Dimitri Fourny écope de 6 mois avec sursis: redécouvrez son portrait
La politique est sa vie, mais son inculpation dans l’affaire des procurations de Neufchâteau pourrait bien tout balayer. Ardennais entier, député CDH brutal et ami serviable, Dimitri Fourny incarne toute la complexité des facettes qui tiraillent un être, comme une commune de tout temps indécise. Où tous les coups sont permis?
Ce portrait de Dimitri Fourny a été réalisé au printemps 2019. Le Vif vous propose de le redécouvrir, alors que l’ex-bourgmestre de Neufchâteau a écopé de 6 mois de prison avec sursis pour une fraude électorale qui s’est déroulée lors des élections communales de 2018.
Est-ce déjà la fin? » Inculpé. » Le mot cogne, au moins autant que ceux que Dimitri Fourny manie de sa voix grave sur le ring politique. Sauf que cette fois, c’est l’Ardennais de 46 ans qui encaisse le coup. » Je suis droit dans mes bottes. Dans 15 jours, on valide les élections et on passe à autre chose « , avait-il assuré à ses proches il y a à peine un mois. Et puis, le couperet est tombé, le 21 mars dernier, par l’une de ces rares journées où l’existence peut basculer en quelques secondes, comme quand cette méningite avait failli l’emporter lorsqu’il était aux études. Au terme d’une enquête judiciaire de cinq mois, le parquet du Luxembourg annonce l’inculpation de 21 personnes à Neufchâteau. Elles sont suspectées d’avoir falsifié le résultat des élections communales d’octobre 2018, via 18 procurations au nom de résidents d’un home. Parmi elles, le bourgmestre sortant, Dimitri Fourny ainsi que son épouse et sa fille. Il n’avait pu conserver sa majorité qu’à 16 voix près, avant que le scrutin ne soit frappé d’un recours des deux listes rivales.
Des fonds pour la croix-rouge, des vêtements pour les petits riens… : tout cela, Dimitri le faisait spontanément.
Faux en écritures et usage de faux. Abus de confiance et de faiblesse. Participation à une association de malfaiteurs. Même si l’ex-chef de groupe du CDH au parlement de Wallonie reste présumé innocent, les chefs d’inculpation l’ont déjà incité à retirer sa candidature aux élections de mai prochain (2019, NDLR), afin de » mieux défendre son honneur « . Ils pourraient bien tout balayer : sa carrière politique, de Neufchâteau jusqu’au firmament ministériel qu’il convoitait. Sa réputation, y compris en tant qu’avocat. L’oeuvre d’une vie dictée par un travail acharné, souvent au détriment de sa famille.
La politique, passion première de Dimitri Fourny
Il en faut beaucoup pour bousculer l’ex-défenseur de l’équipe de Longlier, qui a évolué jusqu’en deuxième provinciale. Mais cette fois… S’il dit rester serein, ce père de deux enfants sait que la seule étiquette d’inculpé, même s’il venait à être blanchi, peut stopper net son ascension. « Il vit et respire politique, c’est sa passion première », raconte son frère Vincent, de huit ans son cadet, à qui Dimitri Fourny a transmis l’envie de s’engager en politique, dans la commune voisine de Léglise. Une aspiration guidée par une grande part d’inné, bien plus qu’une histoire de famille. Leur papa, très actif dans le foot local, était cheminot, tandis que leur mère s’occupait des quatre enfants depuis leur maison de Petitvoir, l’un des villages de Neufchâteau. En revanche, les discussions avec son oncle Yves Focant, bourgmestre de Tournay avant la fusion des communes, ont largement forgé sa conscience politique.
Un engagement logique, somme toute, pour l’ado qu’il était dans les années 1980 : hyperactif et déjà très remarqué, comme son rire tonitruant. Par ses professeurs de l’Institut Saint-Michel, à l’égard desquels il pouvait se montrer railleur. Au foot, où il assumait le rôle de capitaine d’équipe. Dans les rues de son village, qu’il arpentait pour faire du bénévolat, dans la droite lignée d’une éducation judéo-chrétienne et de la fibre altruiste de ses parents. « On allait récolter des fonds pour la Croix-Rouge et des vêtements pour les Petits Riens, se rappelle son frère. Tout cela, Dimitri le faisait spontanément. Il a toujours eu la bougeotte ; il faisait aussi du théâtre amateur, partie d’un club de jeunes… » Dans le journal local Info Flash, qu’il crée avec son futur beau-frère, il écrit des pamphlets politiques. Un fait d’armes qui consolide son image de jeune dynamique, volontaire et disponible, comme le souligne sa première affiche électorale en octobre 1994.
