Enseignement : en Wallonie, pas de numérisation sans pédagogie
Après des résultats mitigés en matière de numérisation de l’enseignement obligatoire, la Région wallonne a changé son fusil d’épaule et mis la pédagogie au coeur de son programme. Car sans professeurs compétents pour lui donner du sens, le numérique n’a que peu d’intérêt dans l’enseignement…
La » numérisation » de l’école est un sujet qui occupe la Wallonie depuis près de vingt ans, avec, comme objectif principal, de réduire la fracture numérique et de développer l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans l’enseignement. La Région s’est donc lancée, dès 1999, dans de vastes programmes d’équipement des écoles qui ont certes eu le mérite d’exister, mais qui ont rapidement démontré leurs limites.
Malgré l’installation de pas moins de 40 000 ordinateurs entre 1997 et 2012 dans l’enseignement obligatoire et les établissements de promotion sociale, le verdict des études menées par l’Agence du numérique est sans appel : non seulement l’équipement reste trop faible, mais il devient obsolète et reste peu ou pas utilisé par les enseignants. Tout en continuant à équiper ses écoles en matériel, la Région a décidé d’améliorer sa stratégie en travaillant main dans la main avec la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui apporte son expertise pédagogique au nouveau plan » Ecole numérique » depuis 2014.
» Depuis lors, nous fonctionnons avec des appels à projets et la distribution de matériel est conditionnée par un projet pédagogique propre à chaque établissement « , précise Jean-Marie Boudrenghien, chef de projet de la cellule Ecole numérique au Service public de Wallonie. Ce mode de travail permet notamment de s’assurer de la pertinence des équipements fournis d’autant que, comme le souligne Jean-Marie Boudrenghien, » les besoins actuels en matériel sont plus diversifiés qu’autrefois « . Les établissements scolaires peuvent ainsi s’équiper de tablettes pour travailler les maths sur des applications, de caméras pour mettre en place un journal télévisé interne ou des classes inversées via des capsules vidéo, des ordinateurs pour réaliser des livres interactifs, etc.
Contrairement aux précédents programmes instaurés en Wallonie, le plan » Ecole numérique » inclut aussi des heures de détachement pour l’enseignant porteur du projet, car ce genre d’initiative réclame un véritable investissement humain. Et puis, les lauréats des appels à projets ont également la possibilité de suivre des formations gratuites ou de bénéficier de l’encadrement de plusieurs conseillers. La Région wallonne met actuellement à leur disposition une cellule qui accompagne les écoles dans la mise en route et l’utilisation du matériel, tandis que la Fédération Wallonie-Bruxelles est en train de mettre en place un équivalent au niveau pédagogique.
Apprentissage au et par le numérique
La formation et l’encadrement des professeurs jouent en effet un rôle clé dans la numérisation de l’école. Les expériences précédentes dans ce domaine ont démontré que le véritable enjeu de l’introduction du numérique dans l’enseignement n’est généralement pas d’ordre matériel, mais bien pédagogique. Encore aujourd’hui, de trop nombreux enseignants se refusent à franchir le pas par peur, par manque de compétences ou par méconnaissance des atouts du digital. Le but du plan » Ecole numérique » est de les accompagner pour qu’ils ne se contentent pas d’introduire les technologies en continuant à reproduire ce qu’ils faisaient par le passé, mais qu’ils les utilisent pour créer de nouveaux modes d’apprentissage actifs et participatifs.
Le programme vise aussi à ce que les enseignants puissent découvrir et explorer toutes les facettes des technologies de l’information et de la communication, pour en faire un meilleur usage. » L’objectif des autorités cible à la fois l’apprentissage par le numérique et l’apprentissage au numérique « , souligne Jean-Marie Boudrenghien. Le digital peut ainsi devenir un sujet d’études, ou encore servir de support pour la communauté éducative, par exemple au travers de cahiers de présence numérique, de systèmes de partage et de stockage collaboratif entre professeurs, etc. Comme il est laborieux d’effectuer cette transition vers le numérique – surtout si l’on n’a pas été entraîné lors de sa formation initiale -, le plan wallon insiste aussi beaucoup sur la collaboration et le partage d’expériences, notamment via son site Internet.
La formule semble prendre au sein des établissements scolaires, puisque pas moins de 490 candidatures ont été envoyées lors de l’appel à projets 2014-2016, contre 175 pour le premier en 2012-2013. En 2017 et 2018, 500 réalisations seront soutenues par le plan » Ecole numérique » wallon.
Par Marie-Eve Rebts.
Par rapport à la Flandre, la Wallonie accuse un retard numérique à certains niveaux. Une enquête réalisée en 2015 par l’Itinera Institute a par exemple révélé que le nombre d’ordinateurs était de 25 pour 100 élèves dans les écoles flamandes, contre 8,5 dans les écoles wallonnes. Et alors que 97 % des établissements du Nord du pays possèdent un coordinateur tice, à peine la moitié des écoles wallonnes dispose de tels moyens humains.
Côté bruxellois, le plan « Multimédia » équipe progressivement, depuis 1999, les écoles primaires et secondaires de la Région en ordinateurs, tablettes, PC, projecteurs, etc. Le programme inclut également l’accès à Internet via le réseau Irisnet et des services comme des formations, des assurances, un helpdesk et une maintenance du matériel. En 2013, la Région de Bruxelles-Capitale a également lancé le projet Fiber to the School visant à équiper les établissements secondaires de connexions Internet par fibre optique. Ce plan s’étendra jusqu’en 2019 et, à l’heure actuelle, la moitié des écoles du territoire ont été équipées.
Au coeur de Bruges, l’école secondaire Sint-Leo Hemelsdaele compte environ 600 élèves. Depuis longtemps, la direction rêvait de moderniser son enseignement tout en jouant un rôle précurseur en matière de nouvelles technologies. Elle a reçu le soutien du groupe Ricoh, trop heureux de pouvoir ainsi mettre son projet « Classroom of the Future » à l’épreuve. Objectif : fournir aux élèves et enseignants des outils d’apprentissage interactifs modernes et une plate-forme permettant l’étude mobile (à distance) et personnalisée. Plus la formation nécessaire pour pouvoir intégrer ces outils dans les processus d’apprentissage.
Trois espaces ont été aménagés en tant que centres d’étude ouverts. Ils sont équipés de tables et tableaux interactifs, de systèmes de vidéoconférence et de projection vidéo mais aussi d’un mobilier conçu pour stimuler les échanges et les interactions entre les élèves. « Alors qu’avant, les cours étaient très figés, les élèves et enseignants s’affranchissent désormais d’un cadre rigide de leçons et d’attributions de classes, explique-t-on chez Ricoh. Les enfants peuvent étudier seuls ou accompagnés par leurs professeurs, travailler de manière indépendante, interdisciplinaire, interactive et même à distance. Ils ne restent plus assis de longues heures sur leur chaise, derrière leur banc. Ils bougent, touchent, apprennent… et aiment apparemment ça ! » Il faudra encore un peu de temps pour mesurer les effets concrets de ces classes du futur, mais à Sint-Leo Hemelsdaele, la direction est en tout cas ravie.
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