Peter Mertens
« Désormais, les malades de longue durée peuvent être licenciés sans frais »
Depuis le début de l’an dernier, les malades de longue durée sous soumis à la réintégration au marché de l’emploi. Avec quel résultat ? Dans sept cas sur dix, les employeurs prétendent qu’aucun travail adapté ou autre n’est disponible chez eux et les malades sont alors licenciés sans la moindre indemnité.
Notre pays compte près de 400 000 malades de longue durée, c’est-à-dire près d’un Belge sur vingt entre 20 et 64 ans. Leur nombre a doublé, ces 15 dernières années. Sur les causes, tous les spécialistes sont d’accord : le fait de travailler plus longtemps et la pression intenable du travail. On pourrait donc s’attendre raisonnablement à ce que le gouvernement entreprenne quelque chose contre cette situation. Mais c’est précisément le contraire qui se produit : ce gouvernement mise tout sur l’obligation de travailler plus longtemps encore et sur l’accroissement de la flexibilité.
À propos de la « non-finançabilité » des malades
D’après la ministre de la Santé Maggie De Block, la solution réside dans l’approche des malades mêmes. Après les demandeurs d’emploi et les prépensionnés, ce sont désormais les malades de longue durée eux aussi qui doivent être « activés ». Et, à partir de la mutualité et du patron, en les renvoyant au travail selon des « trajectoires de travail adapté ou autre ». Au Parlement, Maggie De Block a expliqué qu’elle « voulait sanctionner les profiteurs » et, dans le magazine flamand Humo, qu’elle voulait « débusquer les profiteurs via des contrôles ciblés ».
C’est ainsi que, depuis 2017, on s’en prend aux personnes qui sont tombées malades à partir du 1er janvier 2016. Les ministres Maggie De Block et Kris Peeters (CD&V, Emploi) s’y emploient énergiquement. Tous les malades de longue durée doivent remplir un questionnaire de la mutualité. S’ils ne le font pas, ils perdent 5 % de leur allocation pendant un mois. Ceux qui entrent en ligne de compte pour une reprise du travail seront renvoyés chez les médecin du travail, lequel va devoir répertorier les malades en cinq catégories : incapacité de travail temporaire ou permanente, possibilité d’être intégrés temporairement ou en permanence à une trajectoire de travail adapté ou autre.
Au cours de la session de la Commission sur la nouvelle loi de réintégration, en décembre 2016, le député PTB Raoul Hedebouw avait mis en garde contre le fait que la nouvelle loi avait surtout un objectif budgétaire : les chômeurs « coûtent » moins cher que les malades.
« Le nombre croissant de personnes en maladie et en invalidité coûte trop cher à notre système social », prétendait Jan Spooren, de la N-VA. Et Vincent Van Quickenborne (Open Vld) d’affirmer que l’activation des malades de longue durée est censée « garantir l’accès et la solvabilité de notre sécurité sociale ». Le gouvernement se propose cette année d’économiser 100 millions d’euros sur les malades de longue durée.
Manifestement, l’argent destiné aux personnes qui ne sont plus productives du fait de leur maladie est perçu comme de l’argent « gaspillé ». De l’argent qui pourrait être utilisé de façon plus utile pour plaire aux actionnaires au moyen d’un tax shift ou d’une réduction de l’impôt sur les sociétés. Et là, le problème de la « finançabilité » se pose brusquement beaucoup moins. Ce sont des choix politiques : à quoi veut-on et ne veut-on pas consacrer de l’argent ?
Évincer sans frais les travailleurs malades
Mais le volet le plus dangereux de la nouvelle loi sur la réintégration ne réside pas dans les sanctions. Lors de la même session de la Commission, en décembre, Raoul Hedebouw mettait déjà en garde contre le manque de protection proposé par la loi en cas de licenciement. Il insistait sur le risque important encouru par les personnes qui empruntaient cette trajectoire. Le ministre Kris Peeters avait balayé les objections et avait même été appuyé par une partie de l’opposition. Ecolo-Groen s’était abstenu lors du vote final. Le groupe sp.a avait voté en faveur de la nouvelle loi de réintégration, en compagnie du Vlaams Belang et des partis de la majorité.
