Carte blanche
En finir avec les pratiques clientélistes…
Comme tout un chacun, je suis interpellé par les remous des » affaires « . Ce climat ramène à la surface des questions essentielles sur l’engagement politique, la nécessité d’être sur le terrain au contact direct des gens et le périlleux écueil du clientélisme.
Où commence le clientélisme ? Quelles sont ses répercussions sur les citoyens, sur la crédibilité du discours politique et, enfin, sur les situations sociales qu’il prétend combattre ? Comment y mettre fin ?
L’opinion semble encore largement ambivalente sur le sujet. Sur les réseaux sociaux comme dans la rue, on s’insurge aussi rapidement du clientélisme qui profite à d’autres, qu’on fait « jouer le réseau » pour se sortir d’un mauvais pas -(du type : « Mobilise quelqu’un qui connaît quelqu’une qui est la voisine de machin… »). Cela relève sans doute aussi de la résignation pour certains « Ça marche comme ça ! » . Les mandataires , en particulier au niveau local, aiment à se dire « proches des gens« , à écouter les doléances, les difficultés particulières de chacun et de chacune. Il est humain de vouloir rendre service quand on le peut (du verbe pouvoir !) pour améliorer une situation. Si on prend un peu de recul, le clientélisme n’est rien d’autre qu’un échange de bons procédés, assurer des privilèges contre une allégeance électorale… Pour autant, quand on a un mandat public, c’est que le peuple nous confie par la voie démocratique un mandat afin de mettre toutes nos forces dans la promotion de l’intérêt collectif. Quand on se prête aux jeux des arrangements, des « facilitations« , d’accès à un emploi, à une promotion ou même à un droit, on installe un système de domination entre un élu et ses « obligés« . Ces pratiques d’un autre âge, où l’égalité des droits n’était pas encore une idée, perdurent dans les partis traditionnels. Elles sont même institutionnalisées par la voie d’ASBL politiques qui tiennent des permanences sociales et drainent des personnes désorientées dans leurs recherches de conditions de vie conformes à la dignité humaine.
Cette complaisance est désastreuse.
D’abord parce qu’elle est trompeuse pour les gens. L’illusion est pourtant entretenue par les légendes urbaines et autres fables rurales. Elle crée un appel d’air des demandes d’aides individuelles, des attentes d’intervention au cas par cas et induit une forme de mise en concurrence entre courtisans. On peut comprendre qu’elle soit, pour les personnes connaissant des difficultés, une stratégie comme une autre de s’en sortir. Le clientélisme creuse pourtant le sillon du discrédit du politique, entre autres par les déçus, les trop intègres, les anti-système de tout poil et les exclus des « grandes familles » politiques.
Clientélisme: quand on se prête au jeu des arrangements, on installe un système de domination entre un élu et ses u0022u003cemu003eobligésu003c/emu003eu0022.
Mais surtout parce que ces pratiques captent l’énergie et les moyens d’intervenir directement sur les logiques d’exclusion. Elles contribuent à occulter la misère, et détournent l’attention des parlementaires qui devraient porter le débat de fond de la montée des inégalités, de l’accès aux droits fondamentaux de tous. Là où les logiques néolibérales de déstructuration du marché du travail, de responsabilisation des pauvres de leur sort individuel et de sécurité sociale en décomposition devraient nous indigner, nous révolter collectivement, on trouve un sous-emploi au père de famille licencié par un groupe financier. Parmi les philanthropes qui me destinent des courriers de recommandation, nombreux sont ceux et celles qui ont voté les reculs successifs de la protection sociale (par exemple les exclusions du chômage).
Enfin, le « placement » des ouailles dans les emplois publics (administrations et services publics) comporte le risque de structures en partie redevables et inféodées à leur bienfaiteur et, par ce fait, partiales face à leur public ou à un responsable politique divergent le jour où le vent électoral tourne.
Comme président de CPAS, je n’ai jamais tenu de permanence sociale pour éviter de donner le sentiment qu’un rendez-vous avec le président permet de faire avancer un dossier. Bien sûr et heureusement, on rencontre des citoyens quand on est mandataire. Je m’impose d’être dans l’empathie et de garder une posture de soutien sans faire de fausses promesses. Mais c’est aussi une histoire d’humilité et d’engagement. L’écoute de ces personnes qui traversent ou sont engluées dans les difficultés, me permet de mieux connaître les engrenages de la pauvreté qui touchent les gens collectivement et de m’engager dans la lutte contre les inégalités par principe mais aussi par correction vis-à-vis de ces récits de vie intolérables.
La prise de conscience de l’ampleur du phénomène clientéliste est difficile pour les élus comme dans l’opinion publique. Les récents évènements ont révelé l’organisation perfectionnée de systèmes basés sur l’entre-soi qui ont déjoué toute transparence. Ces affaires ont mis à jour ces pratiques et éveillé les consciences. C’est le moment de poser sereinement les questions im-pertinentes : Où commence le clientélisme ? Comment s’en prémunir sinon en exigeant toute la transparence, en évitant les conflits d’intérêts (notamment par le décumul ) et en garantissant le renouvellement de la « classe politique » (mandataires et collaborateurs).
Par Stéphane Roberti (Ecolo), président du CPAS de Forest
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