Des cours de gym mixtes ? « Le sport ne doit pas être vu différemment des autres matières enseignées à l’école »
Sexisme, harcèlement, considération: le milieu du sport évolue, poussé par les sportives militantes. Mais les réflexes genrés sont tenaces. Entretien avec Lola Mansour, championne de judo et fondatrice de l’asbl Balance ton sport
Des cours de gym mixtes, c’est une bonne idée?
Tout à fait. Il est d’ailleurs incompréhensible que ce ne soit pas encore le cas partout. Pourquoi faut-il autant de temps pour amorcer la réflexion sur ce qu’il convient de faire. Cela dit, mieux vaut tard que jamais.
Quels souvenirs gardez-vous de vos cours d’éducation physique en secondaire et en quoi pèsent-ils dans votre jugement?
Je me souviens que filles et garçons étaient séparés. On cantonnait les élèves à des activités très clichés: du step pour les filles, de la musculation pour les garçons. J’avais d’ailleurs demandé à pouvoir faire de la musculation avec les garçons. J’ai aussi le souvenir d’un événement particulier: en première secondaire, mon école avait décidé de participer à un tournoi de football pour une œuvre caritative. Comme il n’y avait pas assez de place dans les vestiaires pour tous les élèves, on a demandé aux filles de ne pas participer. Par contre, elles étaient priées de venir applaudir les garçons. Ma mère, qui est féministe, a trouvé cela très injuste et a refusé que j’aille à l’école ce jour-là. Elle a pris la bonne décision, cette mesure était une aberration. D’autant que certaines filles avaient envie de jouer et que certains garçons, eux, ne le souhaitaient pas. Toutefois, si on opte aujourd’hui pour des cours de gym mixtes, il faut rester attentif à ce que cela aide vraiment à la mixité.
Y a-t-il des pièges à éviter?
Dans les cours de judo, dont ceux que je donne, on remarque, par exemple, que les filles ont tendance à travailler entre elles et les garçons entre eux, alors qu’ils occupent le même espace et sont censés se mélanger. Il faut mener une réflexion globale et réaliser un travail approfondi de déconstruction pour que des cours de gym mixtes permettent d’atteindre les objectifs visés sur le terrain. Il faut que cette mixité puisse réellement fonctionner. L’important n’est pas tant de mélanger les uns et les autres mais de les faire collaborer. Dans le sport, on ressent très fort les expériences à travers le corps. C’est la raison pour laquelle on assimile beaucoup mieux les principes d’égalité, d’inclusion et de dépassement de soi que lorsqu’on en entend parler de façon théorique. Le fait de devoir mettre ces principes en pratique leur donne une dimension plus concrète.
Lola Mansour « Le sport ne doit pas être vu différemment des autres matières enseignées à l’école ».
Toutes les disciplines peuvent-elles être pratiquées par les filles comme par les garçons?
La question de la morphologie peut se poser, mais il n’y a pas de prédisposition naturelle selon le sexe. On peut à la limite parler de caractéristiques comme la puissance ou la souplesse, mais je dirais que la différence est surtout marquée à un très haut niveau et à partir de 17 ou 18 ans. Avant cela, elle est surtout une bonne occasion de s’adapter, de s’habituer à ne pas toujours prendre le dessus et donc, aussi, de réfléchir à d’autres manières d’enseigner le sport.
A un âge où l’identité est en construction, devoir exposer son corps et démontrer ses qualités sportives peut être gênant pour certaines jeunes filles ou jeunes garçons. Ne risque-t-on pas d’augmenter leur malaise?
Séparer les garçons et les filles pour cette unique raison risque justement de renforcer les complexes. Il faut bien se dire que dans les cours d’éducation physique, on ne forme pas des athlètes. On est dans le cadre de la pédagogie, pas de la compétition. Le rôle du professeur s’avère particulièrement important. Il faut qu’il puisse se sentir à l’aise, qu’il soit capable de recadrer les garçons au besoin. Pour réussir à lever les obstacles liés au genre et déconstruire les stéréotypes, il est nécessaire de mettre en place des stratégies concrètes et de bien former les personnes en charge de l’encadrement. Pour en revenir à la question de la nécessité de garder un espace genré pour que les filles puissent se sentir plus à l’aise, il peut en effet y avoir un intérêt à maintenir la non-mixité dans certaines circonstances. Dans les groupes militants, par exemple, où il est important que les filles puissent profiter de cet espace pour s’exprimer plus librement et se sentir comprises. Mais pas dans l’enseignement. On sait déjà qu’en classe, les garçons prennent plus la parole que les filles dans certains cours, comme les maths ou les sciences. Ce n’est pas pour cela qu’on doit les séparer. Le sport ne doit as être vu différemment des autres matières enseignées à l’école.
Avec Charline Van Snick, vous avez suivi le mouvement MeToo en lançant le collectif Balancetonsport en mars 2021. Depuis, qu’est-ce qui a changé?
Nous voulions attirer l’attention sur les différentes formes de sexisme ordinaire dans le sport de haut niveau. Sur la manière dont les athlètes féminines faisaient l’objet de commentaires sur leur musculature, sur le traitement différencié dans les médias alors que nous réalisons les mêmes performances que nos coéquipiers. J’ai connu des athlètes féminines victimes de violences psychologiques, de harcèlement. Récemment, le témoignage d’une coach harcelée sexuellement dans le club de football dans lequel elle travaille m’est parvenu. Cela rouve que ces situations sont toujours d’actualité. Le discours que nous avions le 8 mars 2021, lorsque nous avons lancé le collectif, nous aurions pu le ressortir cette année sans changer une seule ligne, tant les choses ont peu évolué. Bien sûr, entre-temps, il y a eu des déclarations de bonnes intentions, le comité olympique a pris quelques initiatives positives comme la mise en place d’épreuves mixtes, mais sur le terrain le fossé est toujours aussi important et les réelles avancées se font attendre. La ministre des Sports, Valérie Glatigny (MR), a pris des mesures pour féminiser le milieu sportif. L’une d’elles vise à assurer une représentation d’un tiers de femmes dans les conseils d’administration des fédérations et associations sportives. Or, il me semble que les femmes représentent 51% de la population, pas 33%. On manque encore d’ambition…
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