Di Rupo, Van Grieken et Rousseau sur Tik Tok : précurseurs d’un nouveau moyen de communication politique ?
Le 26 février dernier, Elio Di Rupo se lançait sur Tik Tok, le réseau social préféré des adolescents, comme Tom Van Grieken (Vlaamse Belang) et Conner Rousseau (SP.A) peu avant lui. Précurseurs d’un nouveau moyen de communication politique ?
Ce n’était pas un moment saisi au hasard. Pas le style d’Elio Di Rupo. Son arrivée sur Tik Tok, le ministre-président wallon y réfléchissait au moins depuis le mois de janvier. Restait à trouver l’opportunité respectant les codes de cette appli : une vidéo, si possible drôle, si possible dansante, si possible musicale, si possible divertissante, à défaut d’être intéressante. Alors, quand le socialiste, un jour de carnaval binchois, s’est dandiné une orange à la main au son des trompettes, son équipe com (dont un temps plein fraîchement engagé et dédié à la gestion des réseaux sociaux) a pris ça comme pain bénit. 38 200 personnes l’ont vu, un peu moins de 1 500 ont liké, peut-être par amusement ou par intérêt.
Les jeunes se désintéressent peut-être moins de la politique que les adultes pourraient le supposer.
750 se sont abonnés. Elio Di Rupo (68 ans) pourrait très certainement être leur grand-père : sur Tik Tok, les utilisateurs sont jeunes, voire très jeunes. Entre… 10 et 19 ans, pour la tranche d’âge la plus représentée, suivie des 20-29. Même pas encore des électeurs ! Mais il n’est jamais trop tôt, pour » être présent chez les jeunes « , comme l’a justifié le porte-parole du Montois. Et on n’est jamais trop vieux, pour » s’adapter aux canaux de communication du xxie siècle. » Fussent-ils fortement décriés : le réseau chinois est accusé d’être un repaire de pédophiles et de permettre la propagande de l’Etat islamique.
Les autres partis se sont un peu moqués ( » franchement, les politiques ont déjà du mal à être pris au sérieux… « ). Mais juste un peu : Ecolo, le CDH et le MR admettent tous réfléchir à la question. Comme ils l’avaient déjà fait à l’époque pour Snapchat, sans finalement réellement investir ce créneau de communication, dont la popularité avait de toute façon fini par décliner. Mais comment nier Tik Tok, troisième application la plus téléchargée au monde, derrière WhatsApp et Messenger, mais devant Facebook et Instagram ?
Quatre ans qu’elle existe, mais les adultes la découvrent seulement. Parce qu’ils sont parents et que leur progéniture y passe en moyenne près d’une heure par jour, à consommer des vidéos d’une jeune fille à l’harmonica coincé dans la bouche ou de l’opération chirurgicale d’une banane. Ou parce qu’ils sont politiques, toujours en quête de visibilité et de jeunesse. D’autant que les vidéos peuvent vite devenir virales. Les deux de Conner Rousseau (26 ans), président du SP.A, ont été vues près de 11 000 fois, mais cela reste une piètre performance comparée à l’unique et récente publication de Tom Van Grieken, 33 ans, président du Vlaams Belang. Qui fait nee nee avec la tête à la question » y a-t-il un gouvernement belge « , mais ja ja pour » l’indépendance flamande « . 22 800 likes, 495 700 vues, 10 200 abonnés. » Reste à voir s’ils sont réels, s’interroge Nicolas Vanderbiest, spécialiste des médias sociaux. Cela dit, l’extrême droite possède d’énormes clans de supporters. Et comme elle a moins d’accès aux médias traditionnels, elle a pris l’habitude d’explorer de nouveaux canaux. » Comme le PTB, qui reste toutefois absent de l’application. Pour le moment ?
Apolitique… à la base
Et dire que Douyin, de son nom chinois, a tout fait pour ne pas devenir politique ! L’appli chinoise n’autorise pas les publicités politiques. Les rumeurs évoquent des contenus censurés par les équipes modératrices, car trop orientées. Ou trop dérangeantes pour le pouvoir en place, comme la vidéo d’une utilisatrice qui s’indignait des camps de détention chinois. Dans son principe de fonctionnement même, le nouveau passe-temps des ados fait tout pour éviter les utilisations sérieuses. Les vidéos partagées ne sont pas datées et le fil d’actualité n’est pas chronologique, ce qui complique le partage de contenus informatifs ou datés. Du fun, rien que du fun, pour » faire sa journée « , comme le promet le slogan.
Tik Tok est pourtant devenu politique. Pas tellement parce qu’Angela Merkel y a un compte officiel (pas de danse, juste des face caméra). Les élus, en leur nom propre, s’y font encore rares. Mais les utilisateurs en parlent. Et les mettent en scène. Bart De Wever s’y fait caricaturer en marionnette, Emmanuel Macron répond à de fausses interviews dans une voiture, Justin Trudeau se fait demander en mariage (ou attaquer sur ses déguisements racistes), Boris Johnson fait l’objet d’un faux compte aux 22 800 abonnés et Matteo Salvini affonne des verres de jus. Ah non, ça, pardon, c’est son compte officiel…
Les jeunes se désintéressent peut-être moins de la politique que les adultes pourraient le supposer. Aux Etats-Unis, à l’approche de la campagne présidentielle et en pleines primaires démocrates, des adolescents forment des coalitions politiques pour promouvoir leurs candidats, selon un article du New York Times, publié le 27 février. Même s’ils sont parfois trop jeunes pour voter. Certains ont créé des chaînes vidéo, appelées des houses. Démocrates, républicaines, bipartites : pour tous les goûts. Ils postent des informations, s’adonnent au fact checking, réalisent des vidéos à la gloire de leur candidat ou à la disgrâce de celui du camp d’en face. Les débats tournent majoritairement autour de Bernie Sanders et Donald Trump, avec des vidéos hybrides, mi-caricaturales, mi-informatives. » J’ai l’impression d’avoir un impact sur l’élection, même si je ne peux pas voter « , confiait au New York Times Izzy, 17 ans, pro-Sanders. » Il y a beaucoup de contenus politiques sur Facebook et Twitter, mais la génération Z ne les utilise pas, ajoutait Benjamin, 19 ans. Avec Tik Tok, la politique peut être tournée en comédie et parler à des gens de notre âge comme s’ils étaient des amis. »
» Aux Etats-Unis, il y a plus de 300 millions d’habitants. Ça a du sens d’essayer de nouvelles techniques et communications, même si ça ne sert à atteindre qu’une petite partie de l’électorat, pointe Nicolas Vanderbiest. En Belgique, par contre… » Si ce n’est que tous les partis belges, depuis l’élection de Barack Obama, sont convaincus que les campagnes américaines se révèlent précurseuses des tendances de communication à venir. Ecolo, selon la note stratégique de ses coprésidents, a même prévu de créer un observatoire chargé, entre autres, d’analyser les prochaines présidentielles, » car elles préfigurent généralement les usages qui seront la norme dans quelques années « . Peut-être sur Tik Tok, qui sait.
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