Delphine Lubert, professeur des écoles dans une classe de Cycle 3 niveau 2 à l'école primaire Louise-Michel de La Courneuve, aborde, le 03 janvier 2005, le sujet des tsunamis qui ont frappé l'Asie. Dans cette école où réside une importante communauté asiatique, les enseignants ont tous envie de parler des raz-de-marée aux enfants, "même si c'est la rentrée des vacances et que le drame s'est produit il y a huit jours", a déclaré Anne Scheinert, la directrice. AFP PHOTO STEPHANE DE SAKUTIN (Photo by STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Nomination, horaires, salaires… En quoi les profs belges sont (globalement) mieux lotis que leurs collègues européens

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Formation, entrée dans le métier, statut, temps de travail, salaires… Les enseignants belges bénéficient d’un statut protecteur et leur temps d’enseignement est plutôt moins lourd que dans le reste de l’Union.

La première grève a finalement eu lieu le 26 novembre. Depuis l’installation du nouvel exécutif MR-Les Engagés de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), en juillet dernier, les syndicats enseignants exprimaient des inquiétudes et craignaient un agenda caché. L’avant-projet de décret, adopté le 14 novembre en seconde lecture au gouvernement et annonçant des mesures d’économie et de rationalisation principalement dans l’enseignement qualifiant, a signé «la première attaque concrète, après la Déclaration de politique communautaire (DPC), contre le secteur de l’école», soutient Roland Lahaye, secrétaire général de la CSC-Enseignement, le syndicat chrétien. En ligne de mire, surtout: la volonté de la nouvelle majorité de mettre fin à la nomination des enseignants au profit de contrats à durée indéterminée. «Un coup de poignard dans le dos», une provocation, aux yeux des syndicats. La nomination est une sorte d’emblème pour les enseignants, un droit acquis, le «dernier avantage du métier», selon le syndicaliste. Un atout, vraiment? Le Vif a comparé le cursus, l’entrée et le recrutement dans la fonction dans six pays européens: la Belgique, la France, l’Italie, la Finlande, souvent vantée en exemple, l’Allemagne et le Portugal, deux pays ayant connu un «choc Pisa» au début des années 2000 et qui, par des choix forts (formation des professeurs, hausse des salaires et des investissements publics notamment), ont redressé leurs performances scolaires. Conclusions: les enseignants européens ne reçoivent pas, loin s’en faut, les mêmes formations et n’obéissent pas aux mêmes règles de recrutement. Ils n’ont pas non plus les mêmes statuts et encore moins les mêmes conditions de travail, de service et d’exercice de leur profession.

1. Le cursus: de plus en plus long

De façon générale, les pays où les enseignants se sentent reconnus –la Finlande, le Canada, le Japon ou la Corée du Sud– accordent une grande importance à la formation initiale.

En Finlande, l’accès aux études est très sélectif: moins de 10% des candidats y sont acceptés, pour un cursus d’au moins cinq ans. Au terme de la formation, les enseignants sont considérés comme des «universitaires professionnels». En Allemagne, le niveau minimal requis pour enseigner en cycle primaire est un bachelier (trois ans), et en cycle secondaire, un master (cinq ans). Les professeurs sont formés à enseigner deux matières, souvent proches. En France, en Italie et au Portugal, pour tous les niveaux, y compris maternel et primaire, les futurs profs doivent décrocher un master. La Belgique, enfin, était, jusqu’ici, l’un des rares pays à former ses futurs enseignants du primaire et du premier cycle secondaire en trois ans.

Depuis la rentrée 2023, les instituteurs et les enseignants du premier cycle secondaire sont désormais formés en quatre ans –un bachelier de trois ans, complété par une année de master organisée conjointement par les hautes écoles et les universités. «Longtemps, la tendance a été à l’allongement du cursus. Le groupe de pays organisant la formation des enseignants hors université s’est fortement restreint, analyse Xavier Dumay, professeur en sciences de l’éducation à l’UCLouvain. Dans le même temps, pour élargir le vivier d’enseignants face à la pénurie, on observe la création de formations de courte durée, notamment dans les pays de tradition libérale comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie.» Ainsi, au Royaume-Uni, des enseignants issus d’autres métiers bénéficient d’une formation accélérée, voire sur le terrain. D’autres pays bricolent eux aussi tant bien que mal. La France fait appel à des contractuels à partir d’une qualification bac +3 et monte des formations express pour des postes à l’année.

