Des milliers de Français en situation de handicap en Wallonie: «C’est un choix, pas un exil»
Des milliers de Français en situation de handicap résident dans des structures adaptées en Wallonie, faute de solutions dans leur pays. C’est, souvent, une volonté pleinement assumée par les proches ou les résidents eux-mêmes. Pour d’autres, le choix s’est fait dans la contrainte. Témoignages.
Je ne veux plus de personnes en situation de handicap qui soient sans solution. Je créerai tous les postes d’auxiliaires de vie scolaire pour que les enfants en situation de handicap puissent aller à l’école. Je créerai les postes et les structures pour que les enfants, en particulier les jeunes autistes, n’aient plus à aller à l’étranger pour pouvoir être en centre lorsqu’ils sont obligés de l’être.»
Ces quelques mots eurent une résonance particulière pour des milliers de familles françaises, lorsqu’ils furent prononcés, en mai 2017, sur un plateau de télévision. Emmanuel Macron, candidat à l’Elysée, profitait des quelques instants de carte blanche octroyés au terme du débat de l’entre-deux-tours pour formuler ce qui devait être «une des priorités de mon quinquennat». Un choix qui en disait long sur le manque criant de prise en charge des personnes en situation de handicap, en France.
Un quinquennat et quelques mois plus tard, ces mêmes familles peinent à observer de réelles avancées. Elles demeurent incrédules face à ce qu’elles considèrent souvent comme un manque généralisé de considération pour le handicap dans leur pays.
De ce côté-ci de la frontière, plusieurs milliers de familles françaises ont trouvé une réponse pour leur proche dans une des multiples structures d’accueil implantées en Wallonie. En langage administratif, on les appelle des Safae, des services agréés et financés par une autorité étrangère. On en compte plus de 160 en Région wallonne, dans les cinq provinces, même si la plupart sont implantées dans le Hainaut, à proximité de la frontière. Selon les chiffres de l’Aviq (Agence wallonne pour une vie de qualité), plus de 8000 places existent. Avec cette particularité qu’elles sont financées par les pouvoirs publics français, à savoir les départements et la sécurité sociale. Ce sont donc autant d’encadrements effectués sur le territoire wallon et délégués par la France, en quelque sorte.
«Cela crée une forme de paradoxe: une mobilité géographique, puisqu’il y a un franchissement de la frontière, mais une immobilité administrative, puisque ces personnes restent attachées à la France et leur département», observe Jérémy Mandin, docteur en anthropologie et sciences sociales à l’ULiège, qui s’est penché sur le sort de ces familles dans le cadre du vaste projet Mitsopro, qui examine les liens entre migrations et protection sociale.
La question du nombre exact de Français pris en charge en Wallonie n’est pas si évidente à trancher, certains échappant au recensement. «Certaines structures ont plusieurs sites, on en dénombre à peu près trois cents au total. Il y a environ 7 500 adultes et 1 500 enfants dans des établissements subventionnés, chiffre Isabelle Resplendino, présidente de l’AFrESHEB, l’association représentant les Français en situation de handicap en Belgique. Mais on oublie que 900 enfants transfrontaliers fréquentent l’enseignement spécialisé en Belgique et environ 500 résident dans des internats publics spécialisés. Au total, ça représente presque 10 000 personnes.»
Huit mille places d'accueil existent en Wallonie, avec cette particularité qu’elles sont financées par les pouvoirs publics français.
L’origine du phénomène est lointaine. «Traditionnellement, les congrégations catholiques s’occupaient des personnes handicapées», rappelle Isabelle Resplendino. Se sentant menacées par les débats autour de la laïcité en France, au tout début du XXe siècle, beaucoup ont choisi de franchir la frontière, déplaçant de facto leurs œuvres en Belgique. La disparition progressive des congrégations a conduit à la reprise des activités par des associations, avec des réalités plus ou moins heureuses pour les résidents, au fil des décennies.
Juguler les départs, la fausse bonne idée?