Il n’a pas fallu attendre longtemps avant que les syndicats ne tirent la sonnette d’alarme. La FGTB et la CSC ont demandé les chiffres des six premiers mois de 2017 et il en est ressorti que plus de 70 % des personnes convoquées ont été déclarées définitivement inaptes, puis licenciées. Un appel contre la décision du médecin du travail n’a été accepté qu’une seule fois. Ces chiffres ont été confirmés mercredi par le ministre de l’Emploi qui a dû admettre que, dans moins de trois cas sur dix, un travail adapté avait effectivement été proposé.
La FGTB qualifie ces trajectoires de réintégration des malades de longue durée, introduites en décembre, de « machine à licenciement sans frais » pour le patronat. Le syndicat constate que « la trajectoire de réintégration fournit la possibilité aux employeurs de se débarrasser sans frais des travailleurs malades ». Le syndicat fait en outre mention de « pratiques scandaleuses » de la part des employeurs, qui inciteraient les travailleurs à enclencher eux-mêmes la procédure, « parfois via des lettres types, sans mentionner que cela peut déboucher sur une rupture de leur contrat pour faute grave et, partant, sans indemnité ». Toujours selon la FGTB, il s’agit de plus de 300 000 travailleurs en incapacité de travail depuis le 1er janvier 2016 déjà et ces personnes pourraient donc être concernées.
Tout le système rend beaucoup plus facile le licenciement pour « force majeure médicale ». Parmi les cinq catégories (de A à E), il y a entre autres une « trajectoire D » dans laquelle le médecin du travail déclare le travailleur définitivement inapte au travail dans le même temps que l’employeur déclare qu’il n’a pas de travail adapté ou autre à proposer. Dans ce cas, le patron peut passer au licenciement « pour force majeure médicale », ce qui veut dire sans indemnité de licenciement. Jusqu’à présent, ce genre de licenciement a été violemment contesté pour « discrimination en raison de maladie ». Aujourd’hui, la voie est ouverte aux licenciements faciles et les patrons s’empressent d’y recourir.
Quand Maggie De Block a été confrontée à ces chiffres, sa réponse a été laconique : « C’est n’est pas un gros problème ; dans ce cas, le travailleurs peuvent aller travailler ailleurs. » (De Standaard, 6 octobre 2017). En d’autres termes : l’intention est que les travailleurs malades qui ne peuvent plus travailler dans leur propre entreprise soient licenciés et aillent « proposer leurs services » ailleurs.
« Rendre les malades de longue durée plus malades encore, est-ce cela que nous voulons ? »
Le docteur Frieda Matthys est chef du service Psychiatrie au CHU de Bruxelles et en même temps présidente de l’Association flamande des psychiatres. Elle réagit aux nouvelles mesures en publiant dans De Morgen une tribune qui a pour titre : « Rendre les malades de longue durée plus malades encore, est-ce cela que nous voulons ? »
« L’effet stigmatisant d’une telle politique est énorme. Déjà maintenant, tous les patients qui, en raison d’un burn-out, d’une dépression ou des troubles de l’anxiété, ne peuvent pas travailler, se sentent frustrés et honteux. Les contrôles auprès du conseiller médical sont stressants et souvent humiliants pour eux, mais c’est un mal nécessaire. Si cela doit, en plus, se passer dans une ambiance de suspicion, le système va en fait les rendre plus malades encore au lieu de leur apporter un quelconque soutien. » Et de conclure : « N’est-il pas temps, dans une société aux chiffres de suicide élevés et aux nombreux troubles psychiatriques, de réduire précisément la pression sur les gens vulnérables, au lieu de l’accroître ? »
Il n’y a rien de mal, dans la réintégration. Rester longtemps chez soi signifie souvent un isolement auquel s’ajoute une perte financière. C’est pourquoi bien des malades de longue durée sont aussi demandeurs. Malheureusement, les employeurs sont très peu preneurs. La réintégration est possible, mais alors en témoignant du respect envers le patient et non pas en l’utilisant comme une grossière mesure d’économie. Cela doit se faire sur base volontaire. Et il faut laisser à la personne malade suffisamment de temps de rétablissement et de repos.
