Ecolo relance le débat sur le port du voile à Bruxelles et exaspère le PS
Après une décision judiciaire, Ecolo remet le débat sur le port du voile dans les administrations publiques sur la table du gouvernement bruxellois. Une bombe potentielle, face à DéFI ouvertement laïc et un PS divisé sur le sujet. « Ceci n’est pas un gouvernement », ironise le CDH.
Il suffit d’une décision judiciaire pour relancer un débat symboliquement sensible dans la capitale. Lundi dernier, le tribunal du travail de Bruxelles a condamné la STIB pour discrimination fondée sur les convictions religieuses et sur le genre, suite à un recours déposé par la Ligue des Droits Humains (LDH). Un arrêt, pour laquel un recours en appel devrait avoir lieu, qui est de nature à remettre en cause la politique de « neutralité exclusive » menée par la Société des transports bruxelloise.
Politiquement, c’est une bombe pour le gouvernement bruxellois.. La question du port du voile dans les administrations publiques risque fort de se retrouver sur sa table, avec Ecolo en parti demandeur.
Une majorité régionale écartelée
Les sensibilités sont très différentes au sein de la majorité régionale: DéFI est ouvertement laïc, le PS est divisé et Ecolo joue régulièrement la carte des « accommodements raisonnables » pour contribuer à l’intégration des minorités religieuses. « On est dans une coalition avec différentes sensibilités, notamment chez Défi, et même au PS, il n’y a pas de ligne claire, souligne ce vendredi ùatin Rajae Maouane, dans Le Soir. Mais ce qui est clair c’est qu’ici, ce n’est pas une association de gauchistes qui s’exprime, c’est la justice! Qui ne veut pas être du côté de la justice? » L’élue de Molenbeek ajoute: « Quand une décision de justice est prise, aussi claire, ça fait jurisprudence. Pour la suite, il faut voir comment construire des services publics les plus inclusifs possibles. »
La coprésidente d’Ecolo ne cache pas la position de son parti: « C’est dans notre programme, il est clair. Ecolo est favorable à ce qu’on autorise le voile dans l’administration, sauf pour les fonctions d’autorité. La question, ici c’est une question de droits des femmes, de droit à disposer de son corps, de pouvoir s’habiller comme on l’entend. »
Au passage, l’écologiste méprise les Assises contre le racisme, lancées au Parlement bruxellois et… portées par le PS: « On se croirait dans les années 90. Ce n’est plus des assises qu’il faut, c’est qu’on soit debout, qu’on se lève contre le racisme. Et c’est marrant de voir que le parti qui est au pouvoir depuis la création de la Région se dit qu’il va organiser des assises pour lutter contre le racisme. Mais soit, si ça peut aider à ce qu’on se rende compte qu’il y a un problème… J’attends de voir ce qu’il en ressort. » Ambiance au sein de la majorité, décidémment.
Inutile de dire que la sortie verte a le dont d’irriter dans les rangs socialistes où certaines parlent déjà d’une attitude « arrogante« .
« Ceci n’est pas un gouvernement: bonne ambiance au gouvernement bruxellois, ironise Celine Frémault (CDH). Quand la fête de l’Iris se transforme en fête du cactus. » Ce week-end est celui de la fête annuelle de la Région bruxelloise. « J’en suis tombée de ma chaise, dit Alexia Bertrand, cheffe de file régionale du MR, à la DH, en épinglant aussi la mauvaise ambiance au sein du gouvernement.
https://twitter.com/ChDeCaevel/status/1390601765561769988Christophe De Caevelhttps://twitter.com/ChDeCaevel
Une présidente de parti qui dézingue ainsi tous ses partenaires de coalition, alors qu’on n’est même pas à mi-législature, j’ai rarement vu ça !
— Christophe De Caevel (@ChDeCaevel) May 7, 2021
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Une double discrimination, selon la justice
La décision du tribunal du travail de Bruxelles a été mise en avant par la Ligue des droits humains, qui soutenait la plaignante.
De confession musulmane, porte un foulard. À la recherche d’un emploi, elle a fait appel à des agences d’intérim et postulé à la STIB en décembre 2015 et janvier 2016. Par deux fois, les agences de recrutement lui font savoir que la STIB applique une politique de neutralité qui n’autorise aucun signe convictionnel et qu’elle devrait s’y conformer en retirant son foulard. Disposée à transformer son foulard en un léger turban, elle se présente à un entretien lors duquel la question du retrait du foulard est abordée: celui-ci est interdit, peu importe la façon dont il est porté. Les agences de recrutement la renvoient systématiquement au règlement de travail de l’entreprise. Elle n’obtiendra pas d’entretien à la suite de sa seconde candidature.
Toujours selon la LDH, la STIB se défend d’avoir écarté cette candidature en raison du choix de porter le voile. Elle ne conteste dans le même temps aucunement pratiquer une politique de « neutralité exclusive » interdisant à tous les membres de son personnel le port de signes convictionnels, politiques, philosophiques ou religieux.
Suite à des tentatives de conciliation infructueuses, Unia a intenté une action en cessation au mois d’avril 2019 devant le tribunal du travail de Bruxelles. La plaignante et la LDH se sont ensuite jointes à la procédure sous la forme d’une intervention volontaire. La LDH entendait en particulier faire reconnaître également la dimension de genre de cette affaire.
Par ordonnance du 3 mai 2021, le tribunal a jugé que la plaignante a été victime d’une double discrimination: directe sur la base de sa religion, la STIB n’ayant pas été en mesure de prouver que le refus d’embauche n’était pas discriminatoire; et indirecte sur base du genre.
Le tribunal estime que le règlement de la STIB qui consiste à refuser tout signe religieux pèse, en réalité, de manière disproportionnée sur les femmes.
S’agissant du plus gros employeur de la Région bruxelloise, le tribunal relève que « la politique de l’emploi de la STIB est visiblement genrée » dès lors que le problème de parité y est criant, a précisé la Ligue, citant le jugement. En 2015, les femmes ne constituaient que 9 % du personnel de la STIB, chiffre qui monte à 22 % si on ne considère que les fonctions employées mais qui chute à 7,8 % dans les fonctions de conduite des véhicules.
Par ailleurs, le tribunal relève que la STIB emploie de nombreux hommes de confession musulmane qui sont autorisés à porter la barbe. La discrimination indirecte basée sur le genre devient alors apparente. La STIB n’a pas pu la justifier de manière objective et raisonnable.
Enfin, le tribunal ordonne à la STIB de mettre fin à sa politique de « neutralité exclusive ».
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