Nicolas De Decker
En Belgique, une certaine idée du con(fédéralisme)
La Belgique a de ces mots, parfois. De ces mots qu’on dit tellement qu’ils ne veulent plus rien dire, mais que même si on ne les disait pas si souvent ils ne voudraient pas dire grand-chose, comme le mot confédéralisme.
A intervalles désespérément réguliers, tout le monde en parle et pourtant ça ne veut rien dire. La N-VA réclame le confédéralisme, au fond ça ne veut rien dire et pourtant tout le monde en a peur. Francis Delpérée disait il y a des années que le confédéralisme, c’est le fédéralisme des cons, et ça ne voulait déjà rien dire. » Francis Delpérée, constitutionnaliste, a dit que le confédéralisme, c’est le fédéralisme des cons. J’approuve « , a dit Jean-Claude Marcourt la semaine passée au Soir et même au carré, ça ne voulait toujours rien dire. Confédéralisme ne veut rien dire car c’est un mot et pas vraiment une chose, un concept de philosophie politique à la réalité aussi ferme que démocratie dans République démocratique allemande ou socialisme dans Parti socialiste. La Confédération helvétique est un bien joli nom, mais la chose qu’il désigne n’est pas confédérale.
Quand on est de gauche et francophone, on a beau ne pas être confédéraliste, on est à tous les coups les bons cons du fédéralisme.
Dans le courant d’air que laisse ce signifiant vide de signifié s’engouffre la rhétorique, cet art qui se joue des mots pour leur faire dire quelque chose qu’ils ne disent pas. Quelque chose d’autre. Surgit alors un sens belge au mot confédéralisme : c’est le fédéralisme de l’autre, celui avec lequel on n’est pas d’accord. Comme quand Charles Michel n’est pas pris dans les gouvernements fédérés et taxe les socialistes de tentation confédérale tandis qu’il dit rendre honneur au fédéralisme en installant avec des indépendantistes une coalition soutenue par un quart des francophones. Ou quand Kris Peeters taxe les syndicats de tentation confédérale lorsqu’ils s’opposent à sa politique. Pour la droite, flamande ou pas, toute personne de gauche, flamande ou pas, est taxable de tentation confédérale.
Que les syndicalistes soient plus nombreux en Flandre qu’en Wallonie et plus démocrates-chrétiens que socialistes importe peu à celui qui parle de mots, pas de choses, et qui peut donc dire ce qu’il veut même quand ça ne veut rien dire. Parce que cette chose de rhéteurs, le confédéralisme, porte en elle un théorème belge, le théorème du con. Il se déroule comme suit : en Belgique est dominé celui qui est con, est con celui qui est confédéral, et est confédéral celui qui n’est pas d’accord avec la droite flamande. Confédéralisme ne veut toujours rien dire, mais garde du sens, un seul, parce qu’il va toujours dans le même : personne n’a pensé à taxer de tentation confédérale cette partie du MR qui voulait voter contre le pacte de Marrakech, ni ces partis qui ont voté une réforme de l’impôt des sociétés contre la volonté de l’Union des classes moyennes wallonnes. Le théorème est même si rigoureusement parfait, d’un point de vue rhétorique, que personne n’ose taxer la droite flamande confédéraliste de tentation confédérale : puisque la droite flamande est d’accord avec elle-même, elle ne peut être taxée de tentation confédérale.
C’est alors que ça veut tout à coup dire quelque chose.
Ça veut dire que quand on est de gauche et francophone, on a beau ne pas être confédéraliste, on est à tous les coups les bons cons du fédéralisme.
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