Energie, pouvoir d’achat, inflation: pourquoi le bilan d’Alexander De Croo n’est pas si nul
Face à une opposition majoritaire en Flandre, Alexander De Croo peine à faire valoir son bilan. Sur le pouvoir d’achat, sur les prix de l’énergie, ou sur l’inflation, pourtant, les chiffres belges ne sont pas si mauvais. Mais ils ne servent pas spécialement Alexander De Coo…
Alors que la Vivaldi est dans sa dernière année de législature, quel est le bilan d’Alexander De Croo ? Il n’est pas le mieux armé pour gagner la guerre des chiffres, alors il en souffre, le Premier ministre.
Les Premiers ministres qui l’ont précédé avaient perdu la leur avant lui, même s’ils l’avaient livrée avec pugnacité. Elio Di Rupo, son chiffre, c’était celui du taux de croissance, «meilleur que les autres pays de la zone euro», bombardait-il sans arrêt, jusqu’à ce que ses partenaires flamands et du MR choisissent d’aller à la guerre sans lui. Charles Michel, son successeur, prenait le taux de chômage comme munition, «la Belgique a atteint le plein emploi», proclama-t-il comme déclaration de campagne, avant que la N-VA n’engage une drôle de guerre sur un autre front, avec le Pacte des migrations de l’ONU comme casus belli.
Alexander De Croo, lui, a tardé à se trouver des chiffres à claironner, et ce sont, depuis quelques mois déjà, ses adversaires, surtout flamands et surtout de droite, qui brandissent des données infamantes comme une capitulation. L’opposition, en Flandre, est puissante et semble méchante, et son parti à lui, Alexander De Croo, est petit et peine à faire croire qu’il est gentil. La N-VA, tout spécialement, insiste sur ce qui anime cet électorat aisé et libéral, naguère encore la populeuse infanterie de l’Open VLD: les dépenses publiques sont trop élevées (à 55,2% du PIB au printemps 2023) ; seule la France dépasse la Belgique en Europe ; les impôts sont plus faibles dans tous les pays d’Europe, hormis au Danemark et la France ; le taux d’emploi est plus bas que chez les voisins et le déficit et la dette sont plus importants.
Le Premier ministre a tardé à se trouver des chiffres à claironner.
Voilà, donc, le bilan d’Alexander De Croo pointé du doigt. L’opposition a ainsi tiré la première, le Premier ministre en a été blessé. «C’est le pire bilan de toute l’Union européenne», ne cesse de répéter, en particulier, le député nationaliste Sander Loones.
La défense du 16 Rue de la Loi, toutefois, s’organise enfin. Les chiffres d’Alexander De Croo font pour le moment moins de bruit. Mais ses barricades sont petit à petit installées. On n’exclut pas que, dans la fièvre de la fusillade, quelques balles ne se tirent dans d’augustes pieds.
Bilan De Croo: un pouvoir d’achat des travailleurs meilleur qu’ailleurs
Le tir. Récemment, deux grands journaux flamands, De Standaard et De Morgen, ravissaient le retranché du 16 en proclamant qu’aucun gouvernement «n’avait mieux protégé le pouvoir d’achat que le belge», pour De Morgen, et que «nulle part ailleurs qu’en Belgique le revenu des travailleurs n’avait autant progressé», pour De Standaard. Les données qui l’attestent, notamment la progression des salaires réels et le comptage des aides dispensées pour payer les factures d’énergie, sont moins péremptoires, mais la Belgique est incontestablement un des meilleurs élèves d’Europe. Selon Eurostat, la Belgique est le pays d’Europe occidentale où les salaires réels dans le secteur privé ont le plus augmenté en 2021 et 2022: 6% contre 4,2% dans les autres Etats membres de l’Union, et 4% dans la zone euro. L’indexation automatique, le tarif social élargi et les différents chèques énergie témoignent également d’un effort d’une ampleur presque inégalée en Europe occidentale.
La balle dans le pied. Cette protection du pouvoir d’achat est surtout blindée par un mécanisme, l’indexation automatique des salaires, que l’inflation très forte des mois précédents a enclenché à plusieurs reprises, en fonction du secteur. C’est d’ailleurs dans les deux dernières nations d’Europe où il existe encore, la Belgique et le Luxembourg, que le pouvoir d’achat et les salaires réels ont été le moins minés par la crise. L’index sert ici le récit d’Alexander De Croo en Premier ministre de guerre. Mais il dessert l’image d’Alexander De Croo le réformateur libéral. C’est en effet de son camp que, ces dernières années, étaient venues les critiques de l’indexation automatique, présentée comme un archaïsme nocif à la compétitivité de nos entreprises. Et c’est un gouvernement à la politique très explicitement libérale, celui de Charles Michel, qui a pratiqué un saut d’index dont se souviennent probablement allocataires et salariés de tous secteurs.
