Enodia/Publifin : Luc Gillard, nouveau prince-évêque
Comme député provincial-président de la Province de Liège, Luc Gillard, a vu venir les ennuis avec le management Nethys. Mais comme administrateur d’Enodia, il n’avait pas toutes les cartes en main. Sa défense.
Ne lui dites pas qu’il est le successeur d’André Gilles (PS), tout puissant patron de la Province de Liège pendant douze ans et président immémorial de l’ALE/Tecteo/Nethys/Publifin/ Enodia (si l’on excepte le bref intermède Paul-Emile Mottard): il a moins de pouvoir. Il y a néanmoins un peu de fausse modestie dans le chef de Luc Gillard, 53 ans, réputé proche de Jean-Claude Marcourt, désigné à la tête de la Province par le PS liégeois.
Les présidents des coupoles provinciales du PS et du MR, Jean-Claude Marcourt et Daniel Bacquelaine, font porter à Enodia la responsabilité du fiasco de la vente des filiales de Nethys. Etes-vous un fusible ?
On est certainement dans une position compliquée, entre le marteau et l’enclume. Les actifs de la Province dans Enodia, ce n’est pas rien (54 % des parts), mais il y a eu la volonté de placer des experts professionnels dans le conseil d’administration de la filiale Nethys et non plus des représentants politiques. On croit souvent qu’Enodia, la société faîtière, a un pouvoir total sur ses filiales et filiales de filiales: c’est faux. Celles-ci sont des sociétés anonymes régies par le droit des sociétés. En outre, le nouveau décret wallon nous prive de la majorité au conseil d’administration (cinq administrateurs sur douze au lieu de sept) et de la présidence d’Enodia, dévolue à un représentant des communes (NDLR: Muriel Targnion, démissionnaire, bourgmestre de Verviers). Sur un total d’un milliard d’euros distribués en vingt ans, la Province n’a gardé que 200 millions d’euros, en laissant 340 millions aux communes. Depuis mon entrée en fonction, le 14 décembre 2018, c’est en tant qu’administrateur d’Enodia que je rends compte au sein du collège ou du conseil provincial.
Ne vous êtes-vous pas aperçu un peu tard des pratiques du management de Nethys qui ont justifié la vague de perquisitions du 18 octobre dernier?
Je me félicite que la justice fasse son travail. Revenons un peu en arrière. Le 5 septembre dernier, en collège provincial, j’avais attiré l’attention sur le respect des intérêts liégeois (emplois, centre de décision, sous-traitants) et notamment réclamé la disparition de Finanpart, la société anonyme coincée entre Enodia et Nethys. Le management de Nethys nous expliquait qu’il fallait conserver cette société pour protéger les administrateurs de Nethys contre le reproche de prise d’intérêt par rapport à la compagnie d’assurances Intégrale. Au début du mois de juillet, Enodia avait interrogé Adrien Masset, éminent spécialiste du droit pénal, pour savoir ce qu’il en était réellement. Nous attendions impatiemment sa réponse avant le conseil d’administration prévu le 11 septembre. Ensuite, il y a eu des fuites dans la presse sur la vente de Voo, Elicio et Win: elles ne pouvaient venir que du CA de Nethys. Nous n’étions pas au courant et, de surcroît, nous n’avions pas encore reçu la note sur Finanpart ! C’est ce jour-là, le 11 septembre, que nous avons pris la décision de supprimer Finanpart, de vérifier la légalité et la valeur des transactions en faisant appel à l’avocat Didier Matray et au cabinet d’audit BDO, tout en rappelant que ces ventes étaient soumises à l’avis conforme d’Enodia. Je considérais, en effet, que le décret gouvernance était d’ordre public depuis le 28 avril 2018. Rien ne laissait penser que Nethys était passé outre. Matray et BDO nous ont assuré qu’il n’y avait pas eu de prise d’intérêt, ni de sous-cotation des sociétés.
Comment avez-vous pu vous laisser mener en bateau jusqu’au 11 septembre?
Il y a eu un pilotage de la Région… La ministre des Pouvoirs locaux du précédent gouvernement (NDLR: Valérie De Bue, MR) s’impatientait. Elle menaçait d’envoyer un commissaire spécial si nous ne définissions pas le nouveau périmètre du groupe. Des réunions ont eu lieu tous les mois à son cabinet avec Stéphane Moreau et Pierre Meyers pour Nethys, et Muriel Targnion, présidente, Jean-Claude Jadot, vice-président, ou Fabian Culot, administrateur, pour Enodia. Je ne participais pas à ces réunions. Avait-on tous la même vision concernant les entreprises du champ concurrentiel ? Je ne le pense pas. Enodia avait donné une mission à Nethys en ce qui concerne Voo, mais cela a été beaucoup plus loin avec Win et Elicio.
Le 14 décembre 2018, Enodia avait donné mandat au CA de Nethys de réorganiser son périmètre en vue de « ne plus détenir de participations majoritaires dans certains secteurs concurrentiels ». N’est-ce pas étrange pour des thuriféraires de l’initiative industrielle publique ?
Quand une entreprise atteint une certaine taille, il peut y avoir des actionnaires dits de référence, des mécanismes de blocage et des pactes d’actionnaires de façon à défendre ses intérêts.
Le 14 septembre dernier, Jacques Bughin (McKinsey) présente les ventes de Voo, Elicio et Win au CA d’Enodia…
La séance a duré plus de huit heures ! Il n’a montré qu’un quart de ses slides, principalement consacrés à Voo, avec des conference call notamment avec Bernard Serin (John Cockerill, ex-CMI) à propos d’Elicio. On tentait de nous convaincre que tout avait été fait dans les règles et les formes. Il n’a pas été question d’Intégrale (NDLR: le déplacement de son siège au Luxembourg). On nous a dit que les contrats de vente et le pacte d’actionnaires relatif à Voo existaient, mais nous ne les avons pas vus. On n’était pas obligé de les croire. Nous avons donc refusé d’apposer le nom d’Enodia sur le communiqué que Nethys voulait nous faire endosser et décidé de ne prendre aucune décision. Le 26 septembre, suite à un marché public, la Province a sollicité la consultance juridique et financière du cabinet Loyens& Loeff, dont le Pr Hakim Boularbah (ULB), pour défendre les intérêts provinciaux.
Comment voyez-vous l’avenir des filiales de Nethys ?
Elicio peut rester dans le giron public, adossé à John Cockerill et/ou à un fonds d’investissements publics. Sur le plan industriel, cela a du sens. Concernant Win, plusieurs offres potentielles ont été exprimées. Mon souhait, comme pour chacune des filiales, est le maintien de l’emploi et du centre décisionnel en province de Liège. Les six candidats acquéreurs de Voo montrent que le câble garde toute sa valeur. Faut-il tout privatiser ou tout garder ? Historiquement, le PS liégeois a toujours défendu l’initiative industrielle publique.
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