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« En Belgique, on ne peut pas parler de l’avortement »

Malgré plusieurs propositions pour dépénaliser l’avortement, l’IVG en Belgique est toujours encadrée par une loi qui a près de 30 ans, et par des conditions qui étaient, à l’origine, des concessions accordées aux anti-IVG.

L’avortement en Belgique n’est pas un droit. Il reste inscrit dans le Code pénal en tant que « crime et délit contre l’ordre des familles et contre la moralité publique ». Aucune loi ne le légalise officiellement.

Une dépénalisation récente et partielle

Ce n’est qu’en 1990 que l’avortement est partiellement dépénalisé en Belgique. La loi Lallemand-Michielsens rend les interruptions volontaires de grossesse accessibles si elles respectent une série de conditions cumulatives. Pour autant, elle n’en a pas fait un droit. « Les conditions de la loi sont en réalité des concessions qui ont été faites à l’époque aux antiavortement. C’est une loi de compromis », explique Sylvie Lausberg, présidente du Conseil des Femmes francophones de Belgique (CFFB).

Des conditions d’accès strictes… et obsolètes ?

En tête de ces conditions imposées par la loi : « l’état de détresse » de la femme doit être constaté par un médecin. « La condition de détresse est selon nous tout à fait subjective et obsolète », estime Eloïse Malcourant, responsable de la fédération des centres de planning familial des Femmes prévoyantes socialistes (FPS). « Cette condition d’état de détresse n’est bien évidemment, dans la pratique, pas appliquée par les centres, même s’ils conseillent et informent au mieux les femmes. »

Selon le dernier rapport, les « conditions de détresse » invoquées relèvent principalement (+50%) de raisons personnelles telles que l’âge, le statut social, la composition familiale… Viennent ensuite les raisons relationnelles (près de 25%) et les raisons financières ou matérielles (15%).

Six jours de réflexion obligatoires

Autre « condition – concession » fixée par la loi : un délai obligatoire et incompressible de six jours de réflexion. « S’il y a une situation d’urgence ou si on risque de dépasser ce délai, il peut devenir problématique pour les médecins« , explique Eloïse Malcourant.

Si certaines femmes sont plus hésitantes, d’autres sont en revanche bien déterminées dans leur choix. « Il ne faut pas que ce soit un frein non plus. Parce que certaines femmes n’ont pas besoin d’un délai de 6 jours, qui peut être très stigmatisant et culpabilisant. » Du côté des FPS donc, « on est pour une suppression de l’obligation de délai et qu’il soit, dans les faits, adapté au mieux à la situation de la femme. Et qu’il y ait vraiment un suivi de la patiente par l’équipe ».

Un délai maximum de 12 semaines

Selon le Code pénal, « l’interruption doit intervenir avant la fin de la douzième semaine de la conception ». La loi prévoit cependant une exception : au-delà de douze semaines, l’IVG peut être pratiquée si la grossesse met en danger la femme ou si l’enfant est atteint d’une maladie incurable.

Sylvie Lausberg revient sur cette limite temporelle : « il y a une raison médicale à la limitation de l’IVG ». Dans les années 1970, la méthode Karman arrive en Belgique : une méthode d’aspiration de l’embryon qui ne demande pas une anesthésie générale. « Cette méthode permet de le faire jusqu’à 15 semaines. C’est la raison pour laquelle dans les propositions de loi dans les années 1980, il était toujours indiqué « 15 semaines depuis la conception », nous explique Sylvie Lausberg. Au-delà de 15 semaines, il faut aller à l’hôpital, et en général, l’intervention se fait de manière différente, avec une anesthésie totale. « Donc la diminution à 12 semaines, c’est une concession qui a été faite aux anti-IVG, et qui, finalement, se trouvait en deçà de la pratique des centres qui exerçait depuis 15 ans. Au fond, ce n’est pas dans l’intérêt des femmes ».

Et au-delà des 12 semaines ?

Si cette limitation correspond à la moyenne européenne, plusieurs acteurs de terrain souhaiteraient voir ce délai allongé. La fédération des centres de plannings familial FPS défend le modèle suédois, « celui qui propose la possibilité d’avorter jusqu’à 18 semaines, ce qui est, selon nous, le plus favorable à la femme ».

En Belgique, lorsque la limite des 12 semaines est dépassée, les femmes se rendent généralement aux Pays-Bas, parfois au Royaume-Uni, dont les délais sont de 22 et 24 semaines. « Aux Pays-Bas ce sont des sortes de mini-hôpitaux qui sont vraiment consacrés uniquement à l’interruption volontaire de grossesse », explique Eloïse Malcourant. Avec un délai d’une vingtaine de semaines, « c’est plus compliqué au niveau technique. En Belgique il faudrait voir ce qu’il est possible de faire dans les centres, et s’il ne faudrait pas créer un centre de référence pour pratiquer l’IVG au-delà de 12 semaines ». Une idée notamment défendue par le sp.a, le parti socialiste flamand actuellement dans l’opposition.