La patience d’un stratège
A l’époque, Dimitri Fourny, étudiant en droit à Louvain-la-Neuve, n’a que 22 ans. Spectateur du conseil communal, il se voit proposer une place de candidat par le bourgmestre sortant Marcel Lambrechts (PSC). « J’ai senti assez vite que ce garçon avait un profil politique », témoigne-t-il. L’entrée est réussie : auteur du troisième meilleur score de la liste, Dimitri Fourny est élu. Si l’équipe est renvoyée dans l’opposition, en raison d’une dissidence libérale, le jeune conseiller communal séduit d’emblée l’ancien mayeur. « Il présentait bien, savait vite décider, parlait sans hésiter. La chose publique l’intéressait beaucoup. Et il ne tentait pas de prendre le dessus sur moi. « Depuis les bancs de la majorité de l’époque, l’ex-bourgmestre Nelly Gendebien (MR), aujourd’hui dans son camp à l’échelle locale, garde le souvenir d’un jeune impétueux, dur mais « fair-play ».
En 2000, plusieurs opportunités se présentent à lui, tandis qu’il se fait un nom d’avocat en prenant, entre autres, la défense de l’entreprise Fogra, lors de la crise de la dioxine un an plus tôt. Les élections communales, d’abord, où il apparaît cette fois en deuxième position de la liste Ensemble, derrière l’ex- magistrat Pierre Ghislain. « J’avais dit à Dimitri que c’était trop tôt pour prétendre à la première place, relate Marcel Lambrechts. Il était suffisamment stratège pour le comprendre. » Mais à un siège près, l’équipe échoue dans l’opposition pour six années de plus. Approché pour figurer sur la liste provinciale CDH, Dimitri Fourny y renonce, toujours sur les conseils de Marcel Lambrechts : « Tâche plutôt d’être suppléant à la Chambre, pour te faire connaître ailleurs. »
Les dossiers et combat de coqs de Dimitri Fourny
Ce qu’il fera en 2003, puis en 2004 à la Région, où il décroche finalement un siège de député. D’emblée, cet amateur de repas en famille y impose un style offensif, mitraillant l’assemblée de centaines de questions parlementaires. Président des commissions budget, finances, infrastructures, équipement et patrimoine. Membre des commissions spéciales Francorchamps, Awiph et Immo-Congo (l’une des affaires carolos). Le rouleau compresseur Dimitri Fourny se forge une réputation « d’homme de dossiers » que personne ne conteste. Là voilà enfin, cette ascension à laquelle il aspire ! Mais sa personnalité en indispose plus d’un. « Il incarne une certaine brutalité, constate un député. Il peut se montrer machiste, facilement moqueur, humainement pénible, jusque dans son propre parti. Ce n’est pas quelqu’un de correct lors de négociations. Il fait partie de ce CDH qui peut vous planter un couteau dans le dos. »
Dans le même temps, aucune éclaircie à l’horizon dans la constellation politique de Neufchâteau, qui voit éclore, dès 2000, un autre jeune ambitieux sur la liste de Nelly Gendebien : Yves Evrard, censé hériter du flambeau mayoral en 2005, en vertu d’un accord passé au lendemain du scrutin. Le deal ne sera jamais entériné, faute de la signature d’un colistier. Qu’importe : malgré les départs de Nelly Gendebien et de l’échevin Guy Lescrenier vers la liste de Dimitri Fourny, Yves Evrard devient bourgmestre en 2006, grâce à une tripartite lui permettant de composer une majorité à un siège près. Deux ans plus tôt, les discussions entre Evrard et Fourny pour tenter de travailler ensemble s’étaient soldées par un échec, malgré le souhait formulé en ce sens par une partie de la population, dans une commune alors en grande difficulté financière. Cet épisode de 2004 sera vécu comme une « rupture de confiance« . « Dimitri et moi nous sommes construits l’un et l’autre avec des manières totalement différentes de fonctionner », résume Yves Evrard, par ailleurs député-sénateur MR. C’est ainsi que naît le plus long combat de coqs de Neufchâteau, pourtant habituée aux passes d’armes politiques.
Domiciliations éphémères
Dans cette commune de 7 700 habitants, l’histoire se répète. En 1976, lors du premier scrutin entérinant la fusion des communes, la majorité s’y était jouée à… une voix près. Les habitants, les Chestrolais, avaient dû repasser aux urnes quelques mois après, vu qu’une personne avait voté deux fois. A l’approche des élections de 2012, Fourny et Evrard savent tous deux que le mayorat peut, une fois de plus, basculer pour un rien. Ici, les électeurs, essentiellement de centre-droit, votent en fonction des personnes et d’un clivage entre les ruraux et le centre-ville, bien plus qu’au départ des idées. Après dix-huit ans d’opposition et une campagne menée tambour battant, Dimitri Fourny devient enfin bourgmestre, en gagnant la lutte à quelques dizaines de voix près. Aidés, à l’époque, par une manoeuvre surréaliste. Dans une interview à la chaîne TVLux, Franco Lapietra, un entrepreneur de la région, confirme s’être domicilié éphémèrement à Neufchâteau dans le seul but de voter pour son ami Fourny. Interrogé à ce sujet, un membre de la liste Agir ensemble précise aujourd’hui que Lapietra avait également fait domicilier plusieurs de ses ouvriers en ce sens.