2. Le recrutement: un ticket d’entrée élevé

D’après les données publiées par Eurydice, le réseau de la Commission européenne qui compare les dispositifs éducatifs des pays de l’UE, obtenir le diplôme est la seule exigence pour enseigner dans la moitié des 43 systèmes éducatifs étudiés– dont la Belgique.

Dans six pays –la France, l’Italie, auxquels s’ajoutent l’Espagne, la Grèce, la Turquie et l’Albanie–, le concours est la méthode principale de recrutement. En Italie et en Grèce, des listes de candidats sont utilisées en plus du concours. Dans ces deux pays, à l’issue de l’épreuve, les aspirants ayant obtenu les meilleures notes sont nommés à des postes permanents. Les candidats qui ont réussi mais n’ont pas été recrutés sont placés sur les listes de réserve. «La méthode possède une forte valeur symbolique pour la communauté éducative et participe à la valorisation de la profession, à condition que lui soit assortie des conditions salariales et de travail favorables», pointe Xavier Dumay.

Hormis une sélection par concours, il existe donc un système de «liste de candidats». Le ticket d’entrée dans le métier n’en est pas moins élevé. C’est en Allemagne qu’il semble le plus sélectif. Après leur master, les candidats enseignants effectuent un stage d’un an et demi: le Referendariat. Durant cette période, ils suivent encore des cours de pédagogie, mais sont surtout majoritairement devant des classes, sous la surveillance d’un titulaire référent. Ils subissent dix Unterrichtsbesuche: leur référent et d’autres examinateurs les cotent à chaque fois. La dernière note, une espèce de grand oral, compte pour 50% des points. S’ils obtiennent la moyenne, ils sont autorisés à enseigner, soit cinq ans et demi après le début de leurs études pour le primaire et six ans et demi pour le secondaire. A eux, ensuite, de postuler dans les écoles où les directeurs les recruteront, en fonction des notes obtenues depuis la fac.

Au Portugal, deux systèmes coexistent. D’une part, les enseignants peuvent être recrutés sur une liste de candidats. Ils soumettent leur candidature à l’autorité éducative nationale, qui les classe, entre autres, sur la base des notes obtenues au diplôme, puis les affecte à un établissement. D’autre part, les écoles peuvent recourir à des recrutements pour pourvoir des postes temporaires ou recruter des spécialistes dans un domaine particulier, à condition qu’il n’y ait plus aucun candidat sur la liste. Les établissements sont alors libres de recruter les profils qu’ils souhaitent.

Enfin, en Finlande, les enseignants sont embauchés par le chef d’école. Ce dernier est responsable du recrutement de l’équipe pédagogique. C’est fréquent aux Pays-Bas, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, où une très grande autonomie est concédée aux établissements. Mais dans ces pays, la formation des chefs d’établissement est très différente. Indépendante de celle des enseignants, elle met l’accent sur le coaching, le leadership, la gestion des ressources humaines, d’un budget… Chez nous, c’est l’évolution de carrière qui mène des enseignants à la direction d’école, moyennant un stage et une formation de 120 heures. Il n’existe ni diplôme ni préparation distincte.

«Les pays scandinaves rémunèrent moins bien leurs enseignants.»

3. Des temps de travail inférieurs et des salaires plutôt favorables

Les enseignants belges prestent entre 20 et 39 périodes de 50 minutes par semaine. Ce qui équivaut à 17 heures hebdomadaires pour un professeur du secondaire supérieur et à près de 22 heures pour celui du secondaire inférieur. Evidemment, il s’agit des heures prestées en classe, qui ne rendent pas compte du travail hors classe. Les périodes de congés s’élèvent, elles, à quinze semaines annuelles. En comparaison avec leurs voisins européens, les enseignants belges sont favorisés. Par rapport à leurs collègues les mieux lotis (la Communauté flamande, l’Allemagne et les pays nordiques), ils ont des temps d’enseignement supérieurs (de l’ordre de 1% à 2%) mais ils sont inférieurs à ceux de leurs collègues moins chanceux (la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni). Ainsi, pour un temps d’enseignement modélisé à un indice 100 en FWB, l’instituteur flamand assure 98, celui des pays nordiques 99, l’Anglais 120, le Français 126 et le Néerlandais 132.

La situation des enseignants belges apparaît aussi plutôt favorable sur le plan salarial. D’après les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), seuls l’Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg rémunèrent mieux leurs enseignants, avec des charges plus lourdes pour les Pays-Bas. Tandis que les pays scandinaves, réputés pour la qualité de leur enseignement et le prestige social de la fonction, paient moins bien leurs professeurs.

