Destexhe : « Charles Michel décide tout seul au sein du MR et Didier Reynders n’a plus rien à dire »
« Du côté flamand, on a un débat politique, mais où est la démocratie au sud du pays? », se demande Alain Destexhe, ancien homme politique du MR. Entretien avec notre consoeur de l’hebdomadaire flamand Knack.
Destexhe a qualifié plusieurs fois son nouveau parti de droite de « N-VA sans confédéralisme », vu qu’il éprouve parfois la nostalgie de la Belgique à papa. « C’est purement sentimental, vous savez. J’ai le sentiment que la Belgique est un pays en déclin, et j’ai parfois la nostalgie de la grandeur du passé. Mais je sais aussi qu’on ne peut pas revenir en arrière. »
Ces derniers temps, vous disiez à propos du MR : « Je ne reconnais plus mon parti ». Qu’est-ce qui a changé ?
Écoutez, il y a longtemps que je voulais créer un mouvement de droite au sein du MR. J’ai écrit à Charles Michel et Olivier Chastel, j’ai parlé plusieurs fois au ministre fédéral Didier Reynders : ils savaient que je voulais créer au moins un think tank de droite, un lieu où je pourrais parler plus librement que dans le parti. J’ai attendu et attendu, et il n’y a jamais eu de réponse. La direction du parti n’en voulait pas. Mais bon, j’ai été élu pour cinq ans, je ne voulais pas partir à mi-mandat. La chute du gouvernement fédéral a accéléré les choses.
Il y a eu de nombreux moments où j’ai eu du mal à accepter l’orientation du MR. Je ne soutenais pas la sortie nucléaire. Je n’étais pas du tout d’accord avec le soutien du MR au Pacte des Nations Unies sur les migrations. Ou encore la loi sur le climat : j’étais l’un des rares membres du bureau du parti à estimer que le MR devrait voter contre. C’était un lundi matin. L’après-midi, il s’est avéré que le CD&V, l’Open VLD et la N-VA n’approuveraient pas la proposition de loi du climat spéciale d’Ecolo et Groen. J’étais vraiment fâché. Une nouvelle fois, me suis-je dit, il y a un consensus parfait entre PTB, PS, Ecolo, CDH et MR du côté francophone. Du côté flamand, vous avez un débat politique, mais où est la démocratie de notre côté ? Tous les représentants élus et tous les partis sont entièrement d’accord les uns avec les autres.
Aviez-vous des partisans au MR pour le courant de droite que vous vouliez créer ?
Beaucoup de gens sont d’accord avec moi, mais n’osent rien dire. Aujourd’hui, Charles Michel décide tout seul au sein du MR. Presque tous les élus lui sont redevables. Ils ont peur de le contredire et de perdre leur place. Depuis quelques années, Didier Reynders n’a plus rien à dire. De plus, la politique belge ne l’intéresse plus. Il n’a pas le droit de le dire à haute voix, mais dans son esprit, il est déjà parti.
Dans le passé, il y avait différents courants au sein du MR. Quand le FDF est parti, je l’ai regretté. Généralement, je ne suis pas d’accord avec Olivier Maingain, mais ensemble, nous étions au moins le plus grand parti de Bruxelles. Après les élections régionales, le MR pourrait n’être que le quatrième parti. Si vous regardez l’évolution du MR à Bruxelles sur une période de quinze ans, vous ne pouvez que constater la catastrophe.
L’un des problèmes, ont déclaré les politologues après les élections communales, c’est que le MR de Bruxelles ne s’est pas adapté à la nouvelle composition de la population. Vous pourriez vous aussi être confronté à ce problème.
Peut-être, mais ma liste de Bruxelles pourrait sembler beaucoup plus diversifiée que celle du MR. J’étais aussi très proche de quelqu’un comme Assita Kanko. Nous étions ensemble au conseil communal d’Ixelles.
Aurait-elle été une bonne recrue pour votre parti ?
Certainement, mais la N-VA m’a devancé! Si j’avais décidé deux mois plus tôt de fonder un parti, je lui aurais certainement demandé de nous rejoindre.
Encore une fois, le MR n’a fait preuve d’aucune perspicacité stratégique. En octobre, j’ai dit à Olivier Chastel qu’il devait donner une bonne place sur la liste électorale à Assita. Sa réponse: » Elle n’obtient pas beaucoup de votes. Alors j’ai dit : « Ce n’est pas un problème, tu dois la présenter intelligemment. » Et maintenant, tout le monde en Flandre parle d’elle.
Pourquoi n’avez-vous pas opté pour le Parti Populaire de droite? Cela n’aurait-il pas été plus efficace que de fonder votre parti?
Le Parti Populaire ne m’intéresse pas. En Belgique francophone, je veux faire ce qu’a fait la N-VA en Flandre: déplacer le centre de gravité politique vers la droite. Pour cela, on n’a pas besoin d’un parti populiste de droite, mais d’un parti de droite classique. Il n’y en a plus du côté francophone, maintenant que le MR s’est également déplacé vers la gauche. Je veux développer ce parti, à l’instar de l’UMP de Nicolas Sarkozy en 2007, du CDU d’Angela Merkel sans son ‘Wir schaffen das’ ou le VVD de Mark Rutte. Vous aurez au moins une bataille d’idées en Belgique francophone. Il faut une alternative au PS.
Et c’est délicat du côté francophone, mais mon parti attache aussi de l’importance à l’identité. Je suis contre le multiculturalisme, qui menace nos valeurs. Ne vous méprenez pas. J’ai la nationalité rwandaise – je suis rwandais et belge – et je pense que j’irai vivre en Afrique après ma retraite. J’aime le monde, les voyages et les gens. Mais on peut être à la fois belge et européen, ouvert sur le monde et vouloir protéger son mode de vie.