C’est bien plus récemment que des réglementations sont intervenues à l’échelon wallon, pour encadrer davantage le secteur. Une première législation en 2001, une suivante en 2009, précise l’Aviq. «Le statut Safae, lui, a été créé en 2018. Il a vraiment rehaussé les normes, les contrôles, etc.», ajoute Isabelle Resplendino. Et si des cas de maltraitance étaient largement médiatisés voici encore deux décennies, leur collant parfois à la peau, ils sont rares aujourd’hui, assure-t-elle.
Le dernier fait marquant pour cette spécificité franco-belge remonte à février 2021. Il s’agit de l’instauration d’un moratoire sur la création de nouvelles places d’accueil pour les Français, à l’initiative de la secrétaire d’Etat française en charge des Personnes handicapées de l’époque, Sophie Cluzel. Le sujet est sensible et fait débat, y compris dans le milieu associatif. Il s’agit de freiner ce qui est qualifié de «départs non souhaités» vers la Wallonie, avec une promesse de création de solutions d’accueil en France. Parmi les familles, l’avis est quasi unanime: on n’a pas vu venir grand-chose, le moratoire créant par contre son lot d’effet pervers.
Côté wallon, une série de projets ont subi un coup d’arrêt. En France, l’engorgement n’a fait que se renforcer. Le principe, désormais, c’est le taux de renouvellement: il faut miser sur une place qui se libère en Wallonie. «Rien que pour les adultes, on comptabilise environ 550 demandes annuelles pour venir en Belgique, mais seulement deux cents places se libèrent, donc 350 familles se retrouvent sur le carreau», regrette Isabelle Resplendino, qui milite pour la levée du moratoire.
Derrière les considérations institutionnelles, cependant, ce sont des enfants et des adultes – et des familles autour d’eux – qui se retrouvent au cœur de cet étonnant système. Nombreux sont atteints d’un trouble du spectre de l’autisme. «Il y a aussi des déficiences intellectuelles, des maladies génétiques, des polyhandicaps, des déficiences intellectuelles sévères, des troubles du comportement, etc., énumère la présidente de l’AFrESHEB. La plupart des familles ont tout essayé et sont au bout du bout, hormis peut-être celles qui sont frontalières et se trouvent dans le même bassin de vie. Elles préfèrent avoir une place en Belgique qui correspond mieux aux besoins de leur proche qu’une place inadaptée en France, lorsqu’il y a une place.»
Deux pays, deux approches
Elles sont souvent originaires de la région parisienne ou du nord de la France, mais d’autres proviennent de bien plus loin, jusqu’aux départements d’outre-mer. Chaque histoire est singulière. Certaines ont choisi de venir en Belgique, d’autres y ont été plus ou moins contraintes. Certaines ont trouvé satisfaction, ont vu leur proche évoluer, quelques-unes regrettent la nature de la prise en charge, l’éloignement ou encore le manque de communication avec la structure.
En toile de fond figure toujours ce manque de places d’accueil en France, ou l’absence de solutions adaptées. Quand elles existent, les solutions sont fragmentées, insuffisantes, ou trop éloignées géographiquement.
Une autre dimension revient régulièrement dans la bouche des familles qui ont opté pour la Belgique. En résumé: l’approche est axée sur la dimension médicale en France, là où la prise en charge est plutôt socio-éducative, globale, visant l’autonomie et un projet de vie, en Wallonie. Une approche plus flexible, plus pragmatique, plus humaine, témoignent de nombreuses familles. «En France, l’influence de la psychanalyse reste aussi très importante, même si ça évolue. Les professionnels n’ont mangé que du Freud et du Lacan. Il n’est pas rare, par exemple, d’être encore confronté à cette idée que l’autisme, c’est de la faute de la mère», dénonce Isabelle Resplendino.
«En France, lorsque vous vous adressez à votre MDPH (NDLR: maison départementale des personnes handicapées) pour obtenir une orientation vers la Belgique, si vous tombez sur des personnes qui suivent la théorie psychanalytique, vous risquez de ramer. Avec une approche plus comportementaliste, vous ramerez moins, préviennent Philippe et Isabelle Heraud, dont le fils autiste, Yvan, se trouve en Belgique depuis 2017. Nous, nous avons eu la chance de tomber sur des personnes très à l’écoute.» C’est la direction de l’institution où se trouvait Yvan qui leur a recommandé la Belgique.
