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« Plus d’assurance et un zeste d’audace »: comment le roi Philippe a fait taire la critique en 10 ans de règne

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Ce 21 juillet, cela fait 10 ans que Philippe est monté sur le trône. Qu’apporte le roi au rayonnement de la Belgique? Selon l’historien Vincent Dujardin, les coups de pouce du souverain se révèlent utiles là où les intérêts du pays sont en jeu.

Le 21 juillet 2013, Philippe prête serment en tant que septième roi des Belges. Son père a annoncé officiellement son intention d’abdiquer trois semaines plus tôt. Le 15 avril de cette année-là, au matin, Albert II avait reçu en audience le Premier ministre, Elio Di Rupo (PS). Le roi, fatigué et affecté par des soucis de santé, avait exprimé son intention de passer la main dans les plus brefs délais. Après quasiment vingt ans de règne, il veut suivre l’exemple de la reine Beatrix des Pays-Bas, qui cède sa couronne le 30 avril.

Les dernières années ont été éprouvantes pour le souverain. En 2010-2011, la Belgique est restée 541 jours sans gouvernement, un record dans l’histoire du pays (battu en 2020). Fin 2012-début 2013, les ennuis s’accumulent pour la monarchie: révélations sur la fondation créée par la reine Fabiola en vue d’aider financièrement ses neveux et des œuvres catholiques, remise en cause des dotations princières, affaire Delphine Boël qui rebondit avec fracas (la fille cachée d’Albert l’assigne en vue de la reconnaissance d’une paternité royale via un test ADN).

Eviter les supputations

Lors de l’audience du 15 avril 2013, Albert fait part à Di Rupo de sa volonté d’annoncer dans les jours qui suivent à la population son souhait d’abdiquer. Le Premier ministre rejette cette idée: la N-VA pourrait profiter des trois mois de battement entre l’annonce officielle et l’abdication pour «déstabiliser le pays». En clair, «cette longue séquence serait propice à une avalanche de supputations sur la façon dont le prince héritier assumera la fonction royale», décode l’historien de l’UCLouvain Vincent Dujardin. Elio Di Rupo règle aussi la question des dotations octroyées à la famille royale, après des années de débats qui ont fragilisé la monarchie. En juin 2013, les huit partis associés à la réforme de l’Etat s’entendent pour réformer le système: les bénéficiaires seront désormais assujettis à l’impôt des personnes physiques (IPP) sur la partie traitement et ils devront payer la TVA et les accises. La reine Fabiola, qui recevait un montant annuel de plus de 1,4 million d’euros (27 millions en vingt ans), perd les deux tiers de sa dotation. Le terrain est déminé pour le futur règne.

«Le Premier ministre a bien manœuvré face à un Palais qui a préparé l’abdication de manière non professionnelle, estime Dujardin. Initialement, seul le renoncement d’Albert II au trône était prévu le jour de la fête nationale. Son fils aîné devait prêter serment le lendemain, 22 juillet, sans garantie de succès de foule. Les conseillers du prince ont échafaudé, avec Di Rupo, un plan alternatif: le regroupement des deux événements le même jour, le 21, ce qui a permis à Philippe de présider son premier défilé militaire et civil et d’être la vedette des festivités.»

Un roi prudent et réservé

Dès la passation de pouvoirs, l’image de Philippe s’améliore. «Les commentateurs voient en lui un autre homme, relève l’historien. Je pense plutôt qu’il reste lui-même, un roi prudent et réservé, un souverain du sourire plus que du rire, à la différence de son père. Il a surtout eu l’habileté, dès le 21 juillet 2013, de reconnaître le fait régional, ce qui a rassuré la Flandre.»

En février 2013, cinq mois avant l’abdication d’Albert II, 53% des Belges estiment que le prince Philippe, perçu alors par beaucoup comme «pas capable», «maladroit» et «mauvais communiquant», fera un bon souverain. En mai 2014, 60% des Belges sont favorables au roi Philippe, selon un nouveau sondage. Les chiffres révèlent qu’il a surtout gagné en popularité en Flandre (+ 10%), où le niveau d’adhésion au régime monarchique est plus bas qu’à Bruxelles et dans le sud du pays. Après cinq années de règne, la presse flamande devient même dithyrambique. «Comment le roi Philippe a sauvé la monarchie», titre Knack le 21 juillet 2018. En 2020, le Morgen et le Standaard présentent le souverain comme «un roi moderne».

