Enquête: les deux visages de Jacques Borlée, l’intouchable
Innovant, exigeant et conquérant, l’entraîneur du relais 4×400 mètres ? Oui. Il a aussi connu les bancs du tribunal, la saisie sur salaire, le fracassement de sa fratrie. Ses 23 médailles cachent mal les dettes qu’il laisse derrière lui, comme ses conflits d’intérêt. Mais il gagne. Et pour beaucoup, c’est tout ce qui compte.
L’équipe Borlée, montée par Jacques Borlée autour de ses enfants Kevin, Jonathan et Dylan quitte l’aile francophone d’athlétisme (LBFA) et rejoint la ligue flamande (VAL). A cette occasion, Le Vif vous propose de (re)lire l’enquête de Laurence Van Ruymbeke parue dans Le Vif/L’Express du 27/06/19. Revoici le texte dans son intégralité.
Strict manteau noir et impeccable chemise blanche. Sous la poignée de main contrôlée, l’énergie bout. Et derrière les mots soigneusement pesés, parfois répétés façon mantras, il faut entendre les silences tapageurs, mordants aveux. Jacques Borlée a deux visages. Mais il ne donne accès qu’à l’un. Bronzé comme une médaille.
ÉPISODE 1 – Où Jacques commence sa vie au Congo
La maison blanche, alanguie sous le soleil africain, est bordée de petites haies. Des enfants y courent, portant les plus jeunes sur leur dos. Le septième enfant et sixième garçon de la tribu Borlée, Jacques, n’a pas trois ans. Son coeur bat déjà comme un chronomètre. Sur le perron, les parents, Pierre et Flore, imaginent sans doute ce que sera la vie de ces petits bouts d’eux-mêmes. La famille coule des jours heureux dans ce Congo au bord de l’indépendance. En 1959, Pierre est gouverneur du Kivu. Un homme droit, autoritaire, un brin janséniste, ce qui ne l’empêche pas d’avoir de l’humour. Lui et Flore élèvent leurs rejetons dans un entrelacs de valeurs catholiques fortes de générosité, de travail, d’altruisme, de partage, de simplicité. Pour se rendre à l’école, les enfants Borlée ne prennent pas la voiture de fonction, mais le bus. Comme tout le monde.
Quand il se fâche, il arrête de respirer, alors on lui passe ses caprices.
Flore – qui a une soeur jumelle – est une maman joyeuse, engagée. Elle veille tendrement sur ses sept premiers enfants, et sans doute un peu plus sur Jacques, qui restera le cadet pendant six ans. Quand il se fâche, il arrête de respirer, jusqu’à en devenir bleu. Flora lui plonge la tête sous l’eau jusqu’à ce qu’il retrouve son souffle. » Les parents voulaient éviter qu’il se mette en colère, explique un proche. Ils lui ont passé beaucoup de caprices. »
Lorsqu’en 1960, les enfants Borlée quittent le pays, ils pensent y revenir. » On s’est retrouvé au collège Saint-Michel, à Bruxelles, se souvient Vincent, frère de Jacques. Ici, tout était muré. » A Bruxelles, où l’arrivée d’un petit frère a agrandi le clan, Flore organise pour les enfants des courses autour du bloc. Pour Pierre, joueur de tennis, les études importent bien plus que le sport. » Le jour où il a lu dans le journal que j’étais premier en 100 mètres, 200 mètres et 400 mètres, il m’a juste dit : « C’est normal » « , se souvient Jacques Borlée. Que faut-il faire, alors, pour exister ?