Les familles préfèrent avoir une place en Belgique qui correspond mieux aux besoins de leur proche qu’une place inadaptée en France.
Autre constat formulé par certains parents: une certaine rigidité française, qui contraste avec la souplesse belge. «En France, nous avons de grosses structures. Les enfants sont diagnostiqués, catégorisés, et lorsqu’ils ne rentrent plus dans les cases, ils n’y ont plus leur place, décrit une maman. Le résultat, ce sont des ruptures dans les parcours, des hospitalisations, des retours à la maison avec quelques heures d’encadrement par-ci, par-là. En Belgique, c’est tout l’inverse. La structure s’adapte à l’enfant, qui y garde sa place.»
«La grande doctrine, en France, c’est l’inclusion, quels que soient l’âge et le niveau», souligne aussi, comme d’autres, Jean et Christiane Hartweg, dont le fils Malik, aujourd’hui âgé de 42 ans, réside depuis 2008 en Belgique. Or, la nature du handicap rend parfois impossible le maintien des personnes auprès de leurs proches ou la perspective d’une vie en milieu «ordinaire». «Ce qui nous a poussés à nous diriger vers la Belgique, c’est d’abord l’absence de choix. Mais aussi, c’est très important, le fait que les éducateurs nous ont paru très formés. Il y a de la bienveillance, de l’ardeur à faire son métier, assure Jean Hartweg. C’était très différent de ce que nous pouvions voir en France, il y avait des idées originales dans la prise en charge, les activités, etc.»
Un choix assumé, contre vents et marées
Ils font partie des parents qui ne changeraient pour rien au monde. «Nous avons toujours lutté contre l’idée d’un "exil" vers la Belgique. C’était un choix, que nous assumons toujours», d’autant plus à la vue de la prise d’autonomie de leur fils.
«On entend parfois parler d’une volonté de rapatriement en France. C’est effrayant pour des parents comme nous. On ne le souhaite pas. On n’est pas certains de retrouver cette qualité de prise en charge en France. Et puis, les enfants ont pris leurs marques», on ne les déplace pas comme des pions, considère Pascale Cahen, dont la fille, Julie, vit à l’Arboretum à Péruwelz.
Une fois l’âge adulte atteint, Julie a dû quitter l’institut médico-éducatif dans lequel elle se trouvait. Des demandes ont été formulées en France, aboutissant à de nombreux refus. Une réponse favorable est parvenue de Belgique et «c’est même la psychiatre qui nous a recommandé de foncer. On a vu des éducateurs impliqués, du pragmatisme, alors que tout est très normé en France. La structure est plus petite en Belgique, le foyer dispose d’une pièce de vie, avec un salon. Il y a un potager où l’on cultive des légumes bio. On lui parle régulièrement au téléphone. Les réunions sont fréquentes avec les éducateurs, les échanges sont transparents», se réjouit-elle.
Un lien affectif s’est construit. «Nous avons appris à connaître la Belgique et les Belges. On peut parler d’une relation de familiarité avec votre pays, où l’on ressent de la gaieté, de l’empathie, de la cordialité», ajoute Pascale Cahen.
«Léonard est un vrai Belge maintenant», témoigne aussi Anne de Maupeou, dont le fils de 24 ans se trouve depuis sept ans en Belgique. Ce n’était pas un choix, au départ, mais il n’y a aucun regret aujourd’hui. «Il vit dans le plat pays de Brel et Stromae. Et chante la Brabançonne en supportant l’équipe de Kevin De Bruyne. Il est heureux, épanoui, pris en charge par des gens incroyables, motivés, hypercompétents, pragmatiques, pleins d’humour, et suffisamment nombreux pour s’occuper correctement de lui. La Belgique l’a accueilli avec des soins dignes de ce nom, lui a sauvé la vie et celle, au passage, de notre famille.»
«Maintenant, avec presque deux ans de recul, je me dis "quelle chance de ne pas avoir eu de place en France"! Pourquoi? Parce que les trois établissements que j’ai visités en France respiraient l’hôpital, l’ennui et la distanciation entre le personnel, les résidents et les familles. Parce que j’ai ressenti tout de suite à Illéria (NDLR: à Villers-le-Bouillet) une ambiance familiale, une relation conviviale entre les résidents et avec les professionnels», témoigne aussi Carine Van Den Dorpe, la maman de Julien, 22 ans.
