Elio et Joëlle : l’idylle qui a changé la Belgique
Dix ans que l’axe qu’ils forment donne le « la » de la politique belge. Sans Elio Di Rupo, le CDH disparaissait (peut-être). Sans Joëlle Milquet, le PS valsait dans l’opposition (sans doute). Mais il est peu probable que ce couple politique survive aux élections du 25 mai.
La relation particulière qui unit Joëlle Milquet et Elio Di Rupo a pesé sur la trajectoire de la Belgique. L’union entre le socialiste montois et la centriste bruxelloise a été scellée en 2004 : le Parti socialiste repousse ses anciens alliés libéraux dans l’opposition, tant en Wallonie qu’à Bruxelles ; à la place, il tend la main au CDH. Nulle considération sentimentale là-derrière, mais un calcul froid, rationnel. Le président du PS, Elio Di Rupo, voit à long terme : il veut limiter l’expansion du MR en offrant un ballon d’oxygène au CDH.
Mal en point après les défaites de 1999 et 2003, le parti de Joëlle Milquet joue sa survie. Certains, à gauche comme à droite, projettent d’achever un CDH à l’agonie, pour s’en partager les morceaux. Et comme Ecolo vient aussi d’encaisser une Berezina, socialistes et libéraux s’imaginent déjà en tête-à-tête, bloc contre bloc.
Mais très vite, Di Rupo sent le piège. Les libéraux ont fait main basse sur le FDF au début des années 1990. S’ils parviennent à s’adjoindre le gros des troupes social-chrétiennes, ils risquent de s’imposer comme les leaders du jeu politique. « Joëlle Milquet et Elio Di Rupo avaient tous les deux intérêt à la survie du CDH », résume le socialiste Eric Massin, président du CPAS de Charleroi.
Elio Di Rupo épargne au CDH cinq années d’opposition supplémentaires, qui lui auraient peut-être été fatales. Il sauve également Joëlle Milquet : contestée dans son parti, elle n’aurait pas résisté à une nouvelle défaite. Qui sait si elle aurait pu ensuite rebondir ? Dès lors, une complicité indéfectible va naître entre eux deux.
L’un et l’autre ont pris la présidence de leur parti en 1999. Et tous les deux l’ont abandonnée en 2011. Aujourd’hui, ils travaillent ensemble au gouvernement fédéral : lui dans le costume du Premier ministre, elle en qualité de vice-Première. Le reste de leur trajectoire politique présente d’étonnantes similitudes. A son arrivée au boulevard de l’Empereur, Di Rupo s’est attelé à dépoussiérer l’image abîmée, ringarde de son parti, exactement comme Milquet l’a fait rue des Deux églises.
Au fil du temps, une réelle amitié s’est superposée à l’axe stratégique initial. « Mon côté mec s’accorde bien avec son côté féminin », aime répéter Joëlle Milquet. Il n’est pas rare qu’avant un débat télévisé, elle lui envoie un SMS pour le mettre en garde contre tel ou tel chausse-trappe. Enfants, ils ont aussi vécu les mêmes drames. Elio Di Rupo a perdu son père quelques mois après sa naissance. Joëlle Milquet n’avait que six ans quand le sien est décédé. « Dans le milieu politique, tout le monde est exaspéré par les retards de Milquet, par son côté brouillon, rapporte un libéral. La seule personne qui ne le lui fait pas ressentir, c’est Di Rupo. »
Reste à établir les comptes. Dix ans après la constitution de la paire rouge-orange, le calcul politique s’est-il avéré judicieux ? Pour le PS, sans aucun doute. En empêchant la dissolution du centre, il a maintenu son rival MR à bonne distance. Mais les socialistes en ont aussi payé le prix : l’exploitation politique que les libéraux ont faite des scandales carolos est en partie la conséquence de la rupture de 2004.
Côté CDH, le bilan est également contrasté. Les attaques de Didier Reynders et du MR, l’accusant d’être « scotché » au PS, ont fait très mal, électoralement.
L’arrivée de Benoît Lutgen à la présidence du CDH, le transfert d’Elio Di Rupo du boulevard de l’Empereur vers le 16, rue de la Loi ont changé la donne. « La cassure vient surtout du fait que Joëlle n’a plus le même poids, analyse un socialiste. Avant, elle pouvait bloquer un décret. Ce n’est plus le cas. Elle ne pèse plus du tout sur les décisions en Wallonie, et à Bruxelles, elle doit compter avec l’aile démocrate-chrétienne du CDH, qui lui a toujours fait les pires misères. »
L’axe Di Rupo-Milquet vit-il ses derniers jours ? Réponse dans la foulée du 25 mai.
L’intégralité du dossier dans le Vif/L’Express de cette semaine. Avec notamment :
L’avis des deux intéressés sur leur relation
Le décodage de Jean-Jacques Viseur, ex-ministre CDH des Finances
Dix ans d’idylle en 7 actes :
Automne 2000, 5e réforme de l’Etat : Joëlle et Elio se rencontrent Printemps 2004, retour du CDH au pouvoir : Elio sauve Joëlle Septembre 2005-Juin 2007, les affaires : Joëlle ne lâche pas Elio 2007, l’introuvable Orange bleue : Joëlle sauve Elio 2009, l’introuvable Jamaïquaine : Joëlle choisit Elio Juin 2010 – Décembre 2011, la grande crise : Elio sacré, avec l’aide de Joëlle Octobre 2012, Milquet rejetée à Bruxelles : Elio ne peut sauver Joëlle
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