ÉPISODE 2 – Où Jacques l’indiscipliné découvre qu’il court vite
En secondaire, Jacques fréquente plusieurs écoles – dix, dit-il – qu’il quitte rarement de son plein gré : il n’accepte ni l’autorité ni les contraintes. Il est régulièrement sanctionné pour avoir caché un squelette derrière une porte ou placé un seau d’eau en équilibre sur une porte. Il n’épargne pas davantage ses parents. » J’avais peut-être besoin de m’affirmer face à mes six frères. » Sa croissance subite lui interdit de pratiquer du sport pendant deux ans, ce qui le rend fou. A 17 ans, l’école Saint-Boniface l’accueille, après son renvoi en cours d’année, mais à condition que le professeur de gymnastique s’occupe de lui. » J’ai dit à Jacques que je l’attendais au stade le mercredi après-midi pour son premier entraînement « , raconte Jean-Pierre Favresse, ex-athlète. L’ado, qui préfère le football, court en râlant. Puis, il gagne un premier 200 mètres. Déclic. » Le sport m’a aidé à ne pas être un truand. »
Jacques termine ses humanités sans diplôme. Il entreprend des études d’optométrie. Et il court, entraîné par Wilfried Geeroms, un dur aux méthodes originales. Le frère aîné de Jacques, Jean-Pierre, également athlète-champion et président du Racing club de Bruxelles (RCB), couve son cadet. Leur relation est fusionnelle, leurs parcours sportifs jumeaux. » Jean-Pierre a très vite placé Jacques sur un piedestal, se rappelle un membre du club, ce qui a fait des jaloux. Jacques, très revendicatif, était d’autant plus sûr de lui. Ce dont il a manqué toute sa vie, c’est d’humilité. » Dans les vestiaires, riant sous cape, les autres l’appellent Jacquouille.
Ce bad boy des pistes, qui fait la fête au club deux à trois fois par an, rompant ainsi sa vie de moine, est prêt à tout pour réussir : sa passion de la gagne ressemble à de la rage. A l’entraînement, il se fait tirer par une moto à laquelle il est attaché par un élastique pour travailler son accélération. Et les résultats tombent, en 100, 200, 400 mètres, 400 mètres haies et en relais 4×400. Entre 1979 et 1984, huit titres belges et une médaille d’argent aux championnats d’Europe de Budapest. Il est également du voyage à Moscou, pour les Jeux olympiques.
C’est sur les pistes que Jacques croise la sprinteuse Edith de Maertelaere. De leur union naissent Olivia, Kevin, Jonathan, Alyssia et Dylan. Deux autres enfants naîtront d’une deuxième rencontre. En 1988, insatisfait, le sprinter met un terme à sa carrière : » Je n’ai pas eu l’impression d’être allé au bout de moi-même, ni physiquement, ni mentalement. La Belgique ne permettait pas aux athlètes de se développer. Et le dopage faisait des ravages. » Ses dettes s’élèvent alors à 300 000 francs belges (7 500 euros) qu’il rembourse en se lançant dans la vente d’articles de sport. Pendant quelques années, on n’aperçoit plus sa silhouette longiligne dans les stades.
ÉPISODE 3 – Où Jacques croise Camille Javeau, Christophe Rochus et un géant
1989. Camille Javeau, qui dirige l’Inusop, institut de sondage proche de l’ULB, est président de la Ligue francophone d’athlétisme et membre du RCB. Jacques Borlée le connaît bien. Averti par un tiers de faits de faux, escroquerie, abus de confiance et corruption qui y sont commis via des conventions surfacturées pour financer le Parti socialiste, il transmet les informations à la police. Ainsi éclate la vaste affaire politico-médiatique. » Jacques était un Don Quichotte, éclaire un proche. Il n’a pas mesuré les conséquences de son acte. » L’intéressé jure que si. Certains n’en suggèrent pas moins que ses difficultés financières, dans les années 1990, seront en partie dues à une vengance du PS… » Maman, s’inspirant de ce qu’aurait voulu Papa, a conseillé à Jacques de dévoiler ces informations, assure son frère Vincent. Quand il s’est retrouvé plus tard dans les ennuis, elle s’est sentie coupable et lui est venue en aide « .