Le parcours du combattant
Le tableau peut sembler idyllique, mais c’est parfois au prix d’un parcours du combattant que des parents ou des proches ont pu dégoter une place. En fonction des interlocuteurs, mais aussi de la politique menée par leur département, ce fut la croix et la bannière pour obtenir le sésame, l’autorisation d’orientation vers la Belgique. Le moratoire de 2021, témoignent plusieurs familles, n’a fait que resserrer l’étau, diminuant le nombre de places disponibles et poussant certaines MDPH à se montrer de plus en plus inflexibles.
Camille est âgée de 45 ans. Atteinte de la maladie de Huntington, elle se trouve, depuis fin 2017, dans le service des Renardeaux, à Chastre. C’est après une rencontre avec le directeur des lieux que sa mère, Maryse Moreau, a opté pour la Belgique, après avoir éprouvé les plus grandes difficultés à trouver une place adaptée en France. «Mais c’est aussi à ce moment qu’a commencé le parcours du combattant, se souvient-t-elle. On a dû faire face aux réticences, justifier la demande, présenter les refus des autres centres, envoyer d’innombrables courriers. J’en avais tellement marre qu’un jour, j’ai débarqué à la MDPH avec ma fille et je leur ai dit que je leur laissais pour la journée. Ce fut épique», raconte la dame.
On entend parfois parler d’une volonté de rapatriement en France. C’est effrayant pour des parents comme nous. On ne le souhaite pas.
Un certain ressentiment se fait sentir face au manque de réponses en France, ou à une certaine rigidité institutionnelle. «Je ne le cache pas, je suis toujours très en colère contre l’Etat français. Il y a toujours de l’argent pour autre chose que le handicap. On a bien cherché à faire entendre notre voix, mais on ne représente pas suffisamment de gens pour réellement peser», regrette Véronique Mège-Sarek. Elle est venue s’installer à Ottignies-Louvain-la-Neuve en 2011. Il fallait se rapprocher de son fils, Guillaume, qui vit dans une structure à Aywaille. Cela ne faisait pas partie des plans de la Parisienne, dont le fils est atteint d’une maladie rare, le syndrome de délétion 22q11. «Je le reconnais, nous sommes venus un peu avec les pieds de plomb, au départ. Ce n’était pas notre choix. Nous avons vécu aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Après un retour en France en 1998, nous n’avions pas envisagé de repartir.»
Pour les proches vivant à proximité de la frontière, la distance est moins problématique. D’autres familles vivent l’éloignement avec plus de difficulté. Certaines peuvent organiser des transports pour des retours réguliers vers la famille avec des véhicules conventionnés. En région parisienne, nombreuses sont également les familles qui peuvent accueillir leur proche les week-ends à l’aide de retours en car organisés par les centres.
Le revers de la médaille
A entendre ces familles, la Wallonie représenterait une terre d’accueil satisfaisante, voire idéale. Mais la réalité des Safae, telle qu’elle transparaît dans d’autres témoignages, s’avère parfois moins reluisante. Ainsi, la relative facilité avec laquelle des structures d’accueil ont pu s’ouvrir en Wallonie, de même que l’octroi de financements par les autorités françaises, ont pu créer un appel d’air, y compris pour des sociétés commerciales ou des acteurs du secteur aux pratiques moins recommandables. L’appellation «usines à Français» a émergé voici quelques années. Des mots qui ont fait bondir les familles ayant délibérément opté pour la Belgique, mais qui correspondent à certaines pratiques minoritaires.
En matière de prise en charge, «il y a vraiment à boire et à manger», confie un parent qui a multiplié les visites d’établissements. «Certains cherchent à faire du bénéfice avant tout. Ce n’est pas pour rien que les centres ont pullulé, même si le moratoire devrait changer la donne. J’ai vu des endroits où les enfants dormaient dans des cages, où l’on refusait un retour dans la famille avant trois mois, où la prise en charge était catastrophique.» D’aucuns dénoncent l’existence «d’un business autour des Français qui est inhumain. Ce n’est pas généralisé, mais ça existe.» Des formes de démarchage surviennent, ces acteurs du secteur envoyant des «commerciaux» auprès des institutions médicales françaises pour se constituer «une clientèle». La concurrence est parfois féroce.