Fermer la porte à la prépension, c’est ouvrir la porte vers le CPAS
L’augmentation du nombre de malades de longue durée résulte en premier lieu de l’obligation de travailler plus longtemps : arrivé à 50 ou 55 ans, on a mal au dos, il faut une prothèse de la hanche et se lever à 4 heures du matin est trop difficile. Jusqu’il y a peu, on mordait un peu sur sa chique : la prépension n’allait pas tarder. Dès 2005, toutes les règlementations de cet acquis ont été systématiquement détricotées. Aux syndicats qui protestaient énergiquement et prétendaient que travailler plus longtemps était impossible physiquement et mentalement, on a dit : « Ne vous faites pas de souci, nous allons assurer du « travail adapté ». » Mais, lors d’une « table ronde sur le travail adapté », Kris Peeters transformait brusquement le « travail adapté » en « travail adapté et auquel s’adapter ». Il en résultait davantage de flexibilité, davantage d’heures supplémentaires, moins de contrôle par les syndicats et une érosion accrue de la journée des 8 heures et de la semaine de 5 jours.
Ainsi se précisent progressivement les contours du parcours de vie moderne : on va devoir bosser jusqu’à la mort. La sortie vers la prépension est fermée. Aujourd’hui, la porte se ferme aussi à la maladie de longue durée. Il ne reste par conséquent plus qu’une seule porte, celle qui mène au CPAS. Pour ceux qui en ont « réellement besoin », entendons-nous bien. Cela veut dire ceux qui ne peuvent faire appel au salaire de leur conjoint(e), aux revenus d’un livret d’épargne ou aux économies une fois que les remboursements de l’achat d’une maison sont finis. Terminée, donc, la sécurité sociale, terminée, l’assurance avec cotisations et droits, retour à l’assistance et bienvenue au 19e siècle !
L’organisation du travail du stress
Les malades de longue durée sont répertoriés avec précision par l’INAMI. Il y a deux grands « coupables », avec chacun un tiers environ des malades de longue durée. Tout d’abord, les troubles musculo-squelettiques (TMS) comme les maladies des articulations, les douleurs au dos et les tendinites. Ensuite, les troubles psychiques comme les dépressions et les burn-outs. D’autres maladies graves, comme le cancer, les affections cardiaques ou les séquelles d’accident oscillent toutes autour des 6 %.
En ce qui concerne le stress, le ministre Kris Peeters promettait « recherche et sensibilisation ». Ben oui, quelle pourrait donc être la cause du stress et des tendinites chez une caissière d’Aldi qui, chaque heure, doit scanner plus de 3 000 produits ? Où devons-nous creuser pour découvrir la cause possible du burn-out chez une institutrice qui, chaque jour, se retrouve seule devant 22 enfants ou chez une infirmière de nuit qui doit soigner tout un étage de personnes âgées ?
La « nouvelle organisation du travail », dont Kris Peeters fait la promotion dès qu’il peut, provoque de véritables ravages. Il y a de plus en plus de flexibilité. Plus de travail en équipe, plus de changements d’équipe. La polyvalence rend possible d’employer tout le monde partout comme on veut. La pression individuelle augmente sans cesse. La « nouvelle organisation du travail » a également porté atteinte à la résistance collective. Les gens sont souvent seuls et impuissants face aux exigences absurdes de la production. Aussi ne reste-t-il souvent non plus que la réponse individuelle : changer de boulot ou rester malade chez soi. « Le burn-out est la nouvelle façon de faire grève », déclare la professeure de l’université d’Anvers Peggy De Prins.
Respect envers le travail
Jamais encore dans l’histoire autant de conditions n’ont été réunies pour un travail épanouissant et sain. Le progrès technologique fait disparaître la contradiction entre travail manuel et travail intellectuel. La production nécessaire peut être réalisée en un temps de plus en plus court. Le travail reste la base de tout développement spirituel sain. Il donne du sens à la vie sous forme d’une transformation consciente de la nature. Le résultat de ce travail satisfait la pulsion créative du travailleur et soulage les besoins et nécessité de la société. Il peut apporter la même satisfaction que l’on ressent parfois quand on cultive des fleurs ou des légumes dans son jardin. Seulement, cela se passe à un niveau supérieur encore, parce que cela se passe collectivement. Le travail peut ainsi poser les bases d’une communication, d’une collaboration et d’une appréciation mutuelle très larges.
Mais, en même temps, jamais notre société n’a été aussi fatiguée et malade. Et il y a une raison à cela : la production, sous le capitalisme, n’a absolument pas pour but de satisfaire les besoins humains. C’est le profit qui domine tout. Au lieu d’une coopération, c’est la concurrence et la rivalité qui s’installent. Au lieu d’une rémunération honnête vient la charité. Au lieu du respect et de l’appréciation, viennent la pression et le mépris. Les conséquences se font sentir : burn-out, dépression et douleurs chroniques. Orientons le débat vers le point principal : le respect du travail.
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