Carte blanche
Enseignement : allonger le tronc commun, folie ou panacée ?
La mise en place progressive des mesures découlant du Pacte d’Excellence (PE) fait couler beaucoup d’encre. Deux grands types de critiques se font entendre.
Il y a celles qui consistent à dénoncer l’idéologie néo-libérale qui sous-tend la réalisation et la mise en oeuvre des plans de pilotage. Disons d’emblée que nous nous retrouvons dans ces critiques qui dénoncent notamment la mainmise d’une boîte de consultance privée dans cette démarche. Mais c’est ici sur le deuxième grand type de critiques que nous voudrions nous exprimer : l’allongement programmé du tronc commun (TC) jusque la fin de la 3e secondaire.
Pour certains, cet allongement est de la folie : de nombreux jeunes ne seraient pas « faits pour l’abstraction ». En les obligeant à suivre des cours classiques à longueur de journée, on va les ennuyer et retarder la concrétisation de leur choix d’orientation. Et puis les différences de niveaux seraient telles dès la sortie du fondamental et plus encore à la fin du 1er degré du secondaire qu’il serait illusoire de vouloir les maintenir dans un cursus commun. Pour d’autres, le TC serait la panacée, car, dans les pays qui n’obligent pas à des choix trop prématurés et qui maintiennent donc les élèves dans une filière unique (parfois jusque 16 ans), on constate moins d’inégalités que chez nous. Sans que ça nuise au niveau moyen.
Aux premiers, rétorquons qu’il est curieux de constater que c’est très majoritairement dans les milieux populaires qu’on rencontre des jeunes qui ne sont pas « faits pour l’abstraction ». Ça signifie que notre système éducatif ne joue pas son rôle. Il n’arrive pas à créer les conditions favorables d’apprentissage que seuls certains trouvent au niveau familial. L’abstraction et le goût de l’étude ne sont en effet pas innés. De plus il est inacceptable que seuls les plus favorisés socialement y aient accès. Par ailleurs, TC ne signifie pas monopole des cours généraux. Une formation polytechnique, artistique et sportive fait partie d’une formation globale bien pensée. Ce qui permet une diversification de la journée de cours et donc de combattre l’ennui.
Malgré ou plutôt grâce à nos relations souvent amicales, nous voudrions inciter les deuxièmes à la prudence. Certes, les pays qui pratiquent le TC long sont souvent efficaces en matière de lutte contre les inégalités. Mais on observe également que, très souvent, ces pays sont aussi ceux qui régulent fortement l’affectation des élèves, qui évitent les ségrégations sociales. C’est bien la combinaison de ces deux mesures – mixité sociale et tronc commun de longue durée – qui est corrélée à de faibles inégalités. Or, si le Pacte propose bien l’allongement du tronc commun, il est muet sur la régulation des inscriptions.
Ce manque de courage risque de se payer au prix fort. Car, au risque d’en étonner certains, nous ne balayons pas d’un revers de la main l’autre argument des critiques du TC. Oui, en l’état, les différences de niveaux à la fin du premier degré du secondaire sont trop importantes pour espérer maintenir tout le monde dans une filière commune. Notre différence avec les critiques de droite du Pacte, c’est que nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation. C’est pourquoi nous demandons que des mesures fondamentales soient prises en amont afin de créer les conditions qui permettent d’augmenter sérieusement le niveau des élèves les plus « faibles ». Ces mesures sont connues :
- Réduire les effectifs des classes à 15 élèves dans les premières années d’enseignement, afin de favoriser la construction d’un rapport positif à l’école, aux savoirs et au travail scolaire.
- Assurer un encadrement supplémentaire, tout au long du tronc commun, afin que tous bénéficient d’un suivi et d’une aide individualisée après les cours.
- Favoriser des écoles de taille humaine, bien équipées, ouvertes en dehors des heures et jours de cours, qui soient de véritables lieux de vie, d’étude et de travail pour les enfants.
- Proposer, sans obligation, une place garantie pour chaque enfant dans une école proche du domicile, en évitant la ghettoïsation sociale.
- Rédiger des programmes plus clairs, avec un énoncé structuré des matières, afin d’éviter le touche-à-tout et l’utilitarisme des « compétences » et afin d’assurer des formations équivalentes dans chaque établissement.
- Scinder le secondaire inférieur (tronc commun) du secondaire supérieur (avec ses filières diversifiées) afin que le choix d’une école à 12 ans n’implique pas de facto le choix d’un enseignement de transition ou de qualification.
- Entamer un rapprochement des réseaux d’enseignement (mêmes programmes, mobilité inter-réseaux des enseignants, nomination démocratique des chefs d’établissement, etc.) devant aboutir à leur fusion en un réseau unique, public et neutre.
À défaut, l’allongement du tronc commun pourrait bien avoir l’effet inverse de celui espéré. S’il échoue à réduire les inégalités, ses adversaires auront, pour longtemps, des arguments en béton. Ce serait très dommage, car, outre le fait d’être un outil de lutte contre les inégalités, il a une autre vertu. À une époque où les défis sociétaux sont gigantesques, une citoyenneté critique et responsable suppose à la fois une solide formation générale et de vastes connaissances polytechniques, théoriques et pratiques. C’est d’ailleurs pourquoi il faut absolument éviter le nivellement par le bas. Ce qui pourrait être une autre conséquence résultant de l’action, consciente ou pas, de ceux qui veulent à tout prix le tronc commun, quitte à ce que les conditions de sa réussite ne soient pas réunies.
Nico Hirtt, Jean-Pierre Kerckhofs, Philippe Schmetz, Michèle Janss, Cécile Gorré .
(Bureau de L’Appel pour une École Démocratique – Aped)
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