Il peut se montrer machiste, facilement moqueur, humainement pénible, jusque dans son propre parti.
Sous l’ère Fourny, Neufchâteau prend une autre dimension. Fier d’une commune qu’il ne quitterait pour rien au monde, pas même pour asseoir son envergure politique, il entend briser un complexe d’infériorité historique à l’égard de Libramont. « Nous avons remis les finances à flot et lancé les projets, lui a posé les plaques inaugurales », grince Yves Evrard. La méthode Fourny divise, autant que son caractère clivant. « Il a un tempérament de chef, décrit Marcel Lambrechts. Il tient compte des personnes qu’il juge sensées, mais à armes égales, il fonce. Certains le prennent pour un arriviste. Lui a conscience qu’il a un rôle à jouer dans la société, pour le bien de Neufchâteau. » D’après Nelly Gendebien, le personnel communal ne doit attendre aucune gratitude de sa part. « Son cerveau fonctionne comme un ordinateur, commente son frère Vincent. Il sait où il veut aller, ce qui force l’admiration pour les uns mais peut en gêner fortement d’autres ». Jusqu’à recevoir des menaces de mort, adressées à toute sa famille, à la suite d’une polémique locale sur… une statue de sanglier.
L’ami serviable et le finaud
De son côté, le bourgmestre de Ganshoren, Pierre Kompany (CDH) ne tarit pas d’éloges pour celui qu’il appelle « Dimi ». Il le dépeint comme un « distributeur de conseils », fidèle, serviable et entier. Comme lorsqu’il retrousse ses manches derrière le bar du club de foot de Longlier, pour faire face à l’affluence inattendue que draine un épisode des Héros du gazon. « Il mérite beaucoup de respect pour ce qu’il est. Avec moi, il a toujours tenu parole. Il a le nez fin dans les relations humaines. Il peut marcher avec ceux qu’il aime, mais aussi avec ceux envers qui le doute persiste. »
En 2017, Dimitri Fourny se profile comme un canonnier de la bonne gouvernance, pendant les cinq mois de la commission d’enquête Publifin. « Avec lui, un accord négocié est respecté, mais jamais au-delà de ce qui a été convenu, avance le ministre Jean-Luc Crucke (MR). Si on lui laisse la possibilité d’une imprécision, il peut s’engouffrer dedans. C’est un finaud. Mais si le fond est là, les formes peuvent être blessantes, sans qu’il en ait conscience. » Une stratégie qui peut se retourner contre lui, d’après un parlementaire. Notamment en 2016, quand il incite la majorité PS-CDH à approuver au forcing le Code du développement territorial (CoDT) en commission, sans l’opposition MR et Ecolo, qui avait dénoncé un débat cadenassé avant de quitter la salle. « Sa bêtise a affaibli le texte au bout du compte, qui n’était pas abouti et qui a souffert par la suite de ses approximations. »
Il peut être bon. Il peut être brut. Dimitri Fourny aurait-il pu truander pour conserver son mayorat? Pour ses proches, cette hypothèse est » impensable « . En août 2018, soit deux mois avant le scrutin et l’enquête judiciaire, son rival Yves Evrard s’était déjà inquiété, auprès de la ministre des Pouvoirs locaux, Valérie De Bue (MR), de potentiels « petits cadeaux » accompagnant les procurations dans les homes. Quelques mois plus tôt, il avait aussi dénoncé le curieux agenda de la fête communale de Neufchâteau, traditionnellement organisée en novembre mais avancée, en 2018, à la date du 13 octobre… Soit la veille des élections. La raison officielle : l’humoriste présent pour l’occasion ne disposait pas de dates en novembre. Un heureux hasard, si tel est le cas, pour aider un collège sortant à empocher sur le fil quelques voix de plus.
Ce jeudi 4 avril, Dimitri Fourny, toujours bourgmestre en affaires courantes, est convié à l’audience d’introduction auprès du gouverneur de la Province, en vue de valider ou non les élections de Neufchâteau. Où tous les coups sont permis ? « La violence du jeu ne justifie pas la violence des actes entre les individus », estime Pierre Kompany. C’est peut-être dans ce message que se cache la plus noble issue aux improbables rapports de force chestrolais. Et la plus grande leçon à en tirer, quels que soient le camp ou la personne.
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