Carte blanche
« Élections: replacer la personne humaine au coeur du projet européen »
Les élections européennes, dont la place dans le débat est en partie occultée par les élections fédérales et régionales, approchent à grand pas. Beaucoup d’entre nous demeurent encore dans le doute et se demandent pour qui voter.
Par ailleurs, beaucoup rechignent aujourd’hui à remplir leur devoir de citoyen, qui est d’abord un droit chèrement gagné par ceux qui nous ont précédés.
À l’heure d’un euroscepticisme grandissant, il y a lieu de constater la montée de ce qu’on pourrait qualifier de repli sur soi au sein des peuples européens.
Le Brexit en est un bel exemple. On a vu qu’une population pouvait être amenée à voter par referendum sur base d’arguments parfois à la lisière de la contre-vérité, davantage basés sur l’émotionnel que sur la raison…avec les conséquences de l’on connaît.
L’Europe se heurte aujourd’hui au constat d’une désillusion généralisée dans le chef de ses citoyens, qui avaient nourri l’espoir d’une amélioration de leurs conditions sociales et déchantent aujourd’hui face une Union Européenne dans laquelle ils ne se retrouvent pas toujours.
Les mesures d’austérité de ces dernières années, présentées comme un « mal nécessaire » ont asphyxié beaucoup de pays et de secteurs, affectant de plein fouet de nombreuses familles sur tout le continent.
Deux problématiques cruciales attirent notre attention : la question des migrations d’une part, la question climatique d’autre part.
À travers nos écrans, nous constatons tous les jours l’exode des peuples qui fuient la guerre ou la misère, et au cours d’une traversée périlleuse remettent leur vie à la grâce de Dieu ou de la destinée. Les flots des eaux méditerranéennes constitueront la dernière demeure d’un certain nombre d’entre eux.
L’Europe écarquille les yeux et croise les doigts pour que ce flux migratoire ne s’invite pas sur son territoire. Mais quelle réponse donner à cette réalité qui nous dérange à bien des égards ? « Comment pourrions-nous tous les accueillir ? » s’interroge une personne lambda qui a perdu son emploi. « Et ma réalité à moi, qui s’en préoccupe ? »
Cette réaction somme toute très humaine peut être considérée comme légitime lorsque l’on se sent lésé, voire dépossédé de tout. Nul ne devrait fermer les yeux face à ce questionnement, face à ces souffrances, face à ces doutes émanant d’un grand nombre d’entre nous.
L’Europe est éprouvée dans son éthique sociale.
Il est malheureusement dans la nature humaine que plus mon prochain est loin de moi, c’est-à-dire différent, moins j’éprouve de l’empathie à son égard. Ne peut-on imaginer un monde où il en irait autrement?
L’individualisme ou le nationalisme sont une manière de reconnaître l’autre comme différent de soi jusqu’à un certain point. En prenant la précaution de bien délimiter son « espace » en fonction de ses représentations, ses nécessités ou ses peurs.
La peur de l’autre peut déboucher sur de la haine en le réduisant à son apparence ou à sa religion par exemple. La peur s’appuie souvent, et presque toujours, sur des préjugés solidement ancrés. Comment les dépasser?
On se « barricade » pour protéger ses avoirs que l’on désire préserver sans partage : contribuer, d’accord, mais sans y perdre mon bien-être, l’hospitalité sans perdre ce qui m’appartient; partager si l’on peut mais garder une part pour les jours mauvais.
Ces peurs, qui relèvent parfois du fantasme, motivent certaines décisions politiques et polluent les esprits désorientés.
Une nation, au nom du principe de sécurité, peut parfois consentir à se radicaliser pour subsister en allant même jusqu’à fouler aux pieds des valeurs universelles érigées depuis des décennies voire des siècles. Nous savons combien un peuple sans mémoire se met en danger dès lors qu’il n’apprend plus de ses erreurs. Il est salvateur de cultiver la mémoire de notre passé et de ne pas se laisser séduire pas la facilité et le seul souci de préserver notre confort.
Ces peurs et ces inquiétudes n’effaceront pas les beaux gestes citoyens ni les démarches humanistes, comme ces hommes et ces femmes nettoyant la gare du Nord à Bruxelles pour signifier la dignité inaliénable de tout homme d’où qu’il vienne.
Les problèmes climatiques et environnementaux sont relayés partout dans les médias et les politiques se l’approprient. Certains par conviction, d’autres par électoralisme.
Le 26 mai, faisons appel u0026#xE0; notre sagesse, notre luciditu0026#xE9;… mais aussi notre humanitu0026#xE9;.
L’écologie est au coeur des enjeux d’aujourd’hui et de demain. Les jeunes de Belgique et d’ailleurs l’ont bien compris et se mettent en mouvement. Sans chercher la récupération politique, il est essentiel de faire de l’écologie un cheval de bataille à l’échelle européenne. L’exploitation et la destruction de la nature avec indifférence et sans état d’âme, ne devrait plus être admise !
C’est pourquoi une véritable stratégie des institutions européennes, qui engagerait la responsabilité des états membres, devient impérative. Le veto des uns et des autres, à la table des négociations, a trop souvent bloqué les décisions d’envergure, trop souvent empêché l’établissement d’un programme climatique réellement ambitieux; et ce d’autant plus lorsque les intérêts privés, défendus par les lobbys, s’invitent eux aussi dans les discussions.
Le citoyen lambda n’a pas ni n’aura toujours les moyens d’investir dans une voiture électrique ou dans une alimentation saine et respectueuse des écosystèmes. C’est pourquoi il serait désastreux de ne pas considérer les enjeux économiques et sociaux comme inséparables de la cause écologiste. Les politiques doivent veiller à sensibiliser les individus à la responsabilité écologique… sans toutefois glisser vers une forme de culpabilité stigmatisante qui serait contre-productive.
Quelle conception de l’Europe aujourd’hui ?
Les valeurs de solidarité et de respect de la dignité de chacun, qui ont constitué le socle de l’Union Européenne lors de sa création il y a 70 ans ; notre culture du vivre ensemble, de faire « communauté » et d’agir pour un bien commun: tout cela semble parfois lointain et abstrait, déconnecté de notre réalité vécue au quotidien. Or c’est là que réside et que vit l’âme de l’Europe, celle de la culture, du respect des droits humains et de la libre circulation tout en garantissant la sécurité des individus.
Serions-nous en train de perdre les valeurs fondatrices de l’Europe telle que rêvée par Robert Schuman?
Assurément, la réponse n’est pas univoque mais nécessite une approche nuancée. Une juste réponse aux doutes qui traversent nos sociétés se devrait en tout cas de replacer la personne humaine et sa dignité au coeur du projet européen.
Le 26 mai, faisons appel à toute notre sagesse, à toute notre lucidité… mais aussi à notre humanité.
Par Josepha Guma, Infirmière responsable d’une unité de soins palliatifs
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