Début des années 1990, Jacques Borlée réapparaît sur les terrains de sport comme préparateur physique autoproclamé : il n’est pas professeur d’éducation physique et ne dispose d’aucun brevet Adeps. Il suit individuellement des joueurs de basket, entre autres chez les Castors de Braine, et de tennis. » Ce sont les entraînements les plus durs que j’aie connus, raconte le tennisman Christophe Rochus. Il utilisait des plaques de vibrations pour travailler l’équilibre et me proposait des chaussures spéciales pour le déroulé des chevilles. J’adorais, même si humainement, il ne faisait pas beaucoup de compromis. » Dans les stages sportifs où l’ex-sprinter intervient, il réveille ses ouailles à l’aube, les faisant travailler à jeun. » Il est lunatique, raconte un de ces stagiaires. Il peut chanter le matin et frapper des cônes, furieux, l’après-midi. Je me suis habitué à ne pas m’attirer ses foudres. » Quand il court dans les bois avec le joueur de basket Daniel Goethals, il emmène ses jumeaux, qui n’ont pas plus de 7 ans. » Ils n’ont qu’à suivre ! « , répond leur père au basketteur qui craint de les perdre. Au stade, il impose à ce géant de grimper les gradins en le portant sur son dos. Puis il fait l’inverse, alors que le basketteur pèse 115 kilos pour 2 m 07. En rentrant, Daniel Goethals, qui dit avoir beaucoup progressé avec son ami, s’arrête souvent pour vomir. Jamais l’entraîneur de l’extrême ne se fait payer pour ces séances d’entre-saisons.
ÉPISODE 4 – Où Jacques commet des faux et est condamné en justice
Jacques Borlée se lance alors dans les affaires, avec certains de ses frères. Il a des idées, souvent bonnes. Il crée deux entreprises : Borlée Europe (conception de ministades), puis Mobile Seats (tribunes téléscopiques), en 1993. Sambrinvest y investit. » Jacques a eu plein de possibilités mais il a tout fait foirer « , soupire un témoin de l’époque. Plusieurs interlocuteurs du Vif/L’Express, en contact avec Jacques Borlée lorsqu’il était aux affaires, évoquent sous couvert d’anonymat des factures jamais payées, des loyers ou des réservations de salles non réglés, du matériel fourni mais non conforme. » On lui a acheté du matériel et on n’en jamais vu la couleur « , affirme un président de club. Au même moment, sa relation de couple se détériore. En 1996, Mobile Seats est déclarée en faillite. Attaqué avec un de ses frères, notamment pour faux, usage de faux, escroquerie, acceptation et conservation de subventions publiques indues, Jacques Borlée est condamné en 2002. Confirmé en appel en 2006. » J’ai échoué et c’était ma faute, reconnaît-il. J’ai changé ma manière de fonctionner pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. » Pour ses proches, qui s’étaient portés garants, les dégâts financiers et personnels n’en sont pas moins considérables.
Borlée traverse des années très difficiles, marquées par des saisies sur salaire. Il dort parfois dans sa camionnette ou chez sa mère. Il emprunte. » Il a tout fait pour s’en sortir, affirme Benoit Lambert, un athlète qui l’a aidé et qui a été remboursé, mais sans aucun respect des règles. » » Jacques dit qu’il ne faut pas regarder derrière soi, témoigne un autre prêteur, mais il ne laisse que des cadavres dans son sillage. Peu lui importent les dégâts qu’il cause. » » Il m’a dit qu’il revendrait sa maison pour me rembourser mais qu’avant, il devrait y faire des travaux, se souvient un troisième, qui dit n’avoir jamais récupéré sa mise. Et pour les réaliser, il m’a demandé de lui prêter à nouveau… » Jacques Borlée assure qu’il n’a plus aucune dette. » Je pense n’avoir pas laissé une seule personne impayée. J’ai remboursé jusqu’il y a trois ans, en revendant des maisons. » Selon de nombreux témoignages, plusieurs dettes n’ont pas été remboursées. Et les maisons revendues n’étaient pas les siennes : elles appartenaient à un de ses frères.
