Di Rupo va-t-il tuer le PS ?
Après quinze ans de dirupisme, place à… quatre ans de dirupisme. Cette hégémonie longue durée suscite étonnamment peu de vagues au PS. Preuve d’un parti apaisé, réconcilié, cohérent ? Ou signe d’un débat interne anesthésié ?
En quinze ans de présidence, Elio Di Rupo a imprimé un style fort, d’une efficacité redoutable. Bon an, mal an, alors que les tuiles tombaient en rafale, son parti a continué à séduire un électeur sur trois en Belgique francophone. La performance tient presque de l’anomalie si l’on considère le contexte international. Pendant que le PS caracolait en tête, la gauche sociale-démocrate s’effondrait partout ailleurs en Europe.
Or voilà qu’après un quart de siècle au pouvoir, le PS vient de basculer dans l’opposition au fédéral. Dans ce nouveau schéma, l’ex-locataire du 16, rue de la Loi sera-t-il encore l’homme de la situation ? La question ne sera pas posée : Elio Di Rupo est le seul candidat à l’élection présidentielle qui se tiendra ces 21 et 22 novembre. L’ampleur du plébiscite sera toutefois intéressante à observer. Car ici et là, des réticences se font jour. « Depuis 1999, j’ai à chaque fois voté pour Di Rupo, confie cet influent élu de la province de Liège. Il a rénové le parti de fond en comble. Mais là, c’est le mandat de trop, je voterai contre, peu importe qu’il soit seul candidat. » Un jeune mandataire abonde : « Elio a figé le parti, comme son visage. Pendant la présidence intérimaire de Paul Magnette, on a senti un vent de dynamisme. Je regrette qu’il n’ait pas engagé un bras de fer pour garder la présidence. » Ces voix sont isolées, et aucun fou ne se hasarderait à exprimer publiquement ses doutes.
Relégué dans l’opposition au fédéral, contraint d’assainir les finances publiques régionales, le PS jouera gros dans les mois à venir. « Mon analyse, avance cet intellectuel socialiste, c’est qu’on a été longtemps surcotés. Alors que les idées de droite progressaient dans la société, le génie d’Elio Di Rupo a été de maintenir malgré tout le PS à un niveau très haut. Mais on pourrait maintenant subir un effet de rattrapage. Je n’exclus pas qu’on soit au début d’une longue phase de déclin. » Pour éviter le scénario du pire, un travail de repositionnement idéologique paraît inévitable. « Il va falloir d’une certaine manière reconstituer le PS, affirme l’ancien bourgmestre de Bruxelles, Freddy Thielemans. L’opposition fait qu’on augmente la dimension idéologique du parti. A trop mettre en avant les individualités, on a peut-être affaibli l’identité générale, ce qui fait la consistance d’un parti. » Avec d’autres mots, Kenza Yacoubi, conseillère CPAS à Molenbeek, défend un raisonnement semblable. « Quel discours va-t-on porter dans l’opposition ? On ne va pas pouvoir se contenter de calculs électoraux pour plaire à la fois à l’aile gauche et aux centristes. Car si le gouvernement tombe et qu’on revient au pouvoir, on sera rattrapés par nos contradictions. Il y a un choix à faire en termes de positionnement idéologique. Et cette fois-ci, il ne peut pas en ressortir que du bla-bla. »
Di Rupo sera-t-il à même de mener ce travail de réflexion, lui qui, à la différence d’un Magnette, a toujours fui les grands questionnements idéologiques ? « En 2007, on a perdu les élections, rappelle Marc Bolland, bourgmestre de Blegny et ex-député. Malgré la défaite, Elio est resté président, et je ne le soutenais pas. Mais j’ai vu que cet homme-là a été capable de modifier complètement son entourage et de revoir tout le fonctionnement du parti. Dans la situation actuelle, on a besoin de quelqu’un comme lui, qui a de l’expérience tout en n’ayant plus rien à démontrer. Le PS doit rompre avec une certaine bureaucratie interne ronronnante. Vu que c’est sans doute son dernier mandat, Elio pourra se montrer audacieux. »
Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :
- Le diagnostic d’Edouard Delruelle : « Le risque est que le débat se trouve bloqué »
- « Le style Di Rupo est un style de pouvoir. Or, le voilà dans l’opposition »
- « Si le gouvernement craque dans dix-huit mois, alors cette stratégie s’avèrera payante »
- L’éditorial : Dieu n’est qu’un chef de clan
- Vincent Laborderie : « Si vous n’êtes pas d’accord avec le PS, vous êtes un collabo… »
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