Bernard Devos
Enfants belges dans les camps syriens : sortir de l’hypocrisie pour sauver des vies
Un tribunal de Bruxelles a, tout récemment, condamné l’Etat belge à apporter une aide consulaire à dix enfants retenus dans les camps du Nord-Est de la Syrie et à leur fournir des documents d’identité et de voyage.
Cette décision de justice intervient plus de deux ans après le début du véritable calvaire que subissent ces enfants et des dizaines de milliers d’autres, de toutes nationalités, victimes innocentes d’un conflit qui les dépasse. Tous attendent impatiemment qu’on vienne les sauver, alors qu’après un été torride, les pluies torrentielles annoncent désormais l’hiver dont on sait qu’il est meurtrier dans la région. Il a déjà coûté la vie à cinq des enfants belges, et à combien d’autres ?
Ce récent jugement amène quelques réflexions.
Si la décision de justice va dans le sens souhaité par celles et ceux qui réclament, sans relâche, le retour de ces enfants, on ne peut que regretter que la justice ait eu à connaître de cette très triste histoire. La sécurité et la santé de ses citoyen-ne-s, où qu’ils vivent de par le monde et, à fortiori lorsqu’ils sont mineurs et doublement protégés par la Convention des droits de l’enfant, constitue assurément une responsabilité régalienne des Etats. Il n’est donc pas normal qu’il faille attendre que la justice s’en mêle pour que « quelques chose se passe » et qu’une lueur d’espoir surgisse enfin.
La décision de remettre aux enfants des pièces d’identité et de voyage n’est, par ailleurs, ni suffisante, ni satisfaisante. D’abord parce qu’elle implique qu’une fois dotés de ces documents, les enfants devront, par leurs propres moyens ou avec des aides officieuses, parvenir à rejoindre une représentation belge officielle. La décision de justice s’aligne en la matière sur la doctrine du gouvernement. Il est faux de prétendre que ce dernier se serait mis d’accord, il y a deux ans déjà, pour rapatrier les enfants de moins de 10 ans. L’accord prévoit uniquement que les enfants de moins de 10 ans pourront être rapatriés, sans autre forme de procès, dès lors qu’ils seraient parvenus à se rendre dans une ambassade ou une représentation consulaire d’un pays voisin. Il ne faut pas être un grand spécialiste des questions de géopolitique pour comprendre que l’environnement quasi-désertique autour des camps ainsi que l’instabilité relative de la région, ne permettront jamais à des enfants en bas âge de rejoindre ces points obligés, sans courir de nouveaux risques inconsidérés.
A cette critique s’ajoute le fait que seuls les enfants sont concernés par le jugement et les astreintes. Si elles ne peuvent être traitées de la même manière que leur descendance, les mères représentent pourtant, pour ces enfants, le seul lien d’attachement permanent depuis leur naissance. Dans des conditions dangereuses et pénibles, elles incarnent la seule sécurité affective et émotionnelle de ces enfants dont il n’est pas inutile de rappeler qu’ils ont très majoritairement moins de cinq ans. Tous les spécialistes de la petite enfance s’accordent pour reconnaître que priver ces enfants de leurs mères constituerait, sans aucun doute possible, une nouvelle violence insupportable. Par ailleurs, on comprend mal la prudence du tribunal alors que ces éléments humains, en lien direct avec nos engagements internationaux, ont été récemment renforcés par des considérations sécuritaires. Depuis septembre en effet, tant le patron de l’OCAM, chargé de l’analyse de la menace, que le Procureur fédéral, pressent le gouvernement fédéral de rapatrier, sans délai, et avec tous les moyens nécessaires, l’ensemble de nos citoyen-ne-s belges détenus en Syrie.
On peine à comprendre pourquoi la question du sort des mères, intimement lié à celui de leurs enfants, continue à faire obstacle, dès lors que les arguments humains et sécuritaires se rejoignent pour privilégier leur retour encadré et leur judiciarisation dès leur arrivée sur le territoire national. La notion de responsabilité politique, souvent avancée par des membres du gouvernement et du parlement, devrait être revue à la lueur, notamment, des dernières recommandations de Paul Van Tigchelt (OCAM). Lorsque ce dernier, au lendemain des attentats qui ont endeuillé notre pays, a recommandé de fermer les accès au métro ainsi que les écoles, le gouvernement a répondu sans attendre et concrétisé les mesures préconisées, avec l’assentiment du parlement. On comprend mal dès lors pourquoi des mandataires politiques de premier plan continuent à considérer que leur responsabilité consiste à ne tenir aucun compte de l’avis de ceux qui sont supposés les éclairer en matière de justice et de sécurité dans le cas qui nous occupe ici.
Enfin, et il va de soi que le tribunal de Bruxelles n’a pas à tenir compte de ce type de considération, les Kurdes qui gèrent les camps et assurent la surveillance des personnes qui y sont retenues n’ont jamais eu l’intention de libérer les enfants sans les mères. Les Kurdes n’ont jamais eu vocation à gérer ces énormes camps dans lesquels s’entassent des milliers d’étrangers qui ont fréquenté, peu ou prou, l’entreprise malfaisante de Daech. Leur objectif affirmé est clairement que les différents pays concernés reprennent leurs ressortissants. Devant l’inertie de la majorité des gouvernements, il va sans dire qu’ils ne prendront pas le risque de libérer les enfants, étant entendu que les mères resteraient à leur charge pour longtemps encore. Avec les problèmes de santé mentale éventuels liés au désespoir de la séparation.
Une nouvelle fois, je prie avec insistance toutes les autorités concernées de mettre en oeuvre une procédure de rapatriement qui concerne tant les enfants que leurs mères, ces dernières ayant des comptes à rendre à la justice dès leur arrivée sur le territoire. Selon l’OCAM, 69 enfants belges sont actuellement détenus dans les camps dans le nord-est de la Syrie. Les conditions de vie extrêmement pénibles que j’ai pu constater de visu lors de ma visite début juin, n’ont pas cessé de se détériorer depuis. Chacun des enfants est en danger de mort imminent. Trop de temps a déjà été perdu.
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