Des bourgmestres de moins en moins empêchés

Depuis 1991, la loi interdit d’être à la fois bourgmestre et ministre. Dans la pratique, Elio Di Rupo, André Antoine, Philippe Courard et quelques autres se sont arrangés pour rester le patron dans leur commune. Jean-Luc Crucke (MR) et Marcel Cheron (Ecolo) demandent une révision de la législation.

Elio Di Rupo, Paul Furlan, André Antoine, Philippe Courard aujourd’hui. Rudy Demotte, Laurette Onkelinx, peut-être, demain. Bernard Clerfayt et Charles Michel, hier. Combiner une fonction ministérielle et un mandat de bourgmestre constitue une spécialité belge. Partout ailleurs en Europe, à de rares exceptions près, les leaders politiques doivent choisir : goûter au faste du gouvernement ou conduire les destinées de leur ville. « Pour un Suisse, par exemple, faire à la fois du local et du fédéral, ce serait une aberration », relève Pierre Verjans, politologue à l’université de Liège.

En 1991, l’exception noire-jaune-rouge a pourtant vacillé. Depuis cette époque, la loi oblige en effet les ministres à renoncer à leur statut de bourgmestre. Les maïeurs qui entrent dans un gouvernement sont déclarés « empêchés », et remplacés par un bourgmestre « faisant fonction ». « Les textes sont très clairs : à partir du moment où un bourgmestre devient ministre, tous les pouvoirs qu’il détient dans sa commune sont délégués à un remplaçant », insiste Frédéric Bouhon, chercheur en droit constitutionnel à l’ULg.

Si la norme instaurée en 1991 a d’abord frappé les esprits, ses effets se sont peu à peu dilués. Aujourd’hui, le site officiel de la Ville de Mons présente Elio Di Rupo (PS) comme le « bourgmestre en titre », une appellation inventée de toutes pièces, qui ne se retrouve dans aucun texte de loi… mais qui s’est imposée dans les faits. « Quand la loi intervient, il faut un certain temps au monde politique pour apprivoiser la nouvelle donne, décortique Pierre Verjans. Mais assez vite, les ministres ont transformé cette contrainte en une règle purement formelle qui ne les empêche pas de continuer à tirer les ficelles dans leur commune. »

Ambivalence perverse ?
Le Premier ministre n’est pas le seul à user du terme « bourgmestre en titre ». André Antoine, vice-président CDH du gouvernement wallon, a l’habitude de se présenter de la même manière dans son fief de Perwez. Et le site Web de Wavre annonçait en février 2011 que Charles Michel (MR) a « repris les rênes » de la ville, après s’être « officiellement écarté de la gestion communale » pendant son mandat au gouvernement fédéral. « Dans les faits, si Françoise Pigeolet avait assuré l’intérim, Charles Michel n’avait jamais vraiment quitté des yeux la gestion communale », concluait le communiqué.

Cette ambivalence est jugée perverse par plusieurs élus, qui demandent un durcissement de la législation. « On est bourgmestre ou on ne l’est pas, s’insurge Jean-Luc Crucke, député wallon MR. Cela doit être clarifié ! Je peux comprendre qu’on soit bourgmestre en congé le temps de son mandat ministériel, et qu’on retrouve le maïorat à la fin de celui-ci. Mais les systèmes abracadabrants qu’on connaît aujourd’hui détournent l’esprit de la loi. Certains entretiennent le flou pour des raisons de prestige, pour rester le big boss dans leur commune. Moi, j’estime qu’Elio Di Rupo n’a plus rien à faire dans la gestion de Mons. Il doit choisir : bourgmestre ou Premier ministre. La césure doit être complète. »

Un avis rejoint par Marcel Cheron, chef de groupe Ecolo au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « Bourgmestre en titre, ça veut dire quoi ? Cela veut dire que, de manière occulte, on est toujours là. Ce glissement sémantique est un abus de sens, il s’apparente à une tromperie. On serait bien inspiré d’en revenir à la lettre et à l’esprit de la loi. A savoir : un bourgmestre empêché ne peut plus exercer ses fonctions, point. Ce serait utile de clarifier ça, de le préciser dans la législation. »

FRANÇOIS BRABANT

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