En outre, observent, notamment, les dernières perspectives économiques de printemps de la Commission européenne, l’indexation automatique des allocations et des salaires des fonctionnaires tire les dépenses, donc les déficits, à la hausse. Exactement comme les relativement généreuses prestations protégeant la population de la hausse des prix de l’énergie, dont les demandes de limitations venaient également de son camp politique. Alexander De Croo en est ainsi réduit à brandir un bouclier protecteur auquel son électorat et ses propres positionnements politiques étaient plutôt hostiles. Cette ligne de défense d’un gouvernement qui creuse les déficits sert là davantage les partis de gauche de la coalition, et il n’est à cet égard pas étonnant que Vooruit soit le seul parti de la Vivaldi à avoir progressé dans les sondages.
Il en est réduit à brandir un bouclier protecteur auquel son électorat et lui étaient plutôt hostiles.
Bilan De Croo: une inflation plus basse qu’ailleurs
Le tir. C’est Eurostat qui le dit, alors la Vivaldi le chante. L’inflation sur la base annuelle a été, en avril 2023, de 3,3% en Belgique. Il n’y a qu’au Luxembourg qu’elle a été plus faible, à 2,7%, tandis que la moyenne de la zone euro la portait à 7%, (8,1% pour l’ensemble de l’Union européenne). Les deux seuls pays à encore appliquer une indexation automatique (quoique le Luxembourg l’ait suspendue à la fin 2022) sont ainsi, ce printemps, ceux qui contrôlent le mieux la hausse des prix. La poussée inflationniste de ces derniers mois vient davantage de la guerre en Ukraine (pour l’énergie et certains produits alimentaires), ainsi que certaines augmentations de prix, dites opportunistes, de certains acteurs économiques, que des salaires.
La balle dans le pied. Alexander De Croo pourrait trouver là un argument de plus pour défendre l’index. Qu’il ne l’emploie pas trop, d’abord parce que ça ressemble à une conquête socialiste, et ensuite parce que le gros des salariés du secteur privé a été indexé en janvier, et qu’il est toujours possible que cette augmentation massive des salaires produise une hausse des prix dans les prochains mois.
Bilan De Croo: des prix du gaz et de l’électricité plus en baisse qu’ailleurs
Le tir. Par rapport au pic d’août 2022, le prix du gaz sur les marchés de gros a été divisé par dix, et il a baissé en Belgique plus rapidement qu’à l’étranger. C’est, entonne la Vivaldi, grâce à l’action déterminée du gouvernement belge pour convaincre l’Union européenne de poser un plafond sur les prix et pour réformer le marché de l’électricité. En outre, les régulateurs de l’énergie (Creg, Cwape, Brugel et Vreg) ont récemment établi, dans une large étude comparative, que la facture de gaz des ménages belges était moins élevée que celle de leurs voisins anglais, français, néerlandais et allemands, et que seuls les ménages français payaient, en moyenne, une électricité moins chère.
Les plus fragiles sont, à cet égard, mieux protégés chez nous: la part des factures d’énergie dans le revenu des ménages les plus vulnérables est de 7% tandis qu’elle est de 16% aux Pays-Bas, deuxième pays le plus protecteur de l’échantillon. La baisse de la TVA à 6%, les vagues de chèques énergie et autres baisses d’accises ont contribué, bien entendu, à rendre la comparaison internationale heureuse. Au contraire du nucléaire, dont on a beaucoup parlé ces derniers mois: la Belgique n’a pas construit de centrale récemment, et a même déconnecté deux réacteurs du réseau électrique entre-temps, pendant que les prix baissaient davantage et que les factures étaient mieux contenues.
L’inflation sur la base annuelle était en avril de 3,3% en Belgique, contre 7,8% pour la zone euro.
La balle dans le pied. Quand le gouvernement De Croo y est pour quelque chose, il revient sur les décisions qui y ont contribué, ce qui pourrait lui être reproché: pour des raisons budgétaires, et principalement à l’initiative de l’Open VLD et du MR, le maintien de la TVA à 6% sera partiellement compensé par des accises à la hausse, et le tarif social élargi a été rétréci. Quand une décision a limité les conséquences de la hausse vertigineuse des prix pour les plus précaires, comme l’indexation des allocations sociales, elle n’en était pas vraiment une, puisqu’elle était automatique, et depuis le camp libéral, on se montre critique sur cette automaticité, qui limite l’écart entre revenus du travail et revenus de remplacement. Et quand le gouvernement De Croo n’y est pour rien mais tente de le faire croire, comme sur l’imposition d’un plafond européen si élevé qu’il n’en est pas un pour le prix du gaz, ou une réforme du marché européen de l’électricité qui n’en est toujours pas une, il s’expose aux conséquences de l’exposition de son impuissance. Alexander De Croo disait que le marché de l’énergie était devenu fou, il a combattu pour le réformer, pour planter son drapeau sur une colline, mais il n’y est toujours pas parvenu et la colline était un château de cartes.
On dit souvent qu’on n’est pas élu sur un bilan et qu’on peut faire dire ce qu’on veut aux chiffres, mais encore faut-il se faire entendre. Peu soutenu par des troupes moins nombreuses, sans doute moins équipées, et probablement moins entraînées, que ses adversaires, Alexander De Croo ne pourra sans doute pas se servir de son bilan. Il n’aura d’ici au 9 juin 2024 peut-être pas non plus gagné la guerre des chiffres.
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