En retrait, le PTB ? Comment l’extrême gauche opte pour une stratégie électorale défensive (analyse)
Légèrement en retrait dans les médias traditionnels ces dernières semaines, le PTB mise davantage sur les réseaux sociaux et la communication « directe » avec son électorat.
Le PTB a-t-il déserté les médias traditionnels ? Pas totalement. Mais à moins de six mois d’une échéance électorale capitale, les ténors du parti d’extrême-gauche s’y font plus discrets que leurs adversaires, pour certains omniprésents sur les plateaux télés.
Le contexte, il faut le dire, n’est pas propice à une surenchère médiatique dans le chef du PTB. « Ces dernières semaines sont marquées, dans le monde politique francophone, par une affirmation d’une opposition gauche-droite entre le PS et le MR, relève Caroline Close, professeure et chercheuse en science politique à l’ULB. Cela s’est encore vu la semaine dernière avec les visuels lancés par le parti libéral et leur détournement par les socialistes. »
Surtout, le débat est fortement rythmé par des questions de géopolitique. Sur le conflit israélo-palestinien, le PTB est isolé. Il a d’ailleurs encore brillé par son absence à la marche contre l’antisémitisme, dimanche. « Sur ces séquences, le PTB est clairement moins à l’aise, analyse Pascal Delwit, politologue à l’ULB. Ces derniers temps, le parti a adopté une attitude communicationnelle défensive. Il subit davantage le débat qu’il n’en est à l’origine. Même si les figures de proue du parti, comme le président Raoul Hedebouw ou la cheffe de groupe Sofie Merckx, continuent à donner régulièrement des interviews, ils peinent à mettre leurs thèmes de prédilection – pouvoir d’achat, énergie, salaires… – à l’agenda médiatique. Ils sont moins assertifs sur ces questions. »
« Au plus près du peuple »
En coulisses, la machine communicationnelle du parti d’extrême-gauche n’en est pas moins active. En août, le PTB a lancé sa « Grande Enquête » auprès des citoyens, qui vise à sonder la population sur les thématiques qui lui tiennent à cœur. A l’instar du Vlaams Belang, qui mène une campagne similaire, le parti mise ainsi sur une communication « au plus près du peuple », observe Lucas Kins, chercheur au Cevipol, le Centre d’Etude de la Vie Politique de l’ULB. Alors que ces deux enquêtes doivent aboutir fin décembre, l’expert s’attend à une augmentation prochaine de l’activité communicationnelle des deux partis contestataires, qui tenteront de capitaliser sur les résultats de ces sondages, en ayant chacun « recours au narratif qui leur est propre ». Au-delà de la création d’une certaine proximité avec les votants, ce genre de campagne permet aussi de « collecter beaucoup d’adresses emails et de numéros de téléphone, toujours utiles pour la communication électorale », insiste en outre Pascal Delwit.
Le PTB mise d’ailleurs énormément sur cette communication directe avec son électorat, notamment par le biais d’une newsletter hebdomadaire adressée à ses membres. Surtout, la formation d’extrême-gauche est hyperactive sur les réseaux sociaux et y a développé une communication très « professionnelle », centrée notamment autour des comptes – bilingues – du parti et de celui du président Raoul Hedebouw, note Caroline Close. Une manière de court-circuiter les médias traditionnels et un potentiel filtrage journalistique, mais aussi de créer un semblant de relation binaire avec son électorat.
PTB: Facebook et Youtube en tête
Dans le monde politique francophone, le PTB est le parti qui comptabilise le plus grand nombre d’abonnés sur Facebook. Avec ses 193.000 followers, contre seulement 65.000 pour le PS ou 42.000 pour le MR, il dispose d’une communauté solide, peut-être même surreprésentée par rapport à son électorat réel. « C’est très surprenant, note Caroline Close, qui n’exclut pas un soutien de la gauche radicale à l’étranger, voire de potentiels faux comptes. Mais cela reste une hypothèse, plutôt difficile à démontrer. » Le PTB jouit également d’une large popularité sur YouTube, avec plus de 60.000 abonnés, alors qu’Ecolo ne dépasse pas la barre du millier de followers. « Ces deux plateformes – Facebook et YouTube – ont été fortement investies par les partis ‘protestataires’ lors de la séquence électorale de 2019 », rappelle Lucas Kins.
Entre avril 2019 et novembre 2023, le PTB est le parti francophone qui a dépensé le plus en publicités sur Facebook
Le parti de Raoul Hedebouw maîtrise aussi parfaitement les codes du « sponsoring » sur les réseaux sociaux, où il y débourse presque sans compter. Entre avril 2019 et novembre 2023, le PTB est le parti francophone qui a dépensé le plus en publicités sur Facebook. Avec plus de 600.000€ investis, il dépasse de loin les Engagés (194.000€) et le MR (106.000€). « Si on ajoute les dépenses faites par le compte du PVDA, le PTB-PVDA – seul parti unitaire de Belgique – figure comme le troisième parti le plus dépensier (1,8 millions €) sur Facebook, derrière le Vlaams Belang (3,8 millions) et la N-VA (3,5 millions) », relève Lucas Kins.
Dans le chef du PTB, cet investissement colossal dans les réseaux sociaux est généralement justifié par sa prétendue sous-représentation dans les médias traditionnels. Aux yeux de Pascal Delwit, le parti est pourtant loin d’être boudé par le monde médiatique belge. « En termes de proportionnalité par rapport à son poids électoral, le PTB est très présent, tant dans la presse que dans le secteur audiovisuel, insiste le politologue. La légitimation de l’ampleur de leur investissement sur les réseaux sociaux au nom d’une moindre exposition dans les médias traditionnels ne semble pas tenir la route factuellement. D’autant que ces sommes incroyables sont octroyées à des multinationales américaines, une pratique qui met un peu le parti en porte-à-faux par rapport à son discours anticapitaliste », conclut Pascal Delwit.
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