Dossier spécial Namur : Féminisation et décolonisation dans le débat des noms de rue
La Ville a entrepris de féminiser les noms de ses rues. Le résultat est salué, mais jugé insuffisant. Parallèlement, les autorités ont dû réfléchir au sort de plusieurs rues de Salzinnes.
Ces dernières années, plusieurs débats de société ont renouvelé les discussions en matière de toponymie. A Namur, la féminisation des noms de rue est ainsi devenue un objectif déclaré pour tenter de corriger une situation très nettement en défaveur des femmes. Avant 2015, une petite vingtaine seulement, soit 2% des 1 750 voiries répertoriées, avaient droit à une plaque de rue à leur nom. La Ville a dès lors confié à une plateforme communale, baptisée Namur’Elles et rassemblant plusieurs associations, la tâche de lui faire des propositions. Une liste d’une quinzaine de noms fut établie, dans laquelle les autorités communales ont pu «piocher».
Depuis lors, toutes les propositions ont trouvé une place dans l’espace public pour baptiser une rue, une venelle ou un clos. Parmi ces noms, des figures féminines à la renommée internationale telles Marie Curie, Simone Veil ou Hannah Arendt. Ou des femmes namuroises méconnues comme, par exemple, Betsy Castreman, première conseillère communale namuroise (1921), Hélène De Visscher, fondatrice de l’Ecole sociale de Namur, Geneviève Guillaume, «Juste parmi les Nations», ou Evelyne Axell, artiste pop art.
Cette mise en exergue de personnalités locales est, sans aucun doute, l’une des particularités du travail entrepris à Namur. Elle contrebalance un argument fréquemment entendu: à l’échelon communal, la féminisation des noms de rue aurait pour frein le manque de personnalités à mettre à l’honneur.
«Ce travail s’inscrit dans une démarche plus large, affirme Maxime Prévot, le bourgmestre. Il faut le prendre en considération à côté d’autres habitudes et d’autres actions que nous avons adoptées. Désormais, par exemple, nous travaillons avec une asbl qui nous permet d’avoir une lecture genrée lorsqu’on conçoit de nouveaux espaces. Globalement, je crois qu’on a pu de la sorte intégrer la revendication générale de féminiser l’espace public.»
Plus qu’un symbole
Les associations namuroises sont souvent plus nuancées. «Il ne s’agit pas de dénigrer ce qui a été fait depuis quelques années, assure Laurence Lesire, secrétaire régionale de Vie Féminine. En matière de toponymie, les choses ont avancé. Mais avec seulement quinze nouvelles rues au féminin, le processus reste lent et le signe faiblard. Pourquoi, par exemple, plutôt que d’attendre de nouvelles voiries à baptiser, ne se sert-on pas de celles qui portent des noms de fleurs, d’arbres ou d’oiseaux pour les attribuer à des femmes? Cela permettrait d’accélérer les choses.» Laurence Lesire estime que la féminisation des rues et de l’espace public namurois dépasse le symbole, car elle témoigne, selon elle, de l’intérêt des autorités communales pour les réalités des femmes.
«Cette question des noms de rue n’est clairement pas que symbolique, abonde Nomi, coordinatrice de la Maison Arc-en-Ciel, coupole associative active dans toute la province de Namur, chargée entre autres de promouvoir l’égalité des chances. Elle doit servir de levier pour parler de la place des personnes sexisées dans l’espace public et de leur visibilité ou non. Nous voudrions notamment que la question puisse être abordée de façon intersectionnelle avec la mise à l’honneur, également, au travers des nouvelles dénominations, de femmes lesbiennes ou de femmes transgenres.»
Plus récemment, le débat s’est élargi, à Namur aussi, sur la décolonisation des noms de plusieurs voiries d’un quartier de Salzinnes, pointées pour leurs références à Léopold II et à des figures ou événements de la période coloniale belge (Père Cambier, Sergent Vrithoff, André Ryckmans, la bataille de Tabora). Si certaines voix se font entendre ça et là dans le milieu associatif namurois pour supprimer ces dénominations, la revendication n’est pas portée spécifiquement, jusqu’ici, par une association.
Plus qu’un symbole
La Ville, elle, ne veut pas aller dans cette direction: «L’histoire est ce qu’elle est, justifie Maxime Prévot. Il n’est pas question pour nous de faire du révisionnisme historique. En revanche, il faut de la mise en perspective et de la pédagogie. C’est la démarche dans laquelle nous nous sommes engagés, en collaboration avec la diaspora africaine: désormais, des plaques explicatives ont été apposées à côté du nom des rues en question.»
Les visites thématiques remportent un certain succès
Les visites organisées par l’Office du tourisme de Namur sur la thématique de la toponymie connaissent un joli succès. C’est Monique Van de Walle qui s’en charge. Cette ancienne professeure de mathématiques a développé un intérêt pour la capitale wallonne et ses rues. A la retraite, elle a décidé de devenir guide et de partager ses connaissances.
Ces visites guidées d’une durée de deux heures dans le centre de Namur font le lien entre les rues de la ville et une histoire longue de plusieurs siècles durant lesquels la cité s’est développée et a repoussé à plusieurs reprises ses forteresses. Des rues se sont créées, d’autres ont disparu. Ce sont les petits secrets de cette histoire que Monique narre, agrémentés d’une série d’anecdotes. Un exemple: la rue de l’Inquiétude, située à deux pas de la gare, fut baptisée de la sorte, semble-t-il, parce qu’elle jouxtait la porte de Fer où était cantonné «tout qui était considéré comme fou».
Monique Van de Walle entamera cette année des visites en néerlandais pour les touristes flamands et néerlandais. «Je vais peut-être devoir les adapter un peu, indique-t-elle. Pas sûr, en effet, que certains éléments que j’ai l’habitude d’aborder leur parlent autant.»
Infos et réservation: www.namurtourisme.be
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