Antoine Wauters
« Elections: pourquoi je n’ai envie de donner ma voix à personne »
Entre deux interviews autour de mes romans*, il m’arrive de penser aux élections à venir. Et, pour tenter de comprendre pourquoi je n’ai envie de donner ma voix à personne, pourquoi je brûle comme ça et pourquoi je rêve, incorrigiblement, de ministres des lychnis et des rhododendrons, j’ai tracé quelques mots dans l’air. Vite. Sans me retourner. En rêvant que l’on s’en saisisse, ensemble. »
Non, je ne serai candidat pour aucun parti, aucune commune, et ne voterai pas non plus. Cette façon de faire de la politique alors que la terre et la nature n’en peuvent plus de nous, n’est rien de moins qu’affreusement datée. D’ailleurs, ces élections qui viennent sont un rêve, elles n’ont pas lieu maintenant mais dans les années 80, elles remontent à cette époque et n’en sont qu’un lointain souvenir. Car qu’on en soit toujours à élire des individus, choisir entre des partis et penser les choses selon nos pauvres intérêts privatifs, est la négation même de ce que me semblent impliquer les grands enjeux de maintenant.
Je donnerai ma voix à un parti qui fait de la sauvegarde de notre environnement non une priorité, mais un impératif catégorique, à un parti qui aura fait le pari d’autre chose que des inopérants clivages gauche-droite, à un parti qui restreint nos libertés mortifères (oui !) et nous rend responsables, en nous rappelant que vivre ne peut se résumer ni à vendre ni à acheter, encore moins à faire des selfies, et qu’il est bon de donner de sa personne, parfois, de se mouiller pour d’autres, pour les autres, en s’oubliant, en s’abandonnant, si cela est (encore) possible.
Je donnerai ma voix à ceux qui feront de l’embellissement de nos rues une priorité. Ceux qui planteront des rhododendrons, des lychnis. Ceux qui m’obligeront, un jour par semaine au moins, à arrêter de parler de ma pomme et de mes livres pour, me flanquant une houe entre les mains, me faire travailler la terre, planter des choux et entretenir de vastes jardins collectifs. Ceux qui nous rappelleront qu’il ne suffit pas d’être riche pour avoir le droit de voyager. Je n’en peux plus de nos petits plaisirs pour le jour et pour la nuit, des city-trips et de ces libertés qui ne mènent à rien, sinon à de plus en plus de vanité, de boursouflure.
Je donnerai ma voix aux folles et aux fous qui nous reprendront nos téléphones quelques soirs par semaine, pour qu’on puisse se parler vraiment, en se regardant droit dans les yeux. Je donnerai ma voix à ceux qui nous diront qu’il est parfois utile et sain de laisser exploser sa colère, de détériorer, d’ensevelir, d’abîmer, pour qu’autre chose ensuite fleurisse, quitte à ce que ce quelque chose ne dure point. Ceux et celles qui feront de la sortie du nucléaire non une nécessité, mais un acte de bon sens, le seul qui tienne. Ceux et celles qui nous reprendront nos BMW, notre confort, notre domotique et qui, parfois, nous laisseront perclus dans le noir et le froid. Ceux qui nous diront d’aller puiser en nous, sans attendre que d’autres décident à notre place.
Je donnerai ma voix à la hargne nouvelle, celle de construire ensemble, hargne qui sera aussi lucidité. Voir clair. Nous n’avons besoin que de cela. C’est-à-dire voir aussi ce qui va bien, se réjouir, s’enthousiasmer, PRENDRE FEU. Je refuse de donner ma voix aux prochaines élections, elles datent d’il y a 50 ans et c’est le présent qui m’intéresse, qui hurle et exige qu’on se donne de majuscules coups de pied au… Il est trop tard pour se payer le luxe de choisir entre peste et choléra, gauche et droite, voisin CDH, oncle PS ou collègue MR, tout ça ne tient plus, n’est plus possible. Il n’y a qu’une façon de répondre aux enjeux du présent : faire bloc, dans une démocratie à visage nouveau, où nous serons tous mis à contribution. Une démocratie où, à côté des droits et des libertés pour tous, il y aura aussi des devoirs, des restrictions, autrement dit de magnifiques efforts à fournir, le principal étant de consommer moins.
Je rêve, je le sais, je ne suis pas fou, mais je nous vois, artistes, jardiniers, pompistes, médecins, troquer nos intérêts privatifs quelques heures par semaine, pour faire oeuvre commune. Une démocratie à visage nouveau, où il y aura des ministres du lychnis et du rhododendron. Des ministres des rues jolies et à enjoliver. Des ministres de la planche-à-roulette remplaçant la voiture. Des ministres du tas de bois. Des ministres du tas de foin. Des ministres de la sieste pour tous. Des ministres de la détestation du plastique et du bannissement des BMW, c’est-à-dire de tout signe extérieur de richesse. Des ministres du bien-être animal. Des ministres du souvenir de la vieillesse et du temps qui passe. Des ministres-chiens et des ministres-coléoptères. Des ministres à l’écoute des sols, des eaux, du vent, des enfants, des faibles et des fragilisés. Des ministres de l’inanité du selfie. Des ministres de l’importance du songe.
Je rêve, je le sais, mais quand je pense à nous je ne vois pourtant que cela : ou nous sommes dans cette grande aventure collective, et nous vivons, ou nous n’existons plus !
* Pense aux pierres sous tes pas, éditons Verdier.
Moi, Marthe et les autres, éditions Verdier.
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