Thierry Fiorilli

C’est beau comme le métier de prof qui consiste à aider les élèves à se révéler

Thierry Fiorilli Journaliste

«Pas mal.» Dans Whiplash, le percutant film de Damien Chazelle, sorti il y a presque dix ans, l’impitoyable prof de batterie assène que «c’est la pire phrase». Parce qu’il faut toujours, toujours, viser l’excellence. Donc, dire «pas mal», c’est ériger une statue à la médiocrité.

On doit plutôt terroriser, cogner, insulter, brimer. Ça pousse à se sublimer, ou à laisser tomber, ce qui prouve le manque de talent, d’envergure et d’ambition. Dans d’autres films, c’est l’instructeur militaire qui use du mépris et de la tyrannie comme moteurs du dépassement de soi. Ou la grande patronne, le sorcier, la cheffe d’Etat. Dans la vraie vie, ce sont des entraîneurs sportifs, des responsables de département, des metteurs en scène, des directrices artistiques…

Prof, «ce métier magnifique qui consiste à aider les élèves à se révéler».

Rebecka Peterson, elle, enseigne les maths. Depuis treize ans, à Tulsa, en Oklahoma, dans le Midwest américain. Père suédois, mère iranienne. Enfant, elle a beaucoup voyagé, ses parents enchaînant les missions médicales sans frontières avant d’émigrer aux Etats-Unis. Elle était toute petite et elle dit que le premier mot anglais qu’elle a appris, une fois aux USA, est «thank you». Elle raconte aussi qu’elle a toujours aimé les calculs, la trigonométrie, les équations, donc qu’elle voulait transmettre cette passion. Mais sans Madame West, sa prof de maths au lycée, pas sûr qu’elle y serait parvenue. «On nous disait que les filles n’étaient pas à leur place dans le secteur de l’enseignement scientifique. Madame West m’a soutenue et persuadée qu’il y avait de l’espace pour moi.»

Bingo, donc. Diplôme. Premières années tranquilles, en primaire. Puis poste en secondaire. Où c’est plus dur. Les ados n’accrochent pas. Résultats cata, désintérêt total, aucun effort… Le prof de batterie de Whiplash les aurait massacrés, en tout cas ceux qui n’auraient pas déjà pris la porte ou se seraient jetés du toit. Mais c’était Rebecka Peterson. Face à un fameux problème, elle qui, jusque-là, les résolvait en trombe, au tableau noir, dans un cahier ou sur un clavier d’ordinateur. Là, elle pataugeait. Les élèves sont vraiment crétins ou c’est moi qui m’y prends mal?

C’est un blog collaboratif, d’enseignants, qui a soufflé la solution: «One good thing». Philosophie: «Chaque journée ne doit pas être bonne mais il y a (au moins) une bonne chose dans chaque journée.» Racontez-nous donc les trucs chouettes qui vous arrivent durant vos cours. Pas des blagues, hein, pas des réponses de cancres, non, des réussites, des progrès, des déclics, des enfants qui étaient à la traîne et emmènent maintenant le peloton. Depuis, Rebecka y a posté plus de mille histoires. Vécues. Dans son quotidien de prof. Où tout a changé, grâce à son joli stratagème: avant chaque cours, chaque élève partage un événement positif survenu depuis la veille, peu importe où et à qui. Et si ça écourte le temps consacré à la matière, ça «crée un encouragement collectif». Ça donne confiance en soi, ce que Rebecka cultive, avec chacun, dès la première leçon, en évoquant son parcours, à elle. Elle affirme que «plus on pratique la recherche du positif, plus on trouve d’exemples, plus on change d’état d’esprit, plus on se construit une force».

Avec ses élèves, bingo. Résultats, motivation et investissement ont décollé. Et elle vient d’être désignée professeure de l’année par le Conseil américain des chefs d’établissement. Rebecka Peterson a dédié ce prix à tous ceux qui pratiquent ce «métier magnifique, qui consiste à aider les élèves à se révéler».

Pas mal.

Thierry Fiorilli est journaliste et chroniqueur.

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