Ce mode de vie est-il en danger?
Dans certaines communes de Bruxelles, certainement. Regardez Anderlecht, Schaerbeek ou Molenbeek. C’est le résultat du laxisme des politiques de migration et d’intégration menées par PS, CDH et Ecolo et par des politiciens tels que Philippe Moureaux (PS) et Joëlle Milquet (CDH). Je comprends les migrants qui veulent améliorer leur vie ici. A leur place, je ferais peut-être la même chose. Mais il y a une limite à ce que la Belgique peut absorber. Les attentats terroristes qui nous ont frappés, le fait que notre pays comptait le plus grand nombre de combattants syriens par habitant : c’est en partie le résultat de la manière dont l’Islam politique s’est développé en Belgique et surtout à Bruxelles depuis vingt ans. Pendant que nos politiciens vivaient dans le déni total. En 23 années au parlement, je n’ai jamais entendu de débat sérieux sur la politique migratoire que notre pays devrait mener. Et aujourd’hui, Bruxelles est une cocotte-minute sur le point d’exploser.
N’exagérez-vous pas ?
Bruxelles compte de plus en plus de ghettos. Des ghettos français à Uccle et Ixelles, marocains à Molenbeek et turcs à Schaerbeek. À Bruxelles, les gens vivent côte à côte. C’est un modèle de société dangereux. Le vrai problème de l’islam politique et du salafisme, c’est le grand nombre de musulmans qui ne sont pas violents, mais qui vivent selon leurs propres normes et valeurs, et non la petite minorité qui est prête à commettre des attentats. Je trouve que ceux qui vivent ici doivent reconnaître l’égalité entre les hommes et les femmes, tolérer l’homosexualité, renoncer à l’antisémitisme, accepter la critique religieuse et admettre qu’on puisse abjurer sa foi. Il n’y a toujours pas d’intégration obligatoire à Bruxelles. Selon des études menées en France, les valeurs de près d’un tiers des musulmans français ne sont pas compatibles avec celles de la République française : il en va probablement de même en Belgique. Il y a donc un énorme problème d’intégration. C’est pourquoi nous devons mettre un terme à l’immigration.
Selon certains observateurs politiques francophones, votre critique de la société multiculturelle et de l’islam vous place à la limite de l’extrême droite.
Ça ne rime à rien. J’ai écrit treize livres sur la politique belge. Pendant deux ans, j’ai été chroniqueur au Figaro, le journal le plus largement diffusé en France. Personne ne m’a jamais pris en flagrant de délit de xénophobie ou de tout autre extrémisme. Mais les réactions à mon égard démontrent clairement le grand problème de la Belgique francophone : tout est de gauche. La plupart des enseignants sont de gauche, les professeurs d’histoire, de sciences politiques et de sociologie sont de gauche, les politiciens sont de gauche, presque tous les journalistes sont de gauche. Le conformisme idéologique est la norme et il y a une grande intolérance envers même les idées classiques de droite.
L’un de vos treize livres parle du mauvais état de la Wallonie. Des chiffres récents révèlent que l’écart avec la Flandre continue de se creuser sur le marché du travail.
20% des emplois en Wallonie sont des emplois publics – en Flandre, c’est un peu moins de 15%. La Wallonie compte 40.000 postes vacants qui ne sont pas pourvus. Et entre-temps, une ville comme Courtrai en Flandre-Occidentale, enregistre un taux de chômage d’environ 3%. À Tournai, dans le Hainaut, à une vingtaine de minutes en voiture de Courtrai, – sur une belle autoroute, d’ailleurs, sans circulation dense – il y a 15% de chômage. Ce qui doit se passer en Wallonie est évident : il faut démanteler le secteur public, privatiser un maximum et créer des emplois dans le secteur privé.
Le MR n’a-t-il pas été en mesure de provoquer un changement au sein du gouvernement wallon ?
Non. Mais qu’est-ce que le MR aurait pu changer en un an et demi ? Dans ces circonstances, il était ridicule de rejoindre le gouvernement wallon. J’ai dit à mon parti à l’époque que je ne pensais pas que c’était une bonne idée, car cela donnerait au PS la possibilité de se rétablir dans l’opposition contre les élections de mai. Et c’est ce qui se passe.
Le MR n’ose pas vraiment s’attaquer au secteur public en Wallonie. Listes Destexhe est le seul parti qui propose de réduire les dépenses publiques en Wallonie de 1% par an au cours des cinq prochaines années.
Pensez-vous réussir ainsi en Wallonie ?
Mais oui. Il y a également beaucoup de Wallons qui se lèvent tôt, travaillent dur et veulent que la Wallonie change.
Mais votre parti pourrait faire le jeu du PS et d’Ecolo. Car même si vous n’obtenez que quelques pour cent, ce sera probablement aux dépens du MR à Bruxelles et en Wallonie.
Pourquoi seulement quelques pour cent ? Nous visons quelques sièges, tant à Bruxelles et en Wallonie que dans l’hémicycle. En dehors de cela, le MR s’affaiblit, et il n’a pas besoin de moi pour ça. Dans tous les pays nordiques qui accueillent beaucoup de réfugiés et migrants, il y a eu un débat sur le Pacte des Nations Unies sur les migrations. Il y a également eu un débat animé en Flandre – peut-être trop tard, mais quand même. Les seuls endroits sans débat politique étaient Bruxelles et la Wallonie. C’est inacceptable, non? Pourquoi diable le MR a-t-il voté pour ce pacte ?
Pour être du bon côté de l’histoire, comme l’a dit Charles Michel ?
Oh oui, vraiment ? Si, dans une démocratie, vous n’êtes pas d’accord avec un texte, êtes-vous du mauvais côté de l’histoire ? C’est une blague.
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