«Des sujets qui peuvent susciter des tensions»: pourquoi la visite du pape François est moins consensuelle qu’attendue (analyse)
Derrière une programmation d’apparence un peu fade, la visite du pape François en Belgique pourrait marquer les esprits. La question des abus sexuels au sein de l’Eglise rythmera inévitablement son séjour.
Il est arrivé fatigué. Il repartira sans doute exténué. En visite officielle en Belgique ce week-end, le pape François doit y multiplier les rencontres et les cérémonies. Après une entrevue avec le Premier ministre et la famille royale au château de Laeken vendredi matin, son agenda, chronométré, le fera sillonner entre les universités catholiques de Leuven et Louvain-la-Neuve, la basilique de Koekelberg et le stade Roi Baudouin, véritable point d’orgue du séjour.
La foule déjà présente jeudi soir à l’arrivée du souverain pontife à Woluwe-Saint-Pierre, et les 39.000 fidèles attendus dimanche au Heysel pour l’eucharistie, attestent de l’engouement pour cette visite historique. Il faut dire qu’un pape n’avait plus mis les pieds en Belgique depuis près de trente ans. «L’enthousiasme est très présent, confirme Arnaud Join-Lambert, professeur de théologie à l’UCLouvain. Cela a d’ailleurs surpris beaucoup de monde, y compris les évêques. Mais cette ferveur est surtout le fait des Bruxellois et des Wallons, moins des Flamands. Les abus sexuels ont beaucoup traumatisé le nord du pays, que ce soit au sein du monde catholique que dans la société flamande en général.»
«L’Eglise doit avoir honte»
La question des violences sexuelles occupe logiquement une place centrale de la visite papale. Elle a d’ailleurs déjà été épinglée vendredi matin à Laeken, successivement par le roi Philippe – qui a évoqué une «tragédie sans nom» – et par Alexander De Croo. Le pape y a répondu par des mots forts, sortant visiblement de son discours préétabli, qualifiant ces actes de «crimes». «L’Eglise doit avoir honte et demander pardon», a-t-il encore ajouté. Au-delà de cette première allocution marquante, l’Argentin rencontrera quinze victimes d’abus sexuels au cours de son séjour.
Ce volet sombre de la visite contraste avec les sujets plus légers (ou du moins plus consensuels) abordés le reste du week-end, notamment lors de la célébration des 600 ans des universités louvanistes. «Que ce soit le climat ou la migration, ce sont des thématiques relativement paisibles, estime Rik Torfs, docteur en droit canon et ex-recteur de la KULeuven. Les universités auraient pu vouloir aborder l’homosexualité ou le rapport entre la religion et l’Etat, des thématiques très intéressantes mais plus clivantes. Elles ont plutôt opté pour la prudence, pour ne gêner personne et éviter les polémiques.»
Sciences et religion
Un constat que ne partage pas Arnaud Join-Lambert. «La transition écologique fait peut-être consensus au sein de l’Eglise, mais moins au sein de la population qui est divisée sur la place qu’il faut lui donner, note le théologien. D’autant qu’il sera aussi question de l’éthique dans la recherche ou de la place des femmes dans la société et dans l’Eglise. Avec, en plus, ce débat sur les abus sexuels. Ce sont donc tous des sujets qui peuvent susciter des tensions, soit en interne dans l’Eglise, soit globalement au sein de la société.»
«Les universités auraient pu vouloir aborder l’homosexualité ou le rapport entre la religion et l’Etat, des thématiques très intéressantes mais plus clivantes. Elles ont plutôt opté pour la prudence, pour ne gêner personne et éviter les polémiques.»
Rik Torfs
Docteur en droit canon (KULeuven)
A Leuven, vendredi, et à Louvain-La-Neuve, samedi, le débat sera aussi porté sur le dialogue entre science et foi, ajoute Tommy Scholtes, porte-parole francophone de la Conférence des évêques de Belgique. «Les recteurs et rectrices vont pouvoir interpeller le pape sur la place qu’une université à tradition catholique doit occuper dans une société sécularisée, explique-t-il. C’est une question qui n’est absolument pas lisse et qui peut faire réagir.»
«Recharger les batteries»
Si il n’est pas clairement affiché, l’objectif de la visite papale est aussi de renouer avec les catholiques de Belgique et, éventuellement, de restaurer leur confiance en l’Eglise. Selon un sondage récent du Soir, 43% des Belges se revendiquent comme catholiques, parmi lesquels à peine un tiers sont pratiquants. Un chiffre en véritable perte de vitesse ces dernières années. «La visite du pape va en quelque sorte « recharger les batteries » de ces fidèles, prédit Arnaud Join-Lambert. Mais plus globalement, cela pourrait conforter l’image que l’Eglise veut donner d’elle-même, à savoir une institution fondée sur l’ouverture et la tolérance, qui veut concourrir au vivre-ensemble belge.» Une affirmation que nuance Rik Torfs: «Certes, ce sera un moment durant lequel l’interêt pour le relais religieux sera mis en lumière, concède le professeur. Mais on peut par contre s’interroger sur le caractère durable de l’impact qu’aura ce séjour. Quel en sera le suivi sur le long-terme?». Et Tommy Scholtès de conclure: «Il ne faudrait pas que cette visite retombe comme un soufflé dans quelques jours.»
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