«Des mesures cosmétiques qui manquent d’ambition»: ce que cache la réforme des provinces
Les Engagés et le MR veulent une réforme des provinces. En clair, les partenaires remettent en question le pouvoir politique de ces entités méconnues des citoyens. Que coûtent réellement les provinces? Que vaut le projet du gouvernement wallon? Et qu’en pensent les autres partis, à l’aube du scrutin local? Eléments de réponse.
Dans leur volonté d’efficacité, de bonne gestion et d’économie, le MR et Les Engagés veulent réformer le pouvoir des entités provinciales. Le gouvernement wallon veut qu’elles soient gérées non plus par des élus provinciaux, mais par un «collège de bourgmestres». La mutation permettrait de réduire le nombre de mandataires locaux, «favorisant une action politique plus intégrée, moins coûteuse et encourageant une meilleure cohésion entre les différents niveaux de pouvoir», est-il inscrit dans la Déclaration de politique régionale (DPR).
Toujours selon le texte, certaines missions des provinces seraient transférées «vers les niveaux de pouvoir les plus adéquats.» Afin d’alléger le poids budgétaire des entités provinciales, MR et Engagés voudraient aussi que la Région wallonne reprenne en main la fiscalité. Pour que leurs ambitions voient le jour, les deux partis souhaitent proposer leur plan à l’approbation des deux tiers du Parlement wallon ainsi que lancer une consultation populaire pour connaître l’avis de la population à ce sujet. Avec, en ligne de mire, l’objectif d’abolir le scrutin provincial d’ici 2030. «La volonté d’efficacité est louable, mais je suis moins convaincu par les moyens d’y arriver», commente en préambule Jean Hindriks, professeur de sciences économiques à l’UCLouvain.
La réforme des provinces ne respecte pas la Constitution
Le hic, c’est que la réforme des provinces version MR/Engagés ne respecte pas la Constitution. À commencer par l’article 41, selon lequel il faut une majorité des deux tiers pour toucher aux entités provinciales. Majorité que les deux partis ne possèdent pas au Parlement wallon, avec 43 sièges sur les 50 nécessaires. Les partenaires devront donc convaincre l’opposition de faire l’appoint pour que leur projet ait une chance d’aboutir. Or, sollicités par Le Vif, PS, Ecolo et PTB se déclarent opposés à une telle réforme.
Sachant que ce dernier se heurte à un autre obstacle. «L’article 39 bis de la Constitution interdit de mettre sur pied des consultations populaires régionales sur toutes matières qui exigent les deux tiers, explique Julian Clarenne, professeur invité en droit constitutionnel à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles. Par définition, il est donc impossible d’avoir une consultation populaire régionale sur la question de l’avenir des provinces. On peut se demander s’il ne s’agit pas d’un oubli. Selon moi, ce point va devoir être abandonné de l’accord de gouvernement.»
«Selon moi, ce point va devoir être abandonné de l’accord de gouvernement»
Julian Clarenne, professeur invité en droit constitutionnel à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles
Ce que coûtent les provinces
Dans un rapport paru quelques jours après les élections de juin dernier, les chercheurs Jean Hindriks et Alexandre Lamfalussy dressent un bilan économique peu flatteur pour les cinq provinces wallonnes. Ils résument la situation en trois temps: «On a trois fois plus d’effectifs dans les provinces wallonnes que dans les provinces flamandes, on dépense trois fois plus côté wallon que flamand, et les mandataires francophones sont quatre fois mieux payés…»
En 2022, les dépenses ordinaires des provinces wallonnes s’élèvent à 1,118 milliard d’euros, soit 306 euros par habitant, dont 64% sont des dépenses de personnel. Et la Flandre? En 2022, les provinces flamandes ont des dépenses ordinaires de 754,8 millions d’euros, soit 113 euros par habitant, dont 46% sont des dépenses de personnel.
La réforme voulue par le gouvernement wallon permettrait-elle d’assainir les finances? «Il n’y a rien de clair là-dedans, c’est un manque d’ambition et un décalage total avec la réalité de terrain, assène Jean Hindriks à la lecture de la DPR. J’ai l’impression que le mot d’ordre du texte est de simplifier pour amplifier.»
Ne pas suivre le modèle flamand: une erreur?
«La DPR consacre le principe de la supracommunalité. C’est un choix différent de celui posé par la Flandre, plutôt tournée vers la fusion des communes», développe Jean Hindriks. Qui pointe une des conséquences éventuelles de cette réforme des provinces. «On va se retrouver avec des provinces à géométrie variable, aux compétences différentes.» En effet, dans la DPR se retrouve le passage suivant: «Chaque Conseil provincial issu du scrutin d’octobre 2024 sera chargé de proposer au Gouvernement d’ici la mi-législature son plan de ventilation des compétences vers les autres niveaux de pouvoir et celles qu’il conserve, à la lumière de ses réalités territoriales et institutionnelles propres.»
«Soit on définit clairement les compétences des provinces, soit on les supprime»
Jean Hindriks, professeur de sciences économiques à l’UCLouvain
«Il faut changer de braquet, déclare le chercheur, pour arrêter avec ces mesures cosmétiques qui n’auront pas d’impact. N’oublions pas que 50% des investissements publics en Belgique sont faits par les pouvoirs locaux. Soit on définit clairement les compétences des provinces, soit on les supprime. L’entre-deux actuel n’est pas souhaitable.»
La réforme des provinces survivra-t-elle aux nombreux écueils qui se trouvent sur sa route? Et si le gouvernement wallon la laissait aux oubliettes? Contacté, le ministre régional des Pouvoirs locaux François Desquesnes (Les Engagés) n’a pas donné suite à nos demandes.
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