Parcours presque sans accroc

Assisté par la reine Mathilde, pièce maîtresse sur l’échiquier royal à l’étranger comme en Belgique, Philippe fait un parcours quasi irréprochable, notent les observateurs. Beaucoup saluent son rôle dans la formation du gouvernement fédéral et dans la résolution de l’affaire Boël. «Ces appréciations positives lui ont donné plus d’assurance dans la sphère publique, constate Vincent Dujardin. Il a aussi gagné un zeste d’audace depuis que Vincent Houssiau a remplacé, en 2017, Frans Van Daele comme chef de cabinet du roi. Les deux diplomates aguerris ont épaulé efficacement le souverain, mais le premier a plus de contacts dans le monde politique belge, alors que le carnet d’adresses de Van Daele, du fait de sa carrière, était plus orienté vers les cénacles européens.»

L’audace mesurée du roi s’est notamment manifestée lors de la crise politique de 2019 – 2020: le choix de certains informateurs et formateurs a surpris, tout comme la décision de Philippe de mettre fin à une mission quand le Palais juge qu’elle a peu de chances d’aboutir à un résultat. Les regrets du roi pour les méfaits commis au Congo sous le règne de son aïeul Léopold II ont été, en juin 2020, l’un des moments forts des dix ans de règne. «A ce jour, ce message royal, réitéré lors de la visite de Philippe et Mathilde en RDC en juin 2022, est le seul texte officiel belge qui est allé aussi loin dans la condamnation du système colonial», signale le spécialiste de la monarchie. Et pour cause: la commission parlementaire Congo s’est soldée par un échec. Fin 2022, après plus de deux ans de labeur, elle a dû ravaler excuses et réparations, faute de consensus.

Les regrets du roi pour les méfaits du régime léopoldien au Congo: une condamnation explicite du système colonial.
Les regrets du roi pour les méfaits du régime léopoldien au Congo: une condamnation explicite du système colonial. © getty images

La préparation d’Elisabeth

La communication du Palais s’est modernisée, comme en témoigne la vidéo humoristique qu’il a postée sur Twitter en novembre dernier, à quelques jours du début de la Coupe du monde au Qatar: on y voit le roi jouer le rôle d’entraîneur des Diables Rouges.

Dans le même temps, Elisabeth, la princesse héritière, est préparée par petites touches à sa future fonction. Mathilde lui a ainsi cédé sa place aux côtés du roi Philippe à la réception organisée au palais de Buckingham, le 5 mai dernier, veille du couronnement de Charles III.

Elisabeth se prépare pour la relève. Ici, avec son père pour le couronnement de Charles III d’Angleterre.
Elisabeth se prépare pour la relève. Ici, avec son père pour le couronnement de Charles III d’Angleterre. © getty images

Les parents de la jeune fille veillent toutefois à ne pas trop l’exposer, alors qu’elle poursuit ses études d’histoire à Oxford. Ils tiennent aussi à associer leurs autres enfants à des tâches de représentation. En avril, le prince Gabriel a accompagné son père à Kourou, en Guyane française, pour assister au lancement de la fusée Ariane 5, qui a mis en orbite le satellite Juice.

Le déficit de sérénité familiale est un caillou dans la chaussure d’un souverain.

Depuis le début de son règne, Philippe a veillé à ramener une certaine sérénité au sein de la famille royale. «Le déficit de sérénité familiale est un véritable caillou dans la chaussure d’un souverain, assure Dujardin. Si la popularité de la famille royale britannique se tasse depuis le décès de la reine Elizabeth, c’est pour une large part en raison de l’incessant déballage autour du couple Harry et Meghan et du prince Andrew. Pour exercer une magistrature d’influence, une monarchie constitutionnelle doit bénéficier de la sympathie populaire.»

Un appui à l’international

La dimension symbolique de la fonction royale permet à Philippe d’exercer une influence là où les intérêts belges sont en jeu. En mai 2018, le souverain et la reine Mathilde se rendent à New York pour appuyer la candidature de la Belgique à un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU pour l’année 2019-2020. Le roi aurait aussi joué un rôle dans la nomination de Raphaël Liégeois comme astronaute de l’Agence spatiale européenne (ESA). «Le monarque a rencontré le directeur de l’ESA», a révélé, le 23 novembre à Paris, Thomas Dermine, secrétaire d’Etat en charge de la Politique scientifique. Cette entrevue entre le souverain et Josef Aschbacher a eu lieu deux mois avant la sélection finale, a précisé Raphaël Liégeois, qui ajoute: «Le roi a parlé de sa passion pour les voyages spatiaux et du désir de tout le peuple belge d’avoir éventuellement un astronaute.»

