Carte blanche

En kayak… mais muet·te·s ?

Si le confinement empêche de pouvoir manifester, les bourgmestres peuvent agir pour renforcer et garantir la liberté de s’exprimer.

Alors que le gouvernement fédéral permet désormais les sorties en kayak à celles et ceux qui en ont les moyens, la police de la zone de Bruxelles-Capitale-Ixelles a décidé, ce 7 mai, d’arrêter un kayakiste flânant sur les étangs du bois de la Cambre, qui avait décidé d’allier sport autorisé en plein air et message public de solidarité envers les sans-papiers en décorant son véhicule d’une banderole.

Pourquoi l’homme a-t-il été arrêté ?

« Avec cette banderole, il s’agissait d’une action revendicative, pour laquelle une demande est nécessaire auprès des forces de l’ordre, ce qui n’était pas le cas », a indiqué Ia porte-parole de la police de la zone de Bruxelles-Ixelles.

Un autre kayakiste a été vu plus tôt sur les Etangs d’Ixelles, sans banderole, et n’a pas été arrêté. Des restaurateur·rice·s ont organisé une action « tenues de cuisine » le même jour sur la Grand-Place de Bruxelles, et personne n’a été arrêté·e. Des banderoles sont affichées depuis quelques semaines à nos fenêtres en soutien aux soignant·e·s, et aucun·e policier·ère n’est venu·e les enlever. Il y a quelques semaines, à Anderlecht, des banderoles « Justice pour Adil » ont été affichées aux fenêtres… et la police est venue les retirer.

Cinq principes de la liberté d’expression à considérer comme applicables par les bourgmestres en confinement Il est important de rappeler quelques éléments essentiels, d’autant plus dans cette période COVID où les droits fondamentaux, et particulièrement la liberté de se rassembler, de s’exprimer collectivement, de manifester ont été particulièrement restreints et rendus compliqués par les règles du confinement.

  1. Le droit de manifester, ou de « revendiquer » est un principe fondamental. Sauf si un danger supérieur (peur pour la sécurité publique ou celle des participant·e·s, par exemple) peut être constaté, les autorités doivent tolérer les manifestations publiques, quand bien même elles n’ont pas été autorisées.
  2. La liberté d’expression est un principe fondamental, qui peut connaître une restriction notamment : c’est quand elle viole la loi « Moureaux » qui pénalise les paroles racistes et xénophobes. En dehors de ça, même si le message va à l’encontre des autorités publiques ou de la force publique, et évidemment même si le message soutient un public particulièrement à la marge, elle doit être garantie.
  3. Une action policière qui limiterait particulièrement la liberté d’expression des soutiens aux personnes racisées mais en préservant celle des autres irait précisément à l’inverse exact de l’objectif de la loi « Moureaux ». Les déclarations de la police conjuguées aux constats multiples amènent à poser une question, celle du risque d’un profilage politique exercé par certains membres du corps de la police.
  4. A notre sens, « en quoi dans la période actuelle où le droit de s’exprimer collectivement est tant restreint, des aménagements et facilitations peuvent être réalisés pour préserver des espaces d’expression démocratique des populations ? » devrait être une préoccupation qui mobilise l’action publique.
  5. Le respect de l’ordre public local est sous l’autorité des communes représentées par le·a bourgmestre. C’est le·a bourgmestre qui a l’autorité de la police de sa zone et le·a bourgmestre peut décider de priorités dans l’action de la police. Quand bien même il ne serait a priori pas autorisé d’afficher une banderole à sa fenêtre (ce qui serait tout de même étrange), quand bien même le règlement communal empêcherait de faire du kayak sur un étang (ce que nous ignorons), dans une période de déconfinement, estce la priorité de l’action policière de restreindre les possibilités des citoyen·ne·s de « souffler », que ça soit par l’effort physique ou l’expression publique ? Le droit d’expression pour tous, en tous temps.

La période que nous vivons devrait précisément pousser au contraire ! Il est temps que les communes et bourgmestres édictent des instructions claires à la police, pour éviter à l’avenir ces problèmes et les suspicions légitimes qu’ils génèrent. Les communes peuvent décider d’encourager le droit de s’exprimer, et toute personne qui déciderait d’afficher une banderole à sa fenêtre, de se balader avec un slogan sur son t-shirt ou d’afficher un message dans l’espace public doit pouvoir être soutenue dans l’exercice de sa liberté de s’exprimer – tant que la loi Moureaux est respectée -, d’autant dans une période où manifester ensemble est interdit. Organiser cette possibilité pour tout le monde, c’est aussi garantir la protection de l’ensemble des populations marginalisées. Et partant, de tou·te·s.