Léonard est un vrai Belge maintenant. Il chante la Brabançonne en supportant l’équipe de Kevin De Bruyne.
C’est précisément ce qui est arrivé à une famille d’un département d’outre-mer, vivant donc à plusieurs milliers de kilomètres de la métropole. «On nous a vendu du rêve. Moi, j’étais sceptique dès le départ, mais nous nous sommes retrouvés coincés», témoigne la maman. Le scénario était le suivant: un directeur d’établissement «recrutait auprès de l’hôpital en France, il faisait sa pub», annonçant l’ouverture prochaine d’un nouveau foyer en Wallonie. Avec la promesse d’un agrément, qui n’est jamais arrivé. Les premiers mois se sont déroulés plutôt sereinement, mais la situation s’est dégradée petit à petit: personnel qui claque la porte faute d’être rémunéré, enfants «pratiquement séquestrés», messages peu rassurants des résidents, etc. Le foyer en question s’est avéré être un établissement pirate, ouvert hors de tout cadre, à la stupeur de l’Aviq et des autorités locales. Il a fermé ses portes il y a un an et les enfants ont été replacés dans d’autres foyers. «Le lieu de vie actuel de mon enfant est correct, mais la communication avec le personnel reste difficile», raconte, mitigée, la maman.
Lorsque survient le pire
D’autres récits sont franchement tragiques. Laurence et Claude Horel, un couple des Yvelines, ont perdu leur fils Olivier en 2019. Les deux en veulent au système dans son ensemble: aux autorités françaises qui se défaussent sur un pays voisin sans apporter de solutions, à l’Aviq qui, selon eux, a toléré l’ouverture d’établissements peu sérieux, sans contrôles suffisants.
«Je considère que l’éloignement physique a beaucoup d’effets pervers. Certains continuent à voir leur enfant, bien sûr. Mais la réalité, c’est que certains parents sont vieillissants et sont soulagés d’avoir une solution, on n’ a parfois pas très envie de savoir ce qui s’y passe, on ne se permet pas de poser de questions tant les places sont rares», regrette Claude Horel.
Leur fils est venu en Belgique en 2019, contraint de quitter une unité très spécialisée des hôpitaux de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Celle-là même que l’on voit dans Hors Normes, le film de Nakache et Toledano qui dépeint les difficultés de prise en charge d’adolescents autistes dans la capitale française. Entré en février, Olivier est décédé en octobre, «après une quatrième fausse route (NDLR: un trouble de la déglutition), alors que cela ne s’était jamais produit avant son arrivée». Ses parents suspectent un manque d’encadrement, de formation, de sérieux du personnel. Et, surtout, l’absence de prise de responsabilité et de considération de l’Aviq, qui n’a selon eux pas voulu faire de vagues.
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Un autre sujet peut faire débat, sensible, mais moins tangible. Cette présence importante de Français porte-t-elle préjudice aux Wallons en situation de handicap, qui vivent aussi un engorgement? Les deux problèmes sont parallèles, sans lien direct. La Wallonie limite le nombre de places pour ses ressortissants, sans rapport avec les politiques menées par les autorités françaises. «Sans le financement de la France, ce sont des places qui n’existeraient pas», indique l’Aviq.
Un «rapatriement» théorique de nombreux Français ne résoudrait donc pas les difficultés vécues par des familles belges, a priori. Ce qui n’empêche pas l’un ou l’autre témoignage de faire état d’une «course au Français» ayant pu avoir cours dans certains établissements, moins enclins à recevoir des résidents wallons. La France paie, il n’y a pas de raison de se priver, laisse-t-on entendre.
Accessoirement, selon les chiffres de l’Aviq, quelque 8 378 personnes travaillent dans les Safae, dont une bonne part de Belges, financés par des subsides français. Avec un brin de cynisme, le contribuable wallon peut aussi considérer que le système ne lui coûte rien, hormis des coûts indirects liés aux fonctions d’agrémentation et de contrôle de ces établissements par l’Aviq.