Pour les Femmes prévoyantes socialistes, allonger le délai permettrait d’en finir avec « l’hypocrisie de la Belgique » qui renvoie les femmes se faire avorter dans d’autres pays.

Pénurie de médecins pratiquants

Pour autant, pour la responsable des centres de planning familiaux FPS, l’allongement du délai ne représente pas la première des priorités : « on est face aujourd’hui à une pénurie de médecins qui pratiquent l’avortement en Belgique. Avant d’allonger le délai, on pense que c’est important de lutter contre cette pénurie ».

« C’est sans doute aussi lié à un manque d’information des étudiants sur la pratique de l’IVG ». Une seule formation à cette pratique existe, elle est donnée à l’ULB et sur base volontaire. D’autres médecins se forment directement dans les centres, où sont pratiqués 80% des avortements (20% en hôpital).

Selon leurs convictions, les médecins sont libres de pratiquer ou non les IVG : c’est le principe de la clause de conscience. À ce sujet, la responsable des FPS pointe un autre manquement dans la législation en vigueur : actuellement, le médecin est juste tenu par la loi de signaler à la patiente qu’il ne pratique pas l’IVG. « On est pour l’obligation des médecins de renvoyer vers des services adéquats en Belgique ».

Vers une nouvelle législation en Belgique ?

Face à ces conditions, plusieurs voix se sont élevées pour modifier la loi pour qu’elle corresponde davantage à la réalité des femmes belges aujourd’hui. Avant toute autre chose, plusieurs associations souhaitent sortir l’avortement du Code pénal.

« Il faut bien noter le fait qu’il n’y a pas de droit à l’IVG en Belgique », insiste Sylvie Lausberg. « Nous on réclame un droit. Un droit à décider si on veut ou pas un enfant. C’est quand même notre corps, notre vie ». La présidente du CFFB poursuit : « Pour nous il est évident que ces dispositions doivent être modifiées et que le texte doit se trouver dans une loi de droit positif et non pas dans un article du Code pénal. Ça dit quand même quelque chose sur la façon dont nous envisageons l’interruption de grossesse en Belgique ».

Même son de cloche du côté des FPS : « C’est vraiment une de nos priorités de sortir l’avortement du Code pénal, qui est très hypocrite et culpabilisant ».

Six propositions de loi dépénalisant et légalisant l’avortement sont aujourd’hui sur la table. Tous suppriment la conditionnalité à « l’état de détresse », et plusieurs proposent un délai allongé : 14 semaines (PS), 16 (Ecolo et Groen), 18 (open VLD) et 20 (sp.a et PTB). Le délai de réflexion obligatoire est maintenu dans chaque proposition, mais réduit à 48heures pour Ecolo et Groen, sp.a, PTB et Open-Vld.

« Malgré qu’il y ait six partis, dont un parti de la majorité, qui ont déposé, on a des partis qui sont contre, principalement le CD&V et la NV-A. Donc pour l’instant, il n’y a pas moyen de discuter même de cette question. Ça c’est très grave. Le fait qu’on n’aboutisse pas à un accord est une chose, mais il faut pouvoir en parler. Et en Belgique on ne peut pas en parler », déplore Sylvie Lausberg.

Outre les discussions bloquées à la Chambre, Sylvie Lausberg pointe également du doigt les récentes propositions de loi qui tendent à faire reconnaitre l’embryon comme un enfant à l’état civil en attribuant un statut juridique au foetus. Des mesures qui inquiètent également la fédération des centres de planning familiaux : « Ce sont despropositions de loi pour lesquelles il faut être vigilant.Ce sont des petites attaques indirectes au droit à l’IVG. C’est pour ça qu’on veut vraiment sortir l’avortement du Code pénal, pour consacrer l’autodétermination des femmes. C’est un droit fondamental des femmes qui doit être accessible à toutes. »

Outre les freins politiques, il y a également les campagnes d’influence et de communication des antiavortements, notamment des hiérarchies religieuses.

« L’IVG c’est un indicateur, je dirai, du degré de démocratie, et de féminisme d’une société », conclut la présidente du Conseil des Femmes. « En Belgique, la société reste misogyne. Les femmes ne sont jamais considérées comme prioritaires dans la discussion. Ça, c’est grave. Il faut renverser notre façon de voir les choses. »

Oriane Renette.

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