Bert Bultinck
Élections: »Alors que la gauche mène de mini-guerres d’intellectuels, la droite marque des points auprès du peuple »
« Si les classes sociales dominantes s’en tirent mieux que les autres, mais si en plus elles vont humilier ces classes, les qualifier de ‘bêtes’ ou d’intolérants, c’est le commencement de la fin », estime le rédacteur en chef de Knack Bert Bultinck.
Geert Buelens le dit. Mark Elchardus le dit. Bruno Tobback le dit. Outre toutes les différences mutuelles, ces trois faiseurs d’opinions impudemment de gauche portent un message similaire : l’élite de gauche a longtemps été beaucoup trop prétentieuse, non seulement contre les opposants intellectuels de droite, mais autant contre les ouvriers, la classe moyenne inférieure et les personnes moins qualifiées qu’elle disait pourtant défendre. C’est le professeur de littérature Geert Buelens qui a mis le feu aux poudres à l’occasion de la sortie de son livre « De jaren zestig » (les années soixante) : « Nous payons cash l’arrogance culturelle des baby-boomers ». Quand la gauche a commencé à s’acoquiner au pouvoir, elle a trahi son potentiel critique : « Si l’avant-garde n’est plus contre le pouvoir, alors contre qui est-elle ? Uniquement contre la populace ? Si ce n’est pas asocial ça ! ». Dans le quotidien De Standaard, il évoque l’énorme culture de dédain contre « ces gens-là » qui a culminé dans les années nonante : « Qu’est-ce qu’on s’est moqué des gens qui avaient un autocollant VTM sur leur voiture ! »
L’élite de gauche a longtemps été beaucoup trop prétentieuse
Des terroristes de l’EI en passant par les électeurs du Vlaams Belang aux incels: chaque fois, on apprend que le retard socio-économique n’explique pas suffisamment la colère et la violence. C’est clair pour les incels – les célibataires involontaires masculins qui ont fait de leur manque de succès auprès des femmes un complexe de victime – : ils peuvent être très aisés et pourtant terriblement frustrés, jusqu’à commettre un attentat à Toronto. Les terroristes musulmans non plus n’étaient pas tous pauvres, loin de là. Cependant, les « déplorables » (selon le terme utilisé par Hillary Clinton : NDLT) et les autres citoyens en colère souffrent d’une profonde humiliation, qui dans les cas les plus dramatiques mène à une agressivité exacerbée et à l’autodestruction. Si les classes sociales dominantes s’en tirent mieux que les autres, mais si en plus elles vont humilier ces classes, les qualifier de ‘bêtes’ ou d’intolérants, c’est le commencement de la fin. Cette arrogance culturelle est au moins aussi importante pour une bonne compréhension de la colère de la société que le retard socio-économique. Y compris de la colère populaire contre le libéralisme de gauche, comme pour les électeurs de Le Pen ou de Wilders.
Serait-ce possible que cette autocritique de la gauche ne se manifeste maintenant que parce que le message est encore plus pénible, personnel que cette autre explication de l’effondrement de la socio-démocratie : s’acoquiner au néolibéralisme ? L’ancien président du sp.a Bruno Tobback a déclaré il y a quelques semaines que dans les années soixante on a créé une « élite culturelle » qui « méprise parfois la plèbe ». Le week-end dernier, l’idéologue de gauche Mark Elchardus l’a joliment résumé dans De Morgen : « Je trouve que l’élite intellectuelle n’a pas le droit de considérer les opinions de personnes peu qualifiées comme bêtes ou racistes. » S’il n’y pas que la troisième voie ou les banques qui ont atteint le pouvoir de la gauche, les intellectuels ont aussi leur part de responsabilité : ils sont également partie prenante.
La droite rit-elle sous cape? Alors que la gauche mène de mini-guerres d’intellectuels, la droite marque des points auprès du peuple qui peut la conduire à une nouvelle victoire électorale. D’un point de vue purement stratégique, la gauche, si elle veut encore représenter quelque chose, ne ferait-elle pas mieux de continuer à tirer sur les un pour cent ?
Peut-être. Mais il se pourrait aussi que la critique contre « l’arrogance culturelle » rouvre la voie à un public que la gauche avait perdu, une voie vers une authenticité et un focus retrouvés : de bons plans de pensions en passant par une attaque contre l’industrie de la dette et la fraude fiscale, mais pas grand-chose en plus. Avec la nomination de Cédric Frère à la Banque Nationale, l’hypocrisie semble lentement corroder l’autre camp. C’est logique : l’hypocrisie suit toujours le pouvoir et les gros sous. Après la phase douloureuse d’autocritique, la voie est ouverte à la position la plus naturelle de la gauche : celle de la critique contre l’establishment, actuellement de centre droit, qui méprise aussi la plèbe, et la traite avec encore moins d’égards, mais réussit pour l’instant à cacher son dédain.
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