Jacques Borlée a aussi signé des reconnaissances de dettes, qu’il n’a pas honorées. Il jure n’avoir jamais paraphé de tels documents. Les éléments d’informations dont dispose Le Vif/L’Express attestent le contraire. » Jusqu’à la faillite, la famille était très soudée, se souvient un ami. Ensuite, elle a été pulvérisée. » Et plus encore aux décès de Jean-Pierre, en 1992, et de Flore en 2014.
ÉPISODE 5 – Où Olivia annonce le printemps
En 2003, Olivia lui demande d’assurer son entraînement. Il pioche dans des disciplines connexes au sport pour gagner des poussières de secondes en course et frappe à la porte d’universitaires. » En sport, il écoute « , confirme Vincent Borlée. Rien n’est laissé au hasard : posturologie, équilibre de la mâchoire, vision, diététique, méditation, semelles, accompagnement psychologique. Entre 2006 et 2016, Olivia occupe toutes les places du podium aux championnats de Belgique. Et en 2008, le relais 4×100 mètres, dont elle est remporte l’or aux JO de Pékin.
Kevin et Jonathan suivent l’exemple de leur soeur. Tentés au départ par le foot, ils se sont mis à courir sur le tard. Leur père est prêt à les encadrer mais il fixe ses conditions, pointant les sacrifices à consentir, les régimes à suivre, les sorties interdites. Les jumeaux, rejoints ensuite par Dylan, obtempèrent. » Quand Jacques Borlée m’a contacté, relate Marc Francaux, spécialiste des sciences de la motricité à l’UCLouvain, il voulait des conseils en planification d’entraînement avec une vision de carrière à long terme pour les jumeaux. Très vite, il les a responsabilisés. » D’autres soulignent sa forte emprise. » Il exerce un contrôle absolu sur eux, y compris sur leurs relations amoureuses « , témoigne un proche.
Les médailles tombent (200, 400 mètres et relais 4×400). » Il a compris avant tout le monde que le sport est aussi un moteur économique et que pour faire la différence, les détails et l’innovation comptent « , analyse Jacques Platieau, président des Castors de Braine. Guy Cheron, le professeur de biomécanique du mouvement de l’ULB qui a procédé à des enregistrements de l’activité cérébrale des Tornados à l’entraînement, confirme : » Leurs performances sont en partie dues à ces recherches. C’est le futur du sport. » Jacques Borlée le sait. De la motivation de ses troupes, il a aussi fait un art. » Juste avant une course, il nous projetait de petites vidéos de nous, raconte l’ancien Tornado Arnaud Ghislain : parce qu’avec juste une phrase, on transcende ou on démolit un athlète. » Avant le départ, Jacques est bref, se limitant à une ou deux consignes. Il a le don de raconter la course à l’avance. Et souvent, il a raison.
En 2012, pour souder son équipe, il l’emmène en Islande traverser un glacier. » Qu’il y ait ou non consensus scientifique sur le fait que ses inventions fonctionnent n’a pas d’importance, résume Paul Rowe, directeur exécutif de Sport Flanders. Ce qui compte, c’est que les athlètes le croient. Il utilise la psychologie là où la science n’est pas concluante. Les Borlée sont toujours sûrs qu’ils peuvent gagner, même si les temps ne le disent pas. » La longévité des aînés au plus haut niveau et sans guère de blessures impressionne. A ce jour, leur compteur commun affiche vingt-trois médailles. Jacques Borlée a des compétences, que nul ne conteste. Le titre d’entraîneur européen de l’année, en 2011, et son équivalent belge, en 2011 et 2012, l’illustrent. Mais soit on travaille comme il veut, soit on ne travaille pas avec lui. Des athlètes comme Antoine Gillet, Arnaud Destatte ou Niels Durinckx l’ont d’ailleurs quitté.