4. Le statut de fonctionnaire aussi répandu que celui de contractuel

Sur ce point, une frontière assez nette sépare, en gros, trois types de pays. Les admis au concours ont généralement accès à un poste permanent. Ainsi, en France, une fois le concours obtenu, l’enseignant bénéficie d’un statut de fonctionnaire stagiaire. Fonctionnaire, employé par l’Etat, il jouit d’un niveau élevé de sécurité de l’emploi, comparé aux autres pays européens. Les licenciements restent en effet limités aux seules fautes professionnelles. Même dans ces situations, les enseignants demeurent protégés. L’Allemagne, l’Espagne ou la Belgique disposent aussi d’une garantie d’emploi presque totale –une fois la nomination acquise.

D’après Eurydice, parmi les 43 systèmes éducatifs, 17 accordent un statut de fonctionnaire, dont la Belgique, la Finlande, la Grèce, le Luxembourg, le Portugal. Mais en Allemagne, c’est seulement une fois recrutés que les enseignants, et après une dernière période d’essai (qui peut durer plusieurs années), peuvent prétendre à la titularisation et devenir ainsi fonctionnaires. En Belgique également, c’est uniquement après avoir cumulé un capital d’heures suffisant dans un même pouvoir organisateur qu’ils peuvent espérer être nommés définitivement. «Les temporaires travaillent dans plusieurs écoles, ont des coupures d’emploi au cours de l’année, occupent des places délaissées par les autres», résume Xavier Dumay. La Belgique combine donc un statut d’emploi fort par les enseignants nommés et une entrée dans la carrière marquée d’instabilité et de précarité.

A l’inverse, seize dispositifs ne prévoient que le statut de contractuel. C’est ainsi le cas en Italie, au Royaume-Uni, en Irlande, en Norvège, en Suède, au Danemark, en Roumanie, en Islande ou encore dans les pays Baltes. En Autriche, le statut n’est plus accordé.

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La crise de recrutement ne concerne pas l’ensemble de la profession, elle touche certaines disciplines ou zones géographiques.

«Conséquence des difficultés de recrutement, on note un recours à la contractualisation, tant en France qu’en Allemagne, sans qu’il s’agisse d’une volonté politique réelle ou du moins affichée», pointe le spécialiste en sciences de l’éducation. Dans les années 1970 et 1980, le manque d’enseignants et le recours massif aux contractuels s’imposent, mais pas parce qu’on ne trouve plus d’enseignants. A l’époque, c’est la massification scolaire, l’allongement des études et l’augmentation des élèves dans le secondaire qui crée le besoin. Les conditions d’exercice du métier, de rémunération ou de mobilité, qui sont au cœur de la crise actuelle, ne sont, à l’époque, pas en cause.  Cette crise de recrutement s’est, depuis, étendue dans nombre de pays d’Europe à quelques exceptions près –l’Irlande, la Finlande et la communauté germanophone– depuis une quinzaine d’années. Les difficultés, en revanche, ne concernent pas l’ensemble de la profession, mais touchent plus fortement certaines disciplines (scientifiques, surtout) et certaines zones géographiques. Dès lors, que faire? D’aucuns prennent exemple du Royaume-Uni. Là-bas, les titulaires qui travaillent des territoires boudés ou enseignent au moins la moitié de leur temps une matière en tension se voient proposer des primes et des avantages. Une telle différenciation de salaire entre des enseignants fonctionnaires, censés bénéficier du même statut, poserait un souci juridique. A moins d’offrir de tels avantages aux contractuels. «La dérégulation des contrats de travail des enseignants britanniques s’est largement traduite par une précarisation de leurs conditions de travail (plus d’heures prestées, remplacements imposés, etc.)», avertit Xavier Dumay. Une autre piste plus prometteuse est probablement celle de certains pays d’Asie. «Ceux-ci combinent une forte confiance dans la formation initiale, avec le déploiement d’une carrière enseignante en étapes, qui donne à ces derniers de véritables horizons professionnels.»

Ces éléments de comparaison –c’est leur limite– n’abordent pas la dimension plus subjective des conditions de travail: les rapports avec les parents, les élèves, leur niveau scolaire, le regard de l’opinion… Ce qui explique peut-être le décalage entre le malaise des enseignants en FWB et leur position plutôt favorable par rapport à leurs collègues européens.

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