Signataires :

1. Merlin Gevers, juriste, travailleur associatif

2. Eve Bonfanti, actrice, autrice, metteuse en scène

3. Raphaële Buxant, enseignante et citoyenne du monde

4. Valérie Cardinal, membre du groupe montois de soutien aux sans-papiers

5. Florence Caulier, directrice d’une association socio-culturelle et citoyenne engagée

pour la dignité humaine

6. Lucie Cauwe, journaliste

7. Mustapha Chairi, président du Collectif contre l’islamophobie en Belgique asbl

8. Code Rouge, artiste bruxellois engagé

9. Jean-Baptiste Dayez, psychologue social et militant

10. Thierry De Coster, artiste et citoyen engagé

11. Sarah Degée, enseignante et militante féministe et antiraciste

12. Danny Degrave, artiste

13. Christelle Delbrouck, citoyenne, comédienne et militante

14. Amélie de Limbourg, enseignante et citoyenne engagée

15. Michel Delvaux, citoyen travailleur et bénévole associatif

16. Stéphanie Demblon, militante associative

17. Martine Demillequand, enseignante à l’UCLouvain et citoyenne engagée

18. Anne-Catherine Denies, citoyenne

19. Laure Derenne, citoyenne attentive aux libertés et droits humains

20. Cloé Devalckeneer, coprésidente d’Ecolo J

21. Sophie Devillé, travailleuse associative

22. Maureen Dodémont, citoyenne engagée

23. Julien Dohet, syndicaliste et historien des luttes sociales

24. William Donni, travailleur social et militant associatif et politique

25. Nadia Echadi, enseignante et militante dans la lutte pour les droits humains

26. Alexandre Garcia, citoyen et étudiant engagé

27. Sarah El Ghorfi, conseillère CPAS

28. Mohamed El Hendouz, militant des droits humains

29. Mimoun El Yaa, militant des droits humains

30. Elisabeth Franken, sociologue en éducation permanente, féministe

31. Georges Gabay, pensionné

32. Anne-Sophie Gérard, travailleuse au CPCP

33. Caroline Guillaume, enseignante

34. Yahia Hakoum, doctorant à SciencesPo Paris

35. Hafida Hammouti, enseignante

36. Michel Huisman, artiste

37. Yves Hundstad, acteur, auteur, metteur en scène

38. Eva Maria Jiménez Lamas, syndicaliste antiraciste féministe

39. Aya Khourbotly, travailleuse sociale

40. Isabelle Kuypers, citoyenne hébergeuse solidaire

41. Arthur Lambert, Coprésident Ecolo J

42. Georges Legrain, enseignant

43. Florence Leveque, citoyenne

44. Arnaud Lévêque, syndicaliste FGTB

45. Geneviève Louyest, militante

46. Anne Löwenthal, citoyenne militante

47. Marie Maerevoet, médecin spécialiste, hébergeuse de personnes vulnérables

48. Karim Majoros, militant pour la régularisation des personnes sans-papiers

49. Olivier Malay, chercheur en économie UCL

50. Isabelle Marchal, citoyenne engagée

51. Nicha Mbuli, juriste et soutien aux sans-papiers

52. Maxime Mori, ancien président de la FEF

53. Caroline Mua, citoyenne engagée

54. Colette Muylle, bénévole militante

55. Jean-Luc Nsengiyumva, conseiller auprès du délégué général aux droits de l’enfant,

enseignant-chercheur

56. Eric Picard, administrateur délégué de l’Association pour la mémoire de la Shoah

57. Benoit Peeters, travailleur associatif

58. Olivier Poot, graphiste

59. Françoise Romnée, coordinatrice repas « solidarité avec les réfugiés de la Gare du

Nord »

60. Marie Rygaert, citoyenne

61. Christelle Salvo, hébergeuse de migrants

62. Coralie Sampaoli, citoyenne

63. Julien Scharpé, travailleur à PAC BW et président des MJS BW

64. Sofia Seddouk, citoyenne et militante

65. Alain Sekkai, citoyen engagé

66. Marianne Stasse, citoyenne engagée

67. Farida Tahar, députée et sénatrice

68. Adriana S. Thiago, coordinatrice au sein du Réseau européen des femmes

migrantes, activiste pour les droits humains

69. Caroline Tordoir, enseignante

70. Deniz Uygur, enseignante et citoyenne engagée

71. Donatienne van den Abeele, juriste, travailleuse associative

72. Linde Vandeputte, enseignante

73. Anouk Van Gestel, journaliste

74. Anne Van Miegroet, enseignante et citoyenne engagée

75. Pascale Vielle, citoyenne engagée

76. Juliette Vincent, militante antifasciste

77. Stéphanie Wauthier, assistante sociale

78. Jacques Weerts, citoyen

79. Marie Wiener, hébergeuse de sans-papiers

Selma Benkhalifa, avocate (lawyers in progress)

Marion Ceysens, Citoyenne engagée pour la défense des droits humains

Sophie da Câmara S. C. Gomes, Experte en Négociations de Paix et Résolution de Conflits Armés, retraitée des Nations Unies

Amélie de Limbourg, enseignante et citoyenne engagée

Vincent Engel, écrivain, professeur UCLouvain et IECCHS

Jeanne Gauthy, citoyenne

Jean-Louis Hanff, travailleur associatif

Yves Hundstad, acteur, auteur, metteur en scène

Marie Maerevoet, médecin spécialiste, hébergeuse de personnes vulnérables

Maxime Michiels, travailleur associatif

Caroline Mua, citoyenne engagée

Emmeline Orban, Plateforme francophone du Volontariat

Odile Remacle, enseignante

Coline Renard, citoyenne engagée

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