Olivier Mouton
E-Change: cet impossible nouveau parti francophone
Groupe de réflexion ou futur parti, le E-Change de Jean-Michel Javaux revisite une idée vieille de sept ans à la sauce Macron. Salutaire en cette période troublée. Mais ce pétard mouillé illustre aussi la difficulté de secouer la Belgique francophone.
« En Marche ! arrive en Belgique », titrait Le Vif-L’Express fin avril. Nous révélions alors que des personnalités politiques et de la société civile réfléchissaient à l’opportunité de lancer un mouvement similaire à celui qui a cassé la baraque en France. « Voici E-Change, ce nouveau parti francophone se prépare dans la discrétion », titrait en guise de prolongement La Libre Belgique ce mercredi. En présentant un casting très « chrétien de gauche » à la tête duquel on retrouve une nouvelle fois Jean-Michel Javaux, ancien co-président d’Ecolo et beau-fils idéal de la politique belge, en compagnie d’Alda Greoli (CDH), de Melchior Wathelet (CDH), du chef de cabinet de Marie-Martine Schyns (CDH), de Didier Gosuin (Défi) ou de Corinne Boulangier (RTBF).
Il ne s’agirait, selon Javaux et Greoli, que d’un « groupe de réflexion » passant en revue une série de thématiques pour imaginer des solutions à long terme, afin de mieux faire fonctionner la Belgique. C’est, soit dit en passant, ce que préconisaient il y a un peu plus d’un an un trio de patrons emmenés par Bernard Delvaux (Sonaca) et Baudouin Meunier (UCL Mont-Godinne). Créer un parti politique ? Les principaux intéressés démentent. La Libre maintient sa version. A vrai dire, ce n’est guère surprenant : si un tel mouvement devait voir le jour, ses initiateurs maîtriseraient l’agenda de son annonce. En attendant, ils lancent des ballons d’essai. Benoît Lutgen, président du CDH, était d’ailleurs lui-même à la manoeuvre de cette réflexion avant de tenter un coup de poker d’une autre nature en débranchant la prise des majorités régionales et communautaires avec le PS.
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Un « nouveau centre » est-il en marche en Wallonie et à Bruxelles ? Cette perspective avait déjà été annoncée il y a sept ans de cela. On retrouvait déjà à l’époque, dans le casting, les noms de Javaux ou de Wathelet. On y retrouvait aussi celui de… Charles Michel qui a pris son envol à un autre niveau – et d’une autre manière. Mais à l’époque, cette révélation avait déjà fait flop : il ne s’agissait selon ses protagonistes que d’une réflexion entre potes autour d’une partie de kicker, en attendant l’enregistrement d’une émission de la RTBF qui se faisait attendre.
En cette période trouble de défiance à l’égard de la politique, un bouleversement des forces en présence serait sans doute salvateur pour renouveler le genre, récréer du lien avec les citoyens. En France, Emmanuel Macron a montré qu’il était possible de changer le paradigme de la politique pour battre en brèche les populistes – un succès qui doit bien sûr être confirmé dans l’action.
En Belgique francophone, quatre obstacles semblent s’opposer à l’avènement d’une telle expérience.
Premièrement, le timing. Ce n’est jamais le bon moment, en raison des échéances électorales à répétition ou, pour l’heure, parce que la crise ouverte par la décision de Benoît Lutgen rebat les cartes. Cela dit, à force de miner le contrat social qui lie le politique au citoyen à coups de scandales, d’attitudes cyniques et d’inconséquence politique, ce moment idéal finira bien par arriver.
Deuxièmement, le casting. Il est toujours difficile de trouver le bon dosage entre personnalités connues et citoyens lambda, entre vieilles gloires sur le retour et jeunes pousses pleines de promesses. Autrement dit, comme prouver que l’on est un mouvement « neuf » bien que porté par des stars de la politique ou ; à l’inverse, comment réussir à percer sans avoir de « locomotives » connues du grand public ? C’est le dilemme auquel sont d’ailleurs confrontés des mouvements citoyens qui songent pour l’heure, nous sommes en contact avec eux, à lancer un tel pavé dans la mare.
Troisième obstacle : le système électoral. Le scrutin à la proportionnelle lisse les résultats, là où le système majoritaire à la française permet à un mouvement de remporter toute la mise en cas de succès convaincant. Cela dit, la N-VA en Flandre a montré qu’il était possible de sortir rapidement du néant, passant en dix ans de 3% à un statut de premier parti du pays. Profil communautaire et droitier mis à part, il y a, en cela, quelque chose de macronesque.
S’ajoute à cela un quatrième frein, plus diffus, celui des mentalités. Il reste, en Wallonie et à Bruxelles, un manque culturel d’audace, une incapacité à prendre des risques. Cela change au fil du temps, l’esprit d’entreprendre trouve droit de cité depuis une dizaine d’années, les success stories commencent à se multiplier, mais il reste cette triste vérité : quand une tête dépasse, on s’empresse vite de la couper…
E-Change, contrairement aux démentis d’usage, va-t-il un jour ou l’autre se jeter dans le bain ? Une initiative de ce genre émergera-t-elle du champ de ruines provoqué par la crise politique actuelle ? Cela reste une possibilité qui intrigue le Landerneau et suscite autant d’espoirs citoyens que de réflexions critiques.
Cela dit, dans le contexte actuel, s’il y a bien un autre mouvement « recyclé » qui se prépare à casser la baraque au sud du pays et à rompre avec le caractère traditionnellement conservateur de l’électorat francophone, c’est le PTB. Un peu comme si, au lieu de Macron, ce serait la Belgique insoumise qui raflait la mise en 2019… De quoi inviter certains à surmonter leurs hésitations ?
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