Des élections sociales sous haute surveillance
Jusqu’au 20 mai, les salariés de 6 000 entreprises sont appelés à désigner leurs représentants dans le cadre des élections sociales. En coulisses, on s’affaire : rien n’est laissé au hasard dans ce scrutin à part. Reportage.
Elle arrive un peu essoufflée, les bras chargés de son ordinateur portable, de son sac et de son écharpe. Une bonne trentaine de personnes l’attendent : tous seront témoins lors du prochain scrutin social. Ils veilleront au bon déroulement de cette consultation, mise en place dans les entreprises de plus de 50 travailleurs, jusque dans les moindres détails. « Bonjour, désolée pour le retard. Je m’appelle Martine. »
– C’est « Martine au syndicat », lance un participant d’un air goguenard.
– Oui, je peux aussi faire « Martine manifeste », « Martine vote » et « Martine à la plage », répond la formatrice.
Car il s’agit bien ici de former ces futurs témoins à leur mission. « Il est essentiel que vous nous transmettiez les résultats du vote dans votre entreprise le plus vite possible, entame Martine. Par GSM ou ici, dans nos bureaux de Charleroi. Un petit verre est prévu, soit pour fêter la victoire, soit pour se consoler. »
Devant chacun des participants à cette formation organisée par la CNE (Centrale nationale des employés) de Charleroi, un épais syllabus passe en revue toutes les étapes du scrutin et les mille choses auxquelles il faudra être attentif, le jour J : s’assurer de la bonne composition du bureau, constitué d’un président, de quatre assesseurs et des éventuels témoins de chaque organisation syndicale ; de la présence d’urnes – vides ! – différentes pour les ouvriers, les employés, les cadres et les jeunes ; de bulletins différents pour désigner les élus au conseil d’entreprise et au comité de prévention et de protection au travail.
Ces bulletins doivent être neutres, c’est-à-dire que les listes des différents syndicats doivent être placées à la même hauteur, avec les mêmes caractères et les mêmes couleurs. Il s’agit de ne favoriser aucune liste, ni aucun candidat. Les bureaux de vote ne peuvent être décorés d’aucune affiche électorale et les témoins, issus, le plus souvent, des rangs syndicaux, ne peuvent porter aucun vêtement marqué du logo de leur organisation.
– « Votre suppléant doit rester en dehors du bureau de vote, précise Martine. N’hésitez pas à le faire rentrer à votre place dès que vous sortez pour une pause pipi. Cela permet à l’employeur de constater que le suppléant sert bien à quelque chose. »
Une main se lève. « Qu’en est-il des travailleurs malades pour une longue durée ? Comment peuvent-ils voter ? »
– Ils ont normalement reçu un courrier qui leur permet de voter par correspondance, répond la formatrice. J’y viendrai plus tard.
Auparavant, Martine évoque les irrégularités qui pourraient être constatées lors du vote et qui doivent figurer dans un procès-verbal. Si l’employeur, qui assure la présidence du bureau, refuse cette mention dans un PV, tout dérapage sera consigné dans le « carnet du témoin » que chacun recevra. Le permanent syndical de référence, sur la base de ce carnet, décidera s’il y a lieu ou non de réclamer un nouveau scrutin.
– N’oubliez pas que le temps de déplacement pour aller voter est considéré comme du temps de travail. Si les travailleurs sont en congé ce jour-là et votent tout de même, ce temps de déplacement doit leur être payé. Comme leurs trajets.
Martine en vient ensuite au vote par correspondance et, jonglant avec des enveloppes de taille et d’intitulés différents, explique comment l’électeur doit procéder.
Comme pour les « vraies » élections, les petites marques en tout genre sont interdites sur les bulletins de vote.
– Les croix, les c£urs et les phrases du type « je me fiche des élections sociales » rendent les bulletins nuls. Ah ! j’oubliais. Mettez-vous d’accord, au sein du bureau, sur les couleurs de bics et de crayons que vous acceptez, ainsi que sur le mode de vote : croix, petit cercle rempli, petit v, etc. Tout ce sur quoi vous vous serez mis d’accord avant le vote évitera des complications au moment du dépouillement.
S’ensuivent de longues explications sur les mesures à prendre lorsque l’urne doit être déplacée sur différents sites de la même entreprise. Gardée et surveillée comme les joyaux de la couronne, elle est scellée chaque fois, accompagnée en voiture par les témoins et l’employeur, et descellée ensuite devant témoins.
A l’issue du vote, les témoins devront encore participer au dépouillement des bulletins. Les bulletins valables, blancs et nuls seront départagés. « Le témoin ne doit que regarder. Je vous suggère même de garder les mains dans le dos et de ne toucher à rien. Ainsi, on ne pourra rien vous reprocher », suggère Martine. Le décompte des voix se fera à voix haute, juste avant que ne commencent les savants calculs qui permettront de savoir quel est le syndicat qui l’emporte, avec combien de sièges, et qui pourra s’asseoir dessus.
– « Vos heures supplémentaires ne sont pas payées ce jour-là, sourit Martine, même si vous travaillez dans le cadre des élections sociales de 8 heures à minuit. Le syndicat, c’est un don de soi et on l’apprend dès le jour du vote ! »
Laurence van Ruymbeke
En chiffres
Taux de participation lors du scrutin de 2008 : 72,3 %. Taux de participation chez les jeunes travailleurs en 2008 : 43 %.
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