ÉPISODE 6 – Où l’affrontement avec la Ligue est inévitable
Seule compte donc la performance. Avec un tel état d’esprit, évident pour le sport de haut niveau, il ne peut qu’entrer en collision régulière avec la Ligue francophone d’athlétisme (LBFA), dirigée par des bénévoles et préoccupée par l’accès du plus grand nombre au sport. » Jacques vient avec son raisonnement, ses techniques et un marketing qui dérangent « , analyse son ami Vincent Querton. » Il méprise tout le monde, sauf ceux qui représentent un intérêt, comme les sponsors, les politiques, la presse sportive, considère un athlète. Si on ne lui rapporte rien, on n’existe pas. » Mais Jacques Borlée a adouci son discours. Un accord a été conclu avec le ministre francophone des Sports, Rachid Madrane (PS), la Ligue et Sport Vlaanderen : l’entraîneur bénéficie depuis le 1er janvier 2019 de 10 000 euros bruts mensuels payés collégialement ; tous ses frais sont remboursés (hôtels, billets d’avion, voitures de location…) ; et il dispose d’une carte de crédit, au nom de la Ligue, avec une provision mensuelle renouvelable de 20 000 euros. Certains accusent le COIB de payer les yeux fermés toutes les dépenses excédentaires. » Faux, répond Philippe Préat, son responsable du haut niveau. Une fois les plafonds de dépenses pour la Ligue dépassés, nous intervenons mais nous payons pour que soit réalisé le programme sportif optimal, pas pour des vacances. » Voire. En juin 2018, Jacques Borlée a loué une BMW lors d’un séjour à Nice, alors qu’un plus petit modèle lui avait été réservé. Le surcoût a été épongé par le COIB. Selon une autre source proche du Comité olympique, le 4×400 reçoit davantage d’argent que d’autres disciplines. Contactée, la LBFA n’a pas souhaité s’exprimer publiquement sur le sujet, histoire de ne pas remettre de l’huile sur le feu.
» Je ne suis pas intouchable mais j’ai une position de force et je l’exploite au profit des athlètes « , précise l’ex-sprinter. » Nous avons de bons conctacts, dit-on côté flamand. Mais s’il travaillait avec nous, la relation serait sans doute différente. » L’opinion publique le soutient aussi. » En cas de conflit, des pressions s’exercent pour qu’une paix soit vite conclue parce qu’il est trop médiatique, soupire un observateur. De lui, on accepte tout à n’importe quel prix, en échange des médailles. »
Les sponsors qu’il est allé chercher ne voient, eux, que les résultats qui s’enchaînent. » Les Borlée mettent l’aspect tribu fort en avant, confirme Bernard Gustin, ami et ex-patron de Brussels Airlines. On sait qu’il y aura un retour sur investissement. » Selon les comptes de la Ligue, les Borlée ont reçu deux millions d’euros depuis leur entrée en piste. » Ils n’ont pourtant pas le monopole de la performance sportive, relève Benoit Lambert. D’autres – comme Nafissatou Thiam – sont tout aussi méritants et n’ont pas de telles revendications. »
C’est dire si l’initiative de l’entraîneur des Tornados visant à créer, en dehors des structures officielles sportives, une European Sport Academy (ESA), en a crispé certains. Lancée en 2010, l’asbl rassemble des personnalités du sport intéressées par la création d’un centre pour élites multidiscipline en Région bruxelloise. L’athlète Camille Laus, compagne de l’un des fils Borlée, y travaille comme coordinatrice de projets ; Jacques y est bénévole. Une étude de faisabilité de l’ESA s’est conclue en janvier 2018. Dont coût : 350 000 euros, assurés par Beliris. La structure a aussi bénéficié, entre 2010 et 2018, de 375 000 euros de la Loterie nationale, en plus d’un budget de 200 000 euros pour le projet Brussels Urban Youth Games qui se tiendra à Molenbeek cet été. Et de subsides de la Région. Pour une asbl dont on espère la mise en route effective en 2021.
