseignement depuis 50 ans. Ancien secrétaire général de la CSC enseignement aujourd’hui à la retraite, il continue à défendre les enseignants à son échelle. « Je milite au niveau communal pour que les profs aient des garanties de recours et des modalités d’évaluation correctes. C’est ce qui manque à l’heure actuelle dans le projet de la Fédération Wallonie-Bruxelles ».

Régis Dohogne pointe trois problèmes de l’évaluation dans l’enseignement telle que prévue :

  1. « Demander d’évaluer le travail de quelqu’un est normal. Ce qui pose problème ici, c’est qu’il n’y a aucun élément objectivable ou mesurable sur lequel se baser. La pédagogie évolue, ce n’est pas une science exacte. Ce qui vaut à un moment pour les écoles ne vaudra peut-être plus quelques années après. J’en ai vu passer, des gourous au ministère de l’Education qui voulaient changer les choses ».
  2. « L’enseignement est assuré par les écoles, qui sont en quelque sorte des milliers de micro-entreprises. Le projet prévoit que l’évaluation des enseignants sera assurée et par les directions et par le pouvoir organisateur. Mais comment s’assurer qu’ils ont les compétences suffisantes pour le faire ? ».
  3. À l’issue de l’évaluation, si aucun progrès de l’enseignant n’est constaté, une procédure de licenciement pourra être entamée. Un recours est possible, mais celui-ci ne satisfait pas Régis Dohogne. « Les conditions de recours ne sont pas crédibles. En plus, sachant que la majorité des écoles fonctionnent grâce au bénévolat, il ne faudrait pas que les écoles utilisent cette évaluation comme moyen de pression. Ce serait la porte ouverte à toutes les dérives : un enseignant qui refuserait des prestations bénévoles (heures de remédiation, remplacement d’un collègue, temps de midi…) pourrait être sous la menace d’un licenciement ».

Vers une aggravation de la pénurie d’enseignants ?

L’ex-secrétaire général de la CSC enseignement estime qu’au vu de la pénurie d’enseignants – qui sévit au nord comme au sud du pays – l’évaluation de ceux-ci pourrait déclencher « une catastrophe ». « Huit à douze pour cent du personnel dans les écoles est déjà absent, pour diverses raisons. Je ne pense pas que c’est en créant un climat de terreur qu’on va résoudre le problème ». Régis Dohogne n’est pas opposé à l’évaluation des profs en tant que telle. « Mais il faut savoir sur base de quoi on veut évaluer et avoir des organismes de recours indépendants pour s’en occuper ».     

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