Là où la frontière n’existe pas
«La France qui paie davantage à la journée, ce fut peut-être une réalité autrefois, mais ce n’est plus le cas», assure Eric Lenz, directeur de La Pommeraie. Cette structure installée à Ellignies-Sainte-Anne (Belœil), à quelques encablures de la frontière française, héberge 235 personnes dans une vingtaine de foyers, situés dans les villages alentour.
La Pommeraie, qui célèbre ses 50 ans d’existence, fait partie des établissements à la bonne réputation. La frontière n’y existe pas vraiment: là, les 221 membres du personnel sont belges et français, traversent la frontière sans s’en rendre compte. «Nous accueillons deux cents résidents français, issus de 22 départements, et 35 Belges. Si je voulais accueillir plus de Belges, je ne le pourrais même pas, puisqu’en raison du moratoire wallon des années 1990, on ne crée plus de places. Cette prétendue concurrence entre Belges et Français, c’est un faux problème, ce sont deux systèmes séparés», insiste-t-il.
Les temps sont difficiles, en raison des subsides rabotés et non indexés des départements français, de l’indexation des salaires, de la conjoncture. «On racle les fonds de tiroir, mais on doit aussi négocier avec tous les départements, qui ont tous des politiques différentes, pour tenter de s’en sortir.»
Mais les difficultés ne doivent pas empêcher La Pommeraie de garantir et maintenir un encadrement hautement qualitatif, assure Eric Lenz. Le nombre total de résidents peut impressionner, mais les foyers sont à taille humaine, et se fondent dans la localité. En journée, les activités sont nombreuses, au sein d’ateliers axés sur la créativité, le travail manuel et le sport. Festival de films courts, concerts, marché de Noël, fête annuelle de septembre: les événements festifs et inclusifs font partie de la marque de fabrique.
Des relations se nouent et des couples se forment même. C’est un petit village dans le village, où les résidents doivent se sentir chez eux. «C’est une des forces de la Belgique, se félicite Eric Lenz. Les personnes restent chez nous, elles vivent ici. Nous les accompagnons souvent jusqu’à leur dernier souffle.» Une approche rassurante pour tout le monde, les familles des résidents en premier lieu.
La Pommeraie fait aussi partie des structures ayant mis en place une association de parents: l’Association des parents et amis de La Pommeraie (Apap). Elle est une courroie de transmission entre le personnel, les résidents et les familles, précisent Ignace Lepoutre, Chantal Toulemonde et Pascal Moerman, membres de son conseil d’administration. «Nous sommes un soutien, aux côtés, mais pas à la place de l’institution. On prend part aux événements. La philosophie partagée avec La Pommeraie, c’est le bien-être et l’épanouissement des résidents. On aide, avec bienveillance, et surtout en évitant d’être au service d’intérêts particuliers, de cas personnels.»
Tous trois originaires de l’agglomération lilloise, ils ne s’en cachent pas: leur opinion sur l’institution est très positive. Ils regrettent l’image négative des Safae parfois véhiculée, comme un choix contraint ou une forme d’exil. «Si on fait ce choix, c’est parce qu’on voit que pour notre enfant, l’épanouissement et l’évolution sont au rendez-vous. Si la personne est heureuse, elle fera mieux les choses, considère Chantal Toulemonde. Notre fille, par exemple, revient tous les quinze jours à la maison. Nous avons retrouvé la paix. Et il est important qu’elle ait son monde, ses amis, ses relations. Ce qui serait inenvisageable à la maison.»
«Il est parfois impossible de garder les enfants 24h/24 à la maison. C’est très usant. On privilégie des moments plus courts, mais de qualité, témoigne Pascal Moerman, parent, mais aussi éducateur à La Pommeraie. Ce sont des équipes spécialisées qui sont les plus aptes à leur fournir un cadre adapté.»
«Mon frère séjourne ici depuis 31 ans, c’est un ancien, sourit Ignace Lepoutre. Il revient tous les mois pour le week-end, soit chez moi, soit chez ma sœur. Quand nous le ramenons le dimanche, il est souriant. Cela procure un bonheur infini» et ne fait que conforter les proches dans leur décision d’avoir opté pour ce lieu de vie adapté. «C’est notre choix, nous l’assumons pleinement.»
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