Nicolas Baygert
Elio ou « Mutti », bienvenue dans la nursery
« L’avenir de l’Allemagne est en de bonnes mains », tel fut le slogan de l’emblématique affiche de campagne de la CDU, offrant un zoom sur les mains d’Angela Merkel.
A l’instar du noeud papillon d’Elio Di Rupo, la position des mains de la chancelière en « losange de la puissance » est devenue le symbole de la stratégie de personnalisation de la campagne de l’Union (CDU-CSU). Une allégorie pixélisée : la mosaïque dessinant cette gestuelle caractéristique est le résultat de l’agencement de 2 150 petites photographies des mains de ses partisans. L’affiche rappelle ainsi le frontispice du célèbre Léviathan de Thomas Hobbes : le corps du souverain absolu composé de ses sujets.
Or, l’Allemagne vient de vivre son OEdipe politique : soutenir « Angie » Merkel, acte supra-politique, équivalait à enlacer la mère patrie. Face au sérieux, sévère, voire paternaliste Peer Steinbrück (SPD), Angela Merkel, affublée d’un « Mutti » (maman) dépolitisant, symbolise le tournant « maternant » du politique. Le citoyen infantilisé est invité à se détourner des affaires du pays. La chancelière aimait à siffler la fin de la récréation comme l’indique la tirade de quasi-speakerine à la fin du duel télévisé avec son rival SPD : « Et maintenant, je vous souhaite une belle soirée. » Elle clôtura également son dernier meeting par ces mots : « Merci beaucoup, c’est tout pour aujourd’hui (…) tout ira bien. »
L’indéboulonnable Angela Merkel, sachant qu’en temps de crise le politique est nécessairement coupable, s’est érigée en bonne gestionnaire d’une nursery généralisée où toute joute politique se voit nécessairement remballée, actant ainsi la disparation de l’idée même de conflit. Une « Big Mother », d’après l’expression de Michel Schneider (1), autre décrypteur du phénomène de maternisation : « Les dominants se sont mis à éprouver et les élus à s’émouvoir. Les ministres ont l’immobilisme compassionnel, les technocrates l’affectivité réformiste, les patrons l’intelligence émotionnelle. »
Aussi, dans Ecumes (2), Peter Sloterdijk ne décrivait-il pas une conception du politique entré dans sa phase « néoténique » (la néoténie traduit l’inachèvement du petit humain qui nécessite des soins maternels longs et attentifs) ? L’Etat géré en bonne mère de famille ?
On retrouve également cette dimension maternante – de sur-empathie – dans la « politique du pathos » pratiquée par Elio Di Rupo. Une communication privilégiant le bien-être, un primat de l’affectif. Dispensateur de bonnes nouvelles durant tout l’été, le Premier ministre s’adonne volontiers au storytelling gouvernemental. Objectif : créer une atmosphère positive pour pacifier, noyer tout conflit potentiel dans le flux continu des success stories. Et « tout ira bien »…
« Meilleur Premier ministre wallon que nous n’ayons jamais connu » selon l’essayiste flamand Hugo De Ridder, Elio Di Rupo s’est mué en Premier providentiel, vice-roi thaumaturge, s’élevant au-delà du contexte particratique et des réalités politiques bassement partisanes. « Si cela ne tenait qu’à moi, j’instituerais une circonscription fédérale. » Tout devient possible pour un Premier inter pares ayant, comme la « chancelière pour tous », quitté en grande partie le registre du politique. Résultat : une confiscation du débat public, pour le Bien de tous.
par Nicolas Baygert / Chercheur au Lasco (UCL), enseigne les sciences politiques et sociales à l’Ihecs.
(1) Big Mother : psychopathologie de la vie politique, par Michel Schneider, Paris : Odile Jacob, 2005.
(2) Sphères III. Écumes. Sphérologie plurielle, par Peter Sloterdijk, Paris : M. Sell, 2005.
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