ÉPISODE 7 – Où les Borlée courent et d’autres pas
Sélectionne-t-il toujours ses fils parce que ce sont les meilleurs ? Pour plaire à ceux qui les soutiennent ? Pour raisons financières ? L’histoire du clan Borlée, famille atypique et rare, fait évidemment mouche auprès des sponsors et des médias. La prestation des quatre frères, réunis en avril dernier pour un 4×400 en Californie, constitue, de ce point de vue, la plus totale réussite pour leur père. Mais une compétition au moins pose question.
Amsterdam, championnats d’Europe d’athlétisme, 2016. Kevin, Jonathan et Dylan sont alignés pour le relais, avec Julien Watrin. Si les deux premiers sont incontestés, la place de Dylan pose question. Son dernier chrono est moins bon que celui de Robin Vandenbemden. On peut supposer que lorsque les trois frères courent ensemble, l’émulation les pousse à donner le meilleur d’eux-mêmes : dans un relais, argumentent plusieurs responsables sportifs qui comprennent ce choix, il n’y a pas que le chrono qui compte. Mais en se basant sur les résultats du championnat de Belgique, ce sont Julien Watrin, Robin Vandenbemden, Antoine Gillet et Jonathan Borlée qui auraient dû être sélectionnés. Ce n’est pas ce qu’a décidé l’entraîneur, se justifiant, selon plusieurs sources, par le fait que la sélection de ses trois fils apaiserait des tensions intrafamiliales et relancerait Jonathan, alors en méforme… » Je n’en ai pas dormi de la nuit, nous assure Jacques Borlée. Robin méritait tout à fait de courir. Mais dans une telle situation, c’est l’information que détient le père qui permet au coach de décider. Pour le bien de l’équipe, qui devait concourir aux JO six semaines plus tard, j’ai dû le sacrifier. » Beaucoup ne le lui ont pas pardonné, dans le milieu. » Robin a été écarté parce qu’il ne portait pas le bon nom de famille, fustige un athlète. On a la chance, en athlétisme, de pouvoir mesurer les prestations objectivement, sur la base du chrono. Mais avec Jacques, les critères de sélection ne sont jamais clairs. »
A Amsterdam, affirment plusieurs sources, Jacques Borlée a suggéré à Robin Vandenbemden – qui a refusé – d’expliquer aux journalistes » pour une question de facilité » qu’il était blessé. Le coach dément. Sous la menace, il aurait demandé aux témoins de ne pas en parler à la presse. On est pour ou contre l’équipe. Si on est contre, on n’en fait plus partie.
» Parfois, Jacques va trop loin, observe l’entraîneur Geoffrey Boone qui dit pourtant avoir beaucoup appris de lui. On comprend vite que nos athlètes doivent être très bons, mais juste un peu moins que ses fils. » Réplique : » Je consulte beaucoup avant de décider. Cumuler les fonctions de père et de coach ne pose donc pas problème. Et les résultats plaident pour moi. » En effet. A Amsterdam, les Tornados ont gagné. Mais le doute persiste. » Peut-être que le choix initial des coureurs n’était pas vraiment correct et a été influencé par le critère « famille » pour les sponsors « , avance Wim Vandeven, ex-responsable haut niveau du COIB. Où aucune plainte n’a été déposée à ce sujet et où on réfute tout conflit d’intérêt, jurant que les sélections s’opèrent toujours en fonction du meilleur résultat possible. En coulisse, plusieurs sources affirment que le COIB n’est pas dupe mais passe l’éponge, au motif que » c’est Jacques, on le connaît… » » Une fois sur cinq, on est bernés, assure François Gourmet, entraîneur d’autres relayeurs : c’est-à-dire que si Jacques n’était pas leur entraîneur, ce ne sont pas ses fils qui courraient. »
Sportifs et entraîneurs évoquent aussi les négociations qu’il mène – et remporte – avec des organisateurs de course, trop contents d’avoir le clan sur la piste, pour obtenir les meilleurs couloirs pour ses enfants. Il rétorque qu’il négocie les couloirs pour les détenteurs des meilleurs chronos, quels qu’ils soient.
