Dossier spécial Namur : «Le caractère mémoriel des noms de rue est très réduit»
La toponymie permet d’accéder à certains éléments de l’histoire d’un lieu, comme à Namur, par exemple. Elle est aussi liée à des enjeux d’identification sociale selon Jean Germain, ancien professeur à l’UCLouvain.
Que peuvent nous enseigner les noms des rues sur l’histoire d’une ville comme Namur?
Je dirais beaucoup et peu à la fois. Tout dépend de la ville et de l’éventail des noms. Soit ces noms vénérables se sont perpétués depuis des siècles et la ville a eu l’intelligence de les conserver précieusement comme témoins. Soit d’autres noms ont été adoptés de façon volontariste pour rappeler à bon escient des hauts faits ou des anecdotes de cette histoire et pour transmettre celle-ci aux générations actuelles.
Dans le cas de Namur, quelle histoire peut-on lire en filigrane de ces noms?
Si l’on s’en tient à ma réponse précédente, on peut supposer qu’à travers tous les noms qui animent son paysage urbain, à quelques exceptions près, on peut déterminer à coup sûr qu’il s’agit bien de Namur. Namur n’est ni Liège ni Dinant et on ne peut se tromper. Bien sûr, l’histoire est multiple. Elle est tout autant prémédiévale et médiévale que contemporaine, avec des noms de comtes ou de souverains. Elle est également architecturale, artistique ou culturelle, économique, religieuse, mais surtout militaire, notamment à travers les héros qui l’ont illustrée. Les noms des personnalités politiques marquantes tels que rue François Bovesse ou rue Joseph Calozet, et ceux des gouverneurs ou maïeurs, comme au boulevard Cauchy ou à la rue Emile Cuvelier, ne sont pas en reste. Cela dit, s’agissant des noms mettant en valeur des personnes, on constate souvent que 90% des gens qui y habitent ignorent de qui il s’agit. Le caractère mémoriel est dès lors très réduit. D’où l’utilité de brèves notices biographiques placées sous la plaque commémorative. Personnellement, je reste très attaché aux noms des anciens métiers et confréries qui sont à la base même du développement de la ville et de ses quartiers au Moyen Age: rue des Bourgeois, rue des Brasseurs, rue des Tanneurs, quai des Joghiers, rue des Arbalétriers, etc.
Pour le spécialiste de la toponymie que vous êtes, à quoi reconnaît-on un «bon» nom de rue? Auriez-vous un exemple namurois?
Permettez-moi une boutade: je choisirais la ruelle de l’Enfer, à Salzinnes, ne fût-ce que parce qu’elle a résisté au temps et qu’on ne l’a jamais remplacée. Cela dit, des bons noms de rue, il peut y en avoir de toutes les sortes. La reprise, ou plutôt la fixation, d’anciens lieux-dits permet également une coloration locale. Par exemple, place d’Hastedon, rue du Grognon, place l’Ilon, rue de Plomcot, etc. Notre Commission est aussi très sensible à l’aspect dialectal de certaines dénominations. Par exemple, Tienne-aux-Baloûches (hannetons). Le compositeur de l’hymne namurois Li Bia Bouquet, Nicolas Bosret, n’a bien sûr pas été oublié. Un peu de poésie ne fait pas de tort non plus. Ainsi, promenade de la Douceur mosane pour un quai récemment dénommé. A contrario, nous demandons d’éviter les termes abstraits ou moralisateurs, comme il en a fleuri beaucoup à la fin du XIXe siècle (pas à Namur), du type place de la Tempérance… Dans les zones d’activités économiques, il y a des réflexes analogues: ainsi, au nord de Namur, rue de la Durabilité ou rue des Possibles ; il est souhaitable de les limiter à ces espaces d’une autre nature.
L’attribution de ces noms est une compétence communale. Comment les communes l’exercent-elles, selon vous?
Je dirais de façon de plus en plus responsable, avec le recours à de petites «cellules» ou «commissions» de réflexion sur les aspects mémoriels de la toponymie urbaine (ou odonymie). C’est le cas de Namur, au sein du service de géomatique et géographie urbaine. Les citoyens sont davantage entendus ou consultés, comme ce fut le cas en 2016 pour la dénomination de la passerelle entre Namur et Jambes, à savoir L’Enjambée (en wallon, L’Ascauchîye), au travers d’un concours. Il y a cinquante ans, c’était plus souvent bâclé et les procès-verbaux des conseils communaux, souvent muets à ce sujet, ne donnent guère d’indications sur les raisons des choix qui ont été faits. Par ailleurs, notre Commission royale francophone de toponymie et de dialectologie a joué un rôle déterminant pour conscientiser les villes et communes aux enjeux de cette sorte d’identification sociale que peut véhiculer l’adhésion à des noms de rue. L’an dernier, nous avons adressé à toutes les communes un Guide pratique des noms de voies publiques en Belgique francophone. De là à avoir des stratégies dénominatives pour les vingt ans à venir, avec le développement de nouveaux quartiers et les mutations des structures urbaines, il y a encore du chemin. Je ferai exception pour la mise en valeur progressive de noms de femmes célèbres ou reconnues afin de rééquilibrer le sort réservé aux deux sexes. Namur a déjà fait un pas important en ce sens, mais cela prendra du temps car il faut d’abord décéder, ce qu’on ne souhaite à personne…
Sentez-vous un intérêt croissant du grand public pour la toponymie et ses liens, par exemple, avec l’histoire d’une ville? Ou cela reste-t-il un domaine de connaissances délaissé?
Oui certainement, du moins pour des historiens ou des érudits locaux. Cela s’est surtout marqué en 2014 à l’occasion des célébrations du centenaire de la guerre 14-18. Parfois aussi pour diverses activités, industrielles, folkloriques, etc. Les chercheurs trouveront leur bonheur aux Archives régionales de Wallonie, à Beez, où nous avons déposé nos archives, bien inventoriées par les archivistes de ce service. Mais les noms des rues ont perdu une grande partie de leur raison d’être avec la diminution du courrier postal due à Internet et aux e-mails. Ils sont désormais utilisés surtout par les GPS.
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