Enseignement flamand en crise : « C’est un peu une tempête parfaite qui se prépare »
Jeudi dernier, la Cour constitutionnelle a décidé d’annuler les objectifs finaux d’enseignement fixés début 2021 pour les deuxième et troisième degrés de l’enseignement secondaire de Communauté flamande. L’arrêt secoue l’enseignement flamand, déjà en proie à un niveau de qualité en baisse et à une pénurie d’enseignants.
« Ceux-ci (NDLR : les objectifs) sont tellement vastes et détaillés qu’ils présentent les caractéristiques d’un programme d’enseignement complet, de sorte qu’ils peuvent être de nature à constituer un obstacle fondamental, pour les écoles, à la réalisation d’un projet pédagogique propre« , a communiqué la Cour.
Les arguments des requérants portaient sur une atteinte à la liberté d’enseignement telle qu’inscrite dans la Constitution. En définissant des objectifs très détaillés, la Flandre aurait réduit quasi à néant la marge des pouvoirs organisateurs pour façonner leur programme d’enseignement selon leur propre projet pédagogique. La Cour a suivi ces arguments dans son arrêt.
Une tempête parfaite
Dirk Van Damme, ancien responsable enseignement auprès de l’OCDE, ne cache pas son inquiétude face à cette nouvelle crise dans l’enseignement flamand. « Je suis très préoccupé. En plus, n’oubliez pas que nous avons eu la pandémie de coronavirus, et que le déficit d’apprentissage n’a pas encore été rattrapé. C’est un peu une ‘tempête parfaite’ qui se prépare dans l’enseignement », a-t-il déclaré à la VRT.
Il partage la position de la Cour sur le caractère excessivement détaillé des objectifs. Il estime que les commissions des matières n’ont pas assez travaillé ensemble. « Chacun pense que sa discipline est la plus importante, personne ne s’est penché sur la somme et il n’y a jamais eu de mesure du temps de ce que cela signifie en pratique », ajoute l’expert en enseignement.
Pour Dirk Van Damme, il faut se focaliser sur les matières vraiment importantes. « Le problème, c’est que peu de personnes savent faire des choix. Prenons l’exemple de la trigonométrie: de nombreux mathématiciens pensent qu’elle est importante, mais il s’agit d’une sous-discipline qui remonte au 17e ou au 18e siècle, lorsqu’il fallait mesurer les terrains. Aujourd’hui – à mon avis – c’est beaucoup moins une priorité que, par exemple, les statistiques », explique-t-il.
Une leçon à tirer
« S’il y a une leçon à tirer des querelles de ces 18 derniers mois, c’est que les auteurs feraient bien de se mettre davantage à la place des personnes qui devront finalement travailler avec leurs textes. Les résultats d’apprentissage ne doivent pas être perçus comme quelque chose d’imposé aux enseignants, mais plutôt comme un cadre captivant qu’ils sont libres de remplir comme ils le souhaitent et d’une manière adaptée à leur classe », écrit notre consœur de Knack Ann Peuteman dans une chronique.
« Ce n’est que lorsque les objectifs de résultats exprimeront une plus grande confiance dans les enseignants que ceux-ci seront vraiment motivés pour en tirer le meilleur. Et puis, il se peut que la qualité de notre enseignement progresse à nouveau lentement », conclut-elle.
Un sale coup pour Ben Weyts
Quoi qu’il en soit, l’arrêt est un sale coup pour le ministre de l’Enseignement flamand Ben Weyts (N-VA) : « Les objectifs ont été élaborés par les représentants des coupoles, les enseignants et des experts, indépendamment du politique. Ils ont ensuite été approuvés sans une voix contre au Parlement flamand. C’est un sale coup, car cette méthode n’est plus possible », a-t-il déclaré.
Une réaction hallucinante de la part du CD&V
Étonnamment, le CD&V, pourtant membre du gouvernement flamand, a salué la décision de la Cour constitutionnelle, alors qu’il avait approuvé les objectifs au Parlement flamand. « Ils allaient trop loin », a jugé le président du CD&V Joachim Coens. « Il faut certainement viser la qualité, mais vous devez aussi faire confiance aux enseignants et aux établissements. Les objectifs doivent aussi laisser de l’espace ».
« C’est une bonne chose », a renchéri Sammy Mahdi, seul candidat à la succession de Joachim Coens à la tête des chrétiens-démocrates flamands. « Trop de réglementation et d’interventionnisme du gouvernement détruisent l’enseignement. Laissons les enseignants donner cours et se concentrer sur les tâches essentielles. »
Johan Lievens, chercheur en droit d’enseignement à la KU Leuven, qualifie la réaction du CD&V d’hallucinante. « Le CD&V n’a jamais freiné clairement », rappelle Johan Lievens. « Quand l’enseignement catholique a commencé à protester, le parti aurait pu intervenir, mais il ne l’a pas fait. Il a approuvé le décret au Parlement flamand et maintenant il qualifie l’annulation de logique. Avec tous les autres décrets qui seront encore votés au cours de cette législature, il faudra deviner ce que le CD&V en pense. »
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