ÉPISODE 8 – Où la reconnaissance passe par l’argent
Jacques Borlée défend aussi des projets sociaux fondés sur le sport. » Il se démène pour faire percoler les valeurs du sport même en dehors des compétitions « , souligne Benoît Cerexhe, bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre. Derrière la façade, il y a un coeur énorme, jurent ses amis. Et un besoin de reconnaissance. » Par le passé, confie un proche, quand les compliments ne suivaient pas, c’était difficile pour lui. » Or la reconnaissance est une drogue. Pour l’obtenir, il faut sans cesse monter de nouveaux projets, presque toujours coûteux.
Dès lors, l’argent, autre marqueur de reconnaissance, importe. » Son rapport à l’argent est maladif « , souffle un ancien de ses amis. Il n’en manque pourtant plus. Outre ses 10 000 euros mensuels, il y a des revenus de sponsors – Crelan, premier partenaire de la famille, qui ne souhaite pas communiquer le montant de son soutien, Nike, BMW… – et des cachets comme conférencier. » Tout ça va dans la société créée au nom de mes trois aînés ; je vis avec mes 10 000 euros. J’ai sept enfants et je dois être juste à l’égard de ceux qui ne sont pas sportifs. » Plusieurs sprl ont été créées autour du clan de manière à mettre chacun à l’abri. » Il en veut toujours plus, accuse un sportif. Il lui est arrivé, alors que nous étions en stage, de louer une chambre de sa guest house à un athlète, à un prix supérieur à celui affiché sur place. »
Ces dernières années, Jacques Borlée a en tous cas cherché à obtenir des postes de direction et des largesses financières. Un an après la création du Brussels Athletics (BA), en 2008, alors qu’il en était le directeur sportif bénévole, il a demandé au conseil d’administration un accès à un nouveau compte en banque sur lequel il pourrait puiser sans justification. » Les administrateurs ont refusé, raconte Jean Halewyck, directeur général du BA. Alors, il est parti. »
Le scénario s’est répété lorsque la famille a quitté le RCB, à la demande des frères de Jacques, pour rejoindre le White Star. Celui-ci a souhaité prendre la présidence, en vain. » Il voulait tout pouvoir pendant un an, raconte un responsable et proposait un projet irréalisable dans une structure de bénévoles. Il suggérait d’augmenter les cotisations des membres de 200 à 400 euros par an, dont une partie lui serait revenue. C’est un manipulateur : il est charmant au premier contact mais s’enrichit sur votre dos s’il le peut. » Les Borlée sont donc repartis vers le RCB. » Jacques voulait aussi la présidence et on la lui a refusée, explique Jean Van Daele, le président du Racing Club. Ici, on tient à l’esprit familial et on ne veut pas que l’élite fasse de l’ombre au reste. » Une autre source précise : » Ce n’est pas qu’on se méfie, mais on sait à qui on a affaire. Si on lui a permis de revenir, ce n’est pas pour lui, mais pour les enfants. » En fait si, de toute évidence, on se méfie.
L’homme le sait. » Le jour où tu n’auras plus de succès, Jacques… « , l’avait un jour averti un ami. Le coach ne lui avait pas laissé finir sa phrase. » Je suis mort. »
Outre sur une rencontre avec Jacques Borlée, ce portrait se fonde sur 44 interviews réalisées auprès de ses proches, d’athlètes, de membres du COIB, de représentants des administrations flamande et francophone du sport, d’entraîneurs, d’amis d’enfance, de professeurs d’université, de responsables politiques. Une partie n’a accepté de s’exprimer qu’anonymement.
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