La dimension symbolique de la fonction royale permet d’exercer une influence là où les intérêts belges sont en jeu, de l’ONU à l’ESA.

La monarchie est un atout dans les bonnes relations que la Belgique entretient avec certains pays extraeuropéens, du Japon au sultanat d’Oman. En février 2022, le couple royal effectue à Oman son premier déplacement extra-européen depuis la pandémie. Il inaugure un port où opèrent des entreprises belges et qui est appelé à devenir, en 2026, le premier jalon d’un hub européen de l’hydrogène vert, source d’énergie qui peut aider la Belgique à sortir son économie des énergies fossiles. Plus récemment, les contacts étroits entre le roi et le sultan omanais Haitham bin Tariq ont aidé à la libération d’Olivier Vandecasteele. Les discussions entre représentants belges et iraniens ont eu lieu à Mascate, la capitale du sultanat, et l’otage a été acheminé par avion à Oman, où il a été remis à une délégation belge. «Philippe est un roi à temps plein, dont les relations peuvent se révéler utiles», commente l’historien.

Les contacts étroits entre le roi Philippe et le sultan omanais ont aidé à la libération d’Olivier Vandecasteele.
Les contacts étroits entre le roi Philippe et le sultan omanais ont aidé à la libération d’Olivier Vandecasteele. © getty images

Philippe et Jack Ma

En mars 2020, le roi intervient auprès de Jack Ma, fondateur et ancien patron du géant chinois de l’e-commerce Alibaba, pour que la Belgique, touchée par le Covid-19, reçoive 500 000 masques de protection et trente mille kits de tests. En mai 2016, le milliardaire chinois a été reçu avec tous les honneurs au château de Laeken. Au cœur des discussions: le rôle potentiel d’Alibaba en tant que porte d’entrée vers le marché chinois pour les marques et fournisseurs belges. Le roi et Jack Ma se sont aussi vus, à plusieurs reprises, au Forum économique de Davos. Depuis lors, Alibaba a implanté son hub européen à Liege Airport, où Cainiao, sa filiale de tri et de distribution de produits chinois, s’est déployée sur 220 000 mètres carrés.

«Les coups de pouce du roi dans les dossiers économiques et commerciaux sont d’autant plus utiles que la Belgique souffre du handicap de l’éclatement des compétences entre le fédéral et les trois Régions», remarque Vincent Dujardin. Sous le règne de Philippe, le volet économique des visites d’Etat a été renforcé. Le Palais est parvenu ainsi à contrebalancer la réduction du nombre des missions économiques princières (menées depuis dix ans par la princesse Astrid), passées de quatre à deux par an sous la pression financière du gouvernement flamand.

Biden et Zelensky au Palais

Philippe a aussi endossé le rôle d’accueillir les chefs d’Etat étrangers en visite en Belgique. En juin 2021, la photo officielle de la rencontre entre Joe Biden, le roi et le Premier ministre Alexander De Croo a été prise sous les lustres de la grande galerie du palais de Bruxelles. Le souverain avait déjà reçu en audience deux autres présidents américains: Barack Obama en mars 2014 et Donald Trump en mai 2017. «Lors de la visite de Trump, il y eut des échanges entre le Palais et le Premier ministre, car Charles Michel aurait préféré que sa réunion de travail avec le président des Etats-Unis ne se tienne pas chez le roi, glisse Vincent Dujardin. Mais les diplomates américains ont demandé aux autorités belges d’organiser l’entretien au palais royal.»

Lors de la visite du président Zelensky, Alexander De Croo a compris l’intérêt de jouer la carte royale.
Lors de la visite du président Zelensky, Alexander De Croo a compris l’intérêt de jouer la carte royale. © getty images

Le 9 février dernier, le président Volodymyr Zelensky se rend en Belgique. Une série d’entretiens sont prévus au niveau européen. La seule rencontre bilatérale belgo-ukrainienne est une audience au Palais, où Zelensky est reçu par Philippe et Alexander De Croo. «Le rayonnement symbolique de la fonction royale a conduit le président ukrainien à faire le déplacement jusqu’au Palais, ce qui a permis au Premier ministre belge de s’entretenir avec lui hors du cadre collectif européen, explique l’historien. Faute de temps, Zelensky n’a pas eu de tête-à-tête avec chaque dirigeant des Vingt-Sept. Le Premier ministre, qui a compris tout l’intérêt de jouer la carte royale, ne s’est pas formalisé pour une question d’image

160

audiences royales se tiennent chaque année.

200

activités officielles, en moyenne, sont